Dépouillement en Haïti : 'Je me souviens', mais de quoi au juste? De la drogue? Ou du tremblement?

Publié le 12 janvier 2011 par Plusnet
 
En cette date du 12 janvier, nos médias nous commémorent, jusqu’à l’écoeurement, les tristes événements qu’Haïti a vécu suite au tremblement de terre de l’an passé. On en parle souvent pour faire l’éloge de la reconstruction, du courage des populations locales et souvent de la faiblesse du gouvernement central. Par contre, on oubli souvent de préciser que l’Histoire moderne d’Haïti est intimement reliée aux dictas des institutions internationales, dont le Front Monétaire International (FMI), la Banque Mondiale et l’ONU. Pour des raisons pratiques, mais surtout d’intérêt du lecteur, nous débuterons notre analyse avec la chute des Duvalier, de la junte militaire et des premières élections ‘libre’ sous contrôle international, en 1990. Toutefois, il est important de savoir que l’ingérence de la communauté internationale remonte bien avant cette date.
C’est l’ancien activiste sous la dictature des Duvalier et prêtre Jean-Bertrand Aristide, qui remporta (67.5%) les élections de 1990, face à son rival, Marc Bazin, fonctionnaire de la Banque Mondiale. Il instaure, dès son assermentation, des mesures politiques et économiques progressistes. Par contre, 7 mois plus tard, un coup d'État mené par Raoul Cédras et des militaires (soutenus par la bourgeoisie d'affaires et par les États-Unis) le déloge du pouvoir. Jean-Bertrand Aristide s’exile alors aux États-Unis. Pendant trois ans, les milices soutenues par la junte militaire et les États-Unis « nettoient » la population en intimidant et en assassinant les leaders syndicaux qui avaient constitués la base de la résistance aux Duvalier et l'appui à l'élection d'Aristide (4000 morts civiles, 300 000 déplacés, 60 000 quittent le pays dans des navires de fortune). La plus importante de ces forces paramilitaires, le FRAPH, avait été fondé par un agent local de la CIA, Emmanuel Constant. En 1995, dans une entrevue à l’émission 60 Minutes du réseau américain CBS, "Toto" Constant a reconnu qu’il recevait 700$ par mois de la CIA lorsqu’il a créé le FRAPH. Pendant le règne de la junte, le FMI et la Banque mondiale forcèrent la levée des barrières tarifaires et l’ouverture du marché local au dumping américain de produits comme le riz, le sucre et le maïs. Cela a évidemment eu pour effet de détruire complètement l’économie paysanne, dans un pays où plus de 75% de la population vit de l’agriculture. Haïti devient alors le quatrième importateur de riz américain, après le Japon, le Mexique et le Canada. Sous le régime de la junte militaire et des conseils du FMI et de la Banque Mondiale, le produit intérieur brut d’Haïti chuta de 30%. Deux ans et demi après de coup d'État militaire, en juin 1993, sous prétexte de vouloir ‘étrangler’ la junte militaire au pouvoir, l’ONU décide d’imposer un embargo et un blocus naval au pays. Cela aura évidemment comme effet d’appauvrir encore d’avantage les populations locales. En 1994, dans le but non avoué de prévenir une insurrection populaire contre la junte, Washington envoie 20 000 marines et gardiens de la paix en Haïti.
