Côte d’Ivoire : les perspectives d’une nouvelle crise

Publié le 22 décembre 2010 par Alex75

 

En Côte d'Ivoire, plusieurs jours après le scrutin, Laurent Gbagbo et son opposant, Alassane Ouatara, continuent de se disputer le siège présidentiel. Et tous les feux de l'actualité sont braqués sur ce pays d'Afrique de l'ouest, pré-carré instable de la Françafrique. Selon les observateurs, ce serait bel et bien Ouatara qui aurait remporté les élections, avec d'ailleurs un taux de participation record dans tout le pays. Mais Laurent Gbagbo, soutenu par l’armée ivoirienne et le Conseil constitutionnel, refuse de reconnaître sa défaite, pour une élection très surveillée. Mais qui aura été, en tout cas, un échec. Et c'est un vrai casse-tête pour la communauté internationale. Avec d’un côté le président sortant, Laurent Gbagbo soutenu par les ethnies du sud, chrétiennes et animistes, de l’autre, Alassane Ouattara, un homme du nord, musulman. C'est l'occasion de revenir brièvement sur l'histoire récente de la région et notamment la crise de novembre 2004, dont les affres se reprofilent à l'horizon.

La Côte d'Ivoire a été longtemps le vaisseau-amiral de la Françafrique, le pays le plus riche de l'Afrique francophone et un modèle de stabilité sous la présidence très autoritaire d'Houphouët Boigny. Mais une stabilité qui a depuis volé en éclats, les premières vraies fissures étant apparues dès 1990. Des manifestants défilent la même année, dans Abidjan, pour dénoncer la corruption du régime d'Houphouët, ce qui ne s'était jamais été vu auparavant. Il faut dire que la situation économique de la Côte-d'Ivoire est alors désastreuse, à cause de la chute des cours mondiaux du cacao et du café. Ce qui a fait la richesse de la Côte-d'Ivoire, premier producteur mondial, provoque alors son effondrement. C'est l'un des principaux facteurs explicatifs, s'ajoutant à l'absence de multipartisme, l'arrivée de nombreux jeunes diplômés sur le marché du travail, ainsi qu'un certain désengagement de la France dès la fin des années 1980. La dette devient rapidement faramineuse, le pays est au bord de la banqueroute et ça explique tous les désordres qui vont suivre. Il faut dire toutefois quand même que le cacao, principale ressource naturelle de la Côte-d'Ivoire est au centre de tous les évènements qui ont récemment secoué le pays. C'est ce commerce du cacao qui permet aux autorités d'Abidjan d'acheter des armes. C'est aussi les revenus de la filière du cacao exporté via la Togo voisin, qui expliquent pourquoi les rebelles du nord peuvent toujours résister, pour le plus grand bénéfice des compagnies internationales, essentiellement nord-américaines, qui se satisfont parfaitement de cette situation. C'est-à-dire la division de fait - toujours effective -, de la Côte-d'Ivoire en deux entités : les rebelles au nord et les légalistes-loyalistes au sud.

Le deuxième poison du pays, c'est la question de l'identité nationale. Les successeurs d'Houphouët Boigny (décédé en 1993), à commencer par le premier d'entre eux, Henri Konan Bédié, ont ouvert une vraie boîte de Pandore. Une boîte qu'Houphouët avait prudemment refermée : les questions ethniques. Ouvrant sur le golfe de Guinée, avec comme principal port, Abidjan, ce pays d'Afrique de l'Ouest d'une superficie de 322 000 km 2, compte 18 millions d'habitants. Quelques soixantes ethnies habitent le pays. Au centre et au sud-est, on trouve les peuples héritiers des royaumes Akan, notamment le peuple des Baoulé ; Félix houphouët-Boigny, premier président la Côte-d'Ivoire indépendante, était un Baoulé. Au centre-ouest et au sud-ouest, on trouve les Krou et les Bété, l'actuel président - Laurent Gbagbo -, est un Bété. Dans la partie nord / nord-est du pays, vivent les peuples voltaïques comme les Sénoufo et les peuples Mandé, comme les Yacouba, les Gouro, les Malinké et les Dioula. Les Dioula sont un peuple de commerçants qui en se déplaçant, ont contribué à la diffusion de l'Islam, parmi les peuples des savanes.

