Le débat sur la réforme de la dépendance, plusieurs fois repoussé, a enfin été ouvert. Mais la question du financement du « cinquième risque » reste en grande partie insoluble. Et il est peu probable que le gouvernement, contraint par l’échéance de la présidentielle, invente une solution « miracle » sur ce dossier.
En ces temps de discussion acharnée sur l’attribution du ballon d’or, il est un autre débat qui semble échapper à une grande partie de l’opinion publique : celui de la réforme de la dépendance, ou « cinquième risque ». Promis par le candidat Nicolas Sarkozy en 2007, et maintes fois repoussé depuis, ce chantier est pourtant fondamental. Autant, sans doute, que celui de la réforme des retraites.
En ce début 2011, à la suite de l’intervention télévisée de Nicolas Sarkozy le 16 septembre dernier, l’affaire a finalement pris corps. Doucement, comme il sied à un gouvernement qui a préféré à plusieurs occasions agiter le chiffon rouge de la délinquance pour mieux repousser les dossiers de fond. Valérie Rosso-Debord, députée UMP, a dressé un état des lieux de la situation dans un rapport paru cet été, et livre 17 propositions pour une réforme. Parallèlement, la ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale Roselyne Bachelot a mis en place quatre groupes de travail pour dégager des pistes de réflexion. Enfin, l’Assemblée des départements de France (ADF) s’est invitée au débat en organisant des assises de la dépendance en janvier et février.
Plusieurs initiatives donc, qui concourent à un même objectif très simple : faire en sorte que sa vieille maman puisse être prise en charge en maison de retraite (ou « Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes » – EHPAD) lorsqu’elle ne pourra plus rester à la maison, ou envoyer à son vieux papa une aide à domicile quand il ne sera plus en mesure de cuisiner ou de se laver seul. Les solidarités familiales, même si elles existent encore, ne peuvent plus tout. Naturellement, cela à un coût. Qu’il s’agisse d’une prise en charge à domicile ou en établissement, il faut du personnel formé et qualifié. Toute la question, à cette heure, est de désigner un payeur. Les financements engagés par l’État et les collectivités locales ne suffisent plus.
L’APA ne suffit plus pour financer des dépenses en progression
Depuis 2001 et la réforme portée par la secrétaire d’État aux personnes âgées Paulette Guinchard-Kunstler, c’est l’APA qui permet de prendre en charge les dépenses liées à la dépendance. Un sigle qui ne signifie pas « aide aux personnes âgées », contrairement à une idée répandue, mais « allocation personnalisée d’autonomie ». Il désigne une prestation universelle, destinée à toute personne âgée de plus de 60 ans présentant une dépendance reconnue par un médecin. Pour faire simple : si on a soufflé sa soixantième bougie, et si on n’est plus à même d’effectuer sans aide les gestes du quotidien, on a droit à l’APA. La somme versée dépend des revenus et permet de payer tout ou partie des services nécessaires, selon le niveau de dépendance.
Certes, l’APA ne finance pas tout. En cas de placement en EHPAD, ce sont souvent les portefeuilles des enfants et des petits enfants qui sont sollicités. Pour autant, cette aide représente un indéniable progrès social. Primo, elle s’est substituée à la Prestation spécifique dépendance (PSD), qui couvrait moins bien la dépendance. Secundo, elle n’intègre pas de recouvrement sur succession. Comprenez : l’État et les collectivités qui financent l’APA ne se remboursent pas sur l’héritage de la personne dépendante à la mort de celle-ci. Mais aujourd’hui, le problème est double.
En premier lieu, la vieillesse et la dépendance augmentent. Selon les projections de l’INSEE, il y aura 200 000 centenaires en 2060, pour une population de 73 millions d’habitants, contre 15 000 aujourd’hui. Quant aux plus de 75 ans, ils passeront de 5,2 millions à 11,9 millions sur la même période. Les nombreux enfants du baby-boom sont les vieillards de demain. Or aujourd’hui, les dépenses publiques liées à la dépendance et la perte d’autonomie (dont les soins médicaux) s’élèvent déjà à 22 milliards d’euros, dont 5,4 milliards d’APA. Et s’il est difficile de savoir à quel rythme ces sommes vont progresser -on vieillit après tout mieux qu’avant-, il est certain qu’elles augmenteront inéluctablement. Il faudra donc trouver quelque part de quoi remplir les caisses, afin de financer la prise en charge de nos aînés en perte d’autonomie.
