Je sais bien que ça n'est qu'un heureux hasard.
Mais en octobre dernier, peu après le moment où je lançais mon blog, sortait aux éditions Philippe
Picquier un vrai livre de référence, sobrement intitulé : "Manga". Dans l'ignorance crasse qui est encore la mienne sur bien des aspects, un tel ouvrage est forcément le
bienvenu, surtout après une déception sur laquelle je ne reviendrai pas. "Manga", de Jean-Marie Bouissou, sous-titré "Histoire et univers de la bande dessinée japonaise", est le livre
que j'attendais : clair, complet, fouillé, argumenté, intéressant et accessible. J'y ai appris une foultitude de choses, et je me dois de vous le recommander.
L'éditeur :
Déjà, le nom de l'éditeur est un bon signe. Picquier est un spécialiste reconnu des ouvrages ayant trait à l'Asie, et notamment au Japon, la plupart traduit du japonais, dans tous les domaines : sciences humaines, poésie, littérature... Picquier possède son propre catalogue de mangas de qualité, surtout des one-shot d'auteurs (dont le magnifique Conte du Charbonnier, que j'ai présenté ici récemment).
L'auteur :
![Manga, le livre de référence bouissoujapon.jpg](http://media.paperblog.fr/i/403/4038993/manga-livre-reference-L-KS4lOn.jpeg)
Heureusement, Jean-Marie Bouissou est aussi une vraie pointure en matière de mangas. Fan de BD depuis son enfance, il a découvert le manga au Japon, où il a vécu de 1975 à 1990 (il a été prof à l'Université de Tokyo) ; de retour en France, le manga lui apparaît comme un sujet d'études évident sur les relations internationales, culturelles et économiques. Il organise ses recherches en fondant le réseau Manga Network, qui organise colloques et conférences, et centralise travaux et publications de nombreux participants. (Je vous recommande de jeter un coup d'oeil à la bibliographie, pas mal d'articles intéressants en pdf)
Le livre :
Comme il le dit dans cette interview sur le blog Shima Uta, l'auteur a souhaité "faire un livre qui soit lisible aussi bien pour le grand adolescent qui aime le manga et qui aimerait en savoir plus, que pour ses parents qui n’arrivent pas du tout à en lire." Objectif atteint selon moi, étant à la fois le "parent" et le "grand adolescent" (haha).
Le sujet principal est le manga. Donc, l'anime et les autres médias associés (jeux vidéos, drama) sont abordés, certes, mais de façon secondaire et indirecte. Je devais le préciser, pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté.
Le livre (416 pages, 19,50€, hop, c'est dit) s'organise très sobrement en trois parties : 1 - Histoire, 2 - Comprendre le manga, et 3 - Le monde selon le manga. Il s'accompagne d'une abondante bibliographie, avec liste exhaustive des centaines de mangas cités (index par titre et par auteur), et glossaire des termes japonais employés. L'auteur écrit dans un style clair, précis mais lisible, et il illustre, lorsque c'est nécessaire, ses arguments par des reproductions de planches ou de dessins. Un site web sur le livre est en construction pour rendre les références et l'iconographie plus facilement disponibles.
1 - Dans la partie consacrée à l'histoire du manga, il n'est pas question de déterminer à tout prix quelle est la première oeuvre que l'ont peut qualifier de manga. Les rouleaux de l'Abbé Tojo, au 11è-12è siècle? La "Promenade nocturne des 1000 démons", au 15e siècle? les croquis "mangas" de Hokusai, au 19e siècle? ou bien encore "La nouvelle Île au Trésor", d'Osamu Tezuka, en 1947?
![Manga, le livre de référence yokai.jpg](http://media.paperblog.fr/i/403/4038993/manga-livre-reference-L-aIojb6.jpeg)
En revanche, l'auteur commence par retracer l'évolution des traditions graphiques japonaises depuis les origines, que l'on peut résumer ainsi : deux traditions s'opposent, d'une part la culture populaire et shintoiste, qui a de tous temps adoré les histoires scabreuses, insolentes et hédonistes, pleines de surnaturel (les yokai), de gore, de scatologie, de sexe, et de contestation de l'ordre établi ; et d'autre part, celle de l'élite aristocratique, qui glorifie la sobriété du zen, le sens de l'honneur et du sacrifice du bushido, l'esthétique des cerisiers en fleurs, etc. Il est amusant de noter que c'est l'image de ce Japon aristocratique qui a longtemps prévalu et qui prévaut encore dans l'imaginaire occidental, ce qui est une des explications de la mauvaise image du manga auprès de nos élites culturelles et intellectuelles... Car le manga, qu'il soit shonen, shojo ou seinen, est avant tout l'héritier de la tradition populaire, bien que l'influence de la tradition aristocratique peut se retrouver chez certains auteurs, comme Hiroshi Harata (qui réfute d'ailleurs le titre de mangaka, se nommant lui-même gekigaka).