En soulevant le couvercle pour des raisons purement politiciennes - à savoir l'élimination déjà à l'époque, du nordiste Ouatara du processus électoral, l'ancien premier ministre d'Houphouët accusé de ne pas être authentiquement ivoirien, car Dioula - Bédié a réveillé les démons tribaux et jeté l'opprobre sur toute une catégorie de la population. L'idée est aussi avec la crise économique de désigner politiquement des boucs-émissaires.Tous ceux qui n'ont pas été capables de faire preuve de leur ivoirité, “les mauvais Ivoiriens“, comme on va les appeler. Tous ces étrangers appelés par Houphouët Boigny à venir travailler en Côte-d'Ivoire. Et à qui “le vieux” avait octroyé des droits identiques à ceux des citoyens ivoiriens. La conséquence immédiate, c'est que les peuples islamisés du nord se sont sentis solidaires de tous ces ostracisés et ont le sentiment d'être rejetés eux aussi par les sudistes. Bédié a ensuite été imité par ceux qui se sont emparés du pouvoir, d'abord le général Gueï, l'auteur du premier putsch qu'ait connu la Côte-d'Ivoire, en 1999. Il en sera de même de Laurent Gbagbo, qui est arrivé au pouvoir par les urnes, lui, en 2000. Mais dont le scrutin avait à l'époque, été boycotté par ses rivaux, Bédié et Ouatara - ce-dernier étant présenté comme Burkinabé -, empêchés de concourir. Cette présidence commence très mal. Des manifestations et arrestations de partisans d'Alassane Ouatara tournent à l'émeute, suivies de sanglantes représailles. Et Gbagbo jette de l'huile sur le feu, en interdisant à ce-dernier de concourir aux législatives. Au début de 2001, une tentative de putsch est orchestrée par des militaires Dioula. Elle échoue après une bataille sanglante de plusieurs heures avec les gendarmes, et les soldats mutinés s'enfuient au Burkina Faso. Désormais dans la moitié nord du pays, les Ivoiriens évoquent ouvertement la partition. La suite, on la connaît, à l'automne 2002, c'est le succès des mutins au nord du pays, l'assassinat du général Gueï, l'envoi de troupes françaises, l'opération Licorne (voire article “…les dessous de l'incident de Bouaké”).

Mais que vient faire exactement la France, au fonds dans ce conflit ? Il y a d'abord le fait que l'ancienne puissance colonisatrice est liée à la Côte-d'Ivoire par des accords de défense signés aussitôt après l'indépendance, le 24 août 1961. Deuxièmement il y a la présence en Côte-d'Ivoire d'une importante communauté française ou franco-libanaise, près de 20 000 ressortissants en 2004, 15 000 aujourd'hui, qu'il s'agit de protéger. C'est souvent certes d'ailleurs, un prétexte utilisé par les anciens colonisateurs pour soutenir les pouvoirs en place et liquider les rebellions. Mais en l'occurence, Paris fait preuve de prudence. Il y a six ans, Paris se refusait à combattre les forces nouvelles, comme aiment à s'appeler les rebelles nordistes. La Force Licorne s'interpose et établit une sorte de couloir, la zone de confiance. Peut-on parler pour autant d'une position de neutralisme ? C'est plus compliqué que cela, car à Paris, il existe de nombreux désaccords, comme aujourd'hui. En 2004, d'un côté il y avait un camp plutôt favorable à Gbagbo, et parmi ceux là, un chef de file, notre ministre des affaires étrangères de l'époque, Dominique de Villepin. Et de l'autre côté, on trouvait le président de la république française, Jacques Chirac et son ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie. Essentiellement parce que Gbagbo, ancien militant maoïste, est proche des socialistes français et qu'il a toujours vivement critiqué la Françafrique. Henri Emmanuelli a d’ailleurs récemment confirmé son soutien au président ivoirien sortant, « évoquant une campagne de dénigrement à sens unique ! ».