L’État s’est déchargé sur les Conseils généraux pour financer la dépendance
Seulement, pour cela, il est de plus en plus difficile de compter sur les deniers de la puissance publique. L’État, et notamment l’État sarkozyste, s’est discrètement délesté de ses obligations de payeur sur les Conseils généraux. Les dépenses d’APA devaient initialement être prises en charge à 50% par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) et à 50% par les Départements. Mais ceux-ci ont vu leur part augmenter drastiquement. Ils financent aujourd’hui de facto 3,8 des 5,4 milliards de l’APA. Ce tour de passe-passe fiscal permet au gouvernement de ne pas augmenter les impôts, tout en contraignant les collectivités territoriales à le faire à sa place… Financièrement à bout de souffle, les Conseils généraux ont tiré la sonnette d’alarme fin 2010 pour provoquer une réaction du gouvernement. A moins d’augmenter lourdement les impôts locaux, on voit désormais mal comment ils pourraient faire face sur le long terme à des dépenses de dépendance qui ne cessent de progresser.
Financer le cinquième risque nécessite donc de trouver l’argent ailleurs. Mais où ? Chez le contribuable, via une augmentation de la Contribution sociale généralisée, ou la création d’un nouvel impôt spécifiquement créé pour la dépendance ? L’idée pourrait être bonne. Mais on voit mal Nicolas Sarkozy découvrir soudainement ce qu’est le courage politique et se livrer à ce périlleux exercice un an avant les élections présidentielles. Il est beaucoup plus probable qu’il se cantonnera d’ici 2012 à ses thèmes de prédilection : la délinquance et le contrôle de l’immigration. Brice Hortefeux, son sbire préféré en la matière, est d’ailleurs déjà à l’œuvre (voir l’article du monde à ce sujet).
De surcroît, en ces temps de crise, la proposition serait sans doute particulièrement mal perçue. Faut-il plutôt envisager d’augmenter les cotisations sociales ? Mais là encore, la majorité actuelle se risquera-t-elle à expliquer aux employés, et surtout aux employeurs, que cela est indispensable pour prendre en charge la dépendance ? La chose est peu probable.
Le recours programmé aux assurances privées
Dès lors, il est à craindre que ce gouvernement sans imagination et largement dépourvu d’ambition sociale se contente de réduire au maximum les dépenses, et d’en faire supporter une partie directement aux personnes dépendantes. Les deux pistes ont déjà été évoquées à mi-voix…
Dans une tribune parue dans Le Monde du 8 janvier, Valérie Rosso-Debord explique que « L’effort devra porter sur les personnes qui en ont le plus besoin et qui sont les plus démunies, à savoir les GIR 1 à 3″. Le GIR (Groupe iso-ressources, de 1 à 6) mesure le niveau de dépendance d’une personne, 1 étant le niveau le plus élevé et 6 le moins élevé. Or l’APA couvre actuellement un champ plus large (GIR 1 à 4). Insidieusement, et sous couvert d’un faux discours social, le gouvernement semble déjà préparer le grand public à une « coupe » dans le budget de la dépendance : les « moins dépendants » ne bénéficieront tout simplement plus de ressources.
La mission qui a planché sur la perte d’autonomie propose par ailleurs que soit mise en place une cotisation obligatoire de 15 euros mensuels à partir de 50 ans. Un système qui ouvre la porte aux assurances privées, et donc aux inégalités. A s’assurer contre sa propre dépendance comme on assure sa voiture, on risque de créer plusieurs catégories de prises en charge. Vous logez au centre-ville ? Pas de problème pour vous porter vos repas à domicile. Vous habitez à la campagne ? Pas de problème non plus… à condition de payer plus cher. De surcroît, le système de la cotisation obligatoire permet de dégager une rente qui n’excède pas 500 euros mensuels… quand un placement en EHPAD coûte au minimum 2000 euros par mois. Autant dire que le compte est loin d’y être. La proposition a d’ores et déjà rencontré des résistances.
Si les voix s’élèvent trop fort, il est d’ailleurs probable que le gouvernement choisisse la fuite en avant, et transforme la promesse de campagne de 2007 en promesse de campagne de 2012. Claudy Lebreton, président de l’ADF, avançait ainsi dans La Gazette des communes du 10 janvier que la réforme de la dépendance ne serait « pas bouclée avant la présidentielle ». Au vu du contexte politique, cela est presque rassurant : nos aînés les plus dépendants ont une (petite) chance de voir cette réforme vitale portée par un autre gouvernement que celui-là. Étant donné ce qui se dessine, il ne pourra guère faire pire.
A lire aussi : la dépendance au quotidien pour les parents et les enfants, sur Le Monde.fr
Photo : Adeupa de Brest / Flickr