![Manga, le livre de référence ashita](http://media.paperblog.fr/i/403/4038993/manga-livre-reference-L-ZAKmse.jpeg)
(A ce sujet, je ne peux m'empêcher de citer une des anecdotes du livre : en 1970, des terroristes d'extrême-gauche qui avaient détourné un boeing de la JAL, avaient publiquement scandé "nous sommes tous des Ashita no Jo!", afin qu'on comprenne bien leur message prolétarien...)
![Manga, le livre de référence shonenjump.jpg](http://media.paperblog.fr/i/403/4038993/manga-livre-reference-L-DvDEtd.jpeg)
L'auteur n'hésite pas à comparer le succès à l'exportation du manga à ceux des autres produits japonais : voitures, électronique, grâce au dumping (lire à ce sujet aussi son article en pdf, "Pourquoi aimons-nous le manga?"). Mais il souligne que cette stratégie n'explique pas tout. Le manga possède des caractéristiques intrinsèques, dans son format, dans son inspiration et dans ses thématiques, qui en font le "produit de plaisir pur" (selon sa propre terminologie) le plus efficace depuis le cinéma hollywoodien.
La question de la segmentarisation du marché est également abordée, démontrant à quel point le manga est intrinsèquement plus puissant que la bande dessinée européenne : là où le "Journal de Tintin" avait besoin, pour rencontrer le succès, de ratisser large en se positionnant comme le journal des jeunes de "7 à 77 ans", le manga est bien plus pragmatique, en proposant des réponses adaptées à chaque type de lectorat. Ce qui explique, entre autres, le succès du shojo en France, les filles étant superbement ignorées par les auteurs de BD.
Dans cette partie, il est aussi question de "plaisir pur". Le manga est présenté comme le produit culturel qui répond le plus efficacement aux besoins psychologiques fondamentaux de tout un chacun (mais surtout des jeunes), en proposant des personnages et des situations auxquelles le lecteur peut facilement s'identifier. En tant qu'archétypes, ils sont assez "vides", ou "plastiques", pour que le lecteur les investisse, comme un déguisement, avec son histoire et sa personnalité propres. Et assez "pleins" d'éléments de notre inconscient collectif (traumatismes, désirs, angoisses) pour remplir, de façon intense, des scénarios "supersized" où la vraisemblance n'a plus beaucoup d'importance.
![Manga, le livre de référence gto](http://media.paperblog.fr/i/403/4038993/manga-livre-reference-L-0HJUlp.jpeg)
Pour conclure par cette vérité toute simple : "si les adolescents aiment le manga, c'est d'abord parce qu'ils s'y reconnaissent tels qu'ils sont, avec leurs craintes et leur part d'ombre, mais aussi leurs espoirs". Grâce aussi aux thématiques développées, qui les concernent directement, et qui sont décrites dans la 3e partie du livre.
3 - La 3e partie, le monde selon le manga, est donc tout aussi intéressante, mais aussi à la fois plus encyclopédique et plus anecdotique. L'auteur brosse un panorama des très nombreux thèmes et sujets abordés dans les mangas, en citant à chaque fois énormément d'exemples. A se demander comment et quand il a pu tous les lire, vu son profil et ses responsabilités professionnelles? Le plus intéressant est probablement le focus mis sur deux sujets récurrents dans les mangas : 1) la mémoire collective japonaise, toujours hantée par son passé et par l'angoisse de l'apocalypse, 2) le sexe, éternel sujet (principal sujet!) de préoccupation du coeur de cible des shojo et de shonen.
![Manga, le livre de référence StepUpLoveStory](http://media.paperblog.fr/i/403/4038993/manga-livre-reference-L-o_mXBw.jpeg)
![Manga, le livre de référence evangelion.jpg](http://media.paperblog.fr/i/403/4038993/manga-livre-reference-L-jdZClx.jpeg)
Je ne vais pas continuer à résumer tous les chapitres de cette partie, qui décrivent les autres thèmes et genres du manga. Il y est question du manga pour salaryman, du manga pédagogique, du gag-manga, du manga de baston, du manga sportif, etc... Certains archétypes ont droit à leur chapitre, comme le cyborg, le vampire ou le bad boy.
Conclusion
![Manga, le livre de référence taniguchi.jpg](http://media.paperblog.fr/i/403/4038993/manga-livre-reference-L-aFqmzu.jpeg)
Accessoirement, ce livre rassure sur un point qui obsède les otakus, mais aussi les newbies tels que moi : si un prof de science-po peut écrire tant de choses intelligentes pour nous informer et nous décomplexer à la fois, alors, oui, j'ai bien le droit de lire plein de mangas, de tuer des heures devant des anime ou des jeux vidéos et ceux que ça défrise, je vous emm.....
Hein?
Mais non je ne l'ai pas dit.
![Manga, le livre de référence Manga, le livre de référence](http://media.paperblog.fr/i/403/4038993/manga-livre-reference-L-uPWVEP.jpeg)
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![Manga, le livre de référence anime manga aggregator sama](http://media.paperblog.fr/i/403/4038993/manga-livre-reference-L-pwDJxC.png)