C’est dans cette foulé de contestations populaires grandissantes qu’en 1994, Aristide est rétabli au pouvoir par l'administration de Bill Clinton, lors de l'opération "Rétablir la démocratie". On lui fixe alors des conditions pour qu’il se pli à un programme libéral, de privatisation des services publiques surnommé "plan de la mort" par les Haïtiens. Il s'agissait en fait du programme de son opposant lors des élections de 1990, l’ancien fonctionnaire de la Banque mondiale, Marc Bazin. Deux ans plus tard, à l’élection de 1996, le gouvernement américain exige le respect de la constitution, qui stipule que le président de la république ne peut susciter deux mandats de suite. Jean-Bertrand Aristide est donc encore écarté du pouvoir et ce sera alors René Préval qui dirigera Haïti de 1996 à l’élection de 2000. Le règne de René Préval est marqué par la faiblesse des institutions gouvernementales et son apathie face aux dictas de l’occident. À peine deux semaines avant les élections présidentielles de novembre 2000, alors que les États-Unis maintiennent leur embargo sur l’aide à Haïti, le gouvernement sortant signe une Lettre d’intention avec le FMI, qui liera économiquement les mains du futur président, en occurrence Jean-Bertrand Aristide qui fut élu, malgré une élection marquée par un très faible taux de participation (l’ONU l’estime à 10%). En 2003, le FMI impose un système de "flexibilité du prix de l’essence" qui provoque en deux mois une hausse de 130% du prix du carburant. Cette mesure entraîne une augmentation de 40% des prix à la consommation. Pour juguler l’inflation, le FMI exige alors un gel des salaires. Le salaire quotidien minimum, qui était de 3 $ en 1994, il tombe alors aussi bas que 1,50 $. Cette "flexibilité du marché du travail" devait selon le FMI attirer les investisseurs étrangers, ce qui n’arriva jamais. Toutes ces mesures alimentent la grogne contre le gouvernement Aristide et servent la cause de l’opposition. Aristide désavoue donc le premier ministre Smarck Michel sur la politique de privatisation menée conformément aux exigences des groupes de créanciers internationaux basés à Washington (FMI, Banque Mondiale, US Aid...).
Après plusieurs mois, la pression de la communauté internationale, augmente face à Jean-Bertrand Aristide et son gouvernement. Le 29 février 2004, Aristide est contraint, lors du Coup d'État (du Canada, de la France et des États-Unis), de quitter le pays vers l'Afrique du Sud, escorté par un commando des forces spéciales des États-Unis. Une vidéo amateur qui fut partagée partout dans le monde montre alors le président menotté, emporté par des commandos après avoir été introduit dans un hélicoptère. Boniface Alexandre, président de la Cour de cassation (la plus haute juridiction judiciaire française), assure ensuite le pouvoir par intérim. La France est donc complice de cet enlèvement et ce coup d'État et c'est même un membre de la justice française qui assure la transition! Pourquoi donc en faire tant pour maintenir la domination sur Haïti?
Dans un dossier magistral, Michel Chossudovsky démonte, morceau par morceau, le mécanisme mis en place par les institutions internationales et les gouvernements américain et français pour déstabiliser Haïti, chasser le président élu Jean-Bertrand Aristide et maintenir le pays comme zone de transit pour le trafic de la drogue entre la Colombie et les États-Unis. D’ailleurs, en février 2003, Washington nomme James Foley comme nouvel ambassadeur en Haïti. Pourtant, en 1999, Foley était l’envoyé du Département d’État américain au Kosovo et il  a oeuvré pour rendre acceptable les pires atrocités commises au Kosovo : c'est à dire rendre "respectable" l’Armée de libération du Kosovo, qui était financée par l’argent de la drogue et la CIA. Dans des études antérieures, Michel Chossudovsky a démontré comment le Kosovo a été transformé en "narco-démocratie" sous la protection de l’OTAN. La drogue, en provenance de l’Iran et de la Turquie, y transite pour prendre la direction de l’Europe. Aujourd’hui, Chossudovsky se demande si ce n’est pas ce modèle que Foley prépare, depuis 1999, en Haïti. D’ailleurs, la libéralisation du marché des échanges extérieures imposée par le FMI sert merveilleusement bien au blanchiment des narco-dollars et les principaux bénéficiaires sont les intermédiaires criminels, les agences de renseignement qui protègent ce commerce, de même que les institutions bancaires et financières de Wall Street et d’Europe qui blanchissent cet argent. Michel Chossudovsky souligne que le contrôle du marché de la drogue qui passe par Haïti est particulièrement important pour les Etats-Unis qui voient une bonne partie du commerce mondial de la drogue se transiger maintenant en euros plutôt qu’en dollars, sapant l’hégémonie du dollar américain sur le commerce mondial. Haïti peut bien avoir été le premier État à avoir aboli l’esclavage en 1804, ils ne sont pas au bout de leurs peine pour surpasser l’esclavage économique moderne imposé par l’économie mondiale et les institutions internationales. Seule une révolte populaire mondialisée peut venir à bout des forces capitalistes mondiales.
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