En tout cas, au début, on s’interrogeait. S’agissait-il d’une ultime bravade venant du président sortant ou était-ce le signe d’une volonté de fuite en avant, à la façon d’un Robert Mugabe au Zimbawe ? L'Histoire aurait bien su oublier ses atermoiements, si le président sortant avait daigné abandonner finalement son siège à son rival, même au bout de quelques jours. Seulement Gbagbo semble bel et bien s’accrocher au pouvoir. Il s'est conforté dans son positionnement, au travers d'une récente allocution télévisée. Entouré par ses faucons, Laurent Gbagbo se cramponne, prêt à faire sombrer son pays et affrontant solidement l'opprobe international. Parmi ces faucons, on compte incontestablement Simone Gbagbo, influente, mais aussi le président de l'Assemblée nationale et Charles Blé-Oudé, le chef des Jeunesses Patriotes, mouvement accusé d'orchestrer tous les mauvais coups de la présidence. Récemment Gbagbo a appelé à un moratoire sur la crise en Côte-d'Ivoire. Un Laurent Gbagbo qui a plus d’un tour dans son sac, habile à détourner les imprécations de l’ONU, et le camp présidentiel n'hésitant pas aussi à s'en prendre ouvertement aux médias français accusés de mener une « campagne de suspicion ». Laurent Gbagbo que l'on surnomme en Côte d’Ivoire « le machiavel de la lagune d’Abidjan » ou encore « le boulanger », car il roule toujours tout le monde dans la farine. L’important pour Gbagbo, c’est de garder le contrôle de la partie riche, à savoir le front pionnier du sud, avec le cacao, le café, et le port d’Abidjan, le nord échappant toujours au contrôle “légaliste-loyaliste” de l'armée ivoirienne. La reconnaissance de la victoire de Ouatara aurait pu ramener à une normalisation de la situation politique et militaire au nord du pays. Récemment des manifestations de partisans d’Alassane Ouattara - calfeutré dans un hôtel d’Abidjan depuis le résultat des élections - ont fait une dizaine de morts dans le port d'Abidjan. La situation est bloquée et commence à s’envenimer. Et la communauté des Français expatriés encore assez nombreuse, en Côte-d'Ivoire - près de 15 000 ressortissants -, au milieu de ce chaos politique, pourrait de nouveau servir d’otage, comme il y a six ans. On se souvient que durant plusieurs jours, en novembre 2004, les intérêts français avaient systématiquement été visés par les émeutiers, contraignant même de nombreux expatriés, à fuir le pays. Avec un Laurent Gbagbo qui n’avait pas hésité à instrumentaliser la population et qui n'y hésite d'ailleurs toujours pas. Paris qui a envoyé des renforts en Côte-d'Ivoire, vient d'ailleurs d'appeler ouvertement ses ressortissants à quitter “provisoirement” le pays.

Toujours est-il, que pour l’instant, on en est au point mort. Mais la situation sur place, instable, risque de devenir progressivement intenable et de tourner à la guerre civile. Quelles sont les cartes à jouer pour Gbagbo, de plus en plus ostracisé diplomatiquement. Et alors que les financements de la Côte-d'Ivoire par la Banque mondiale viennent d'être gelés, et que le porte-parole de l'opposition, Guillaume Soro, appelle à un durcissement, voire à l'usage de la force si nécessaire. Jusqu'où la France, toujours dans son rôle de gendarme du contient africain, serait prêt à aller ? Une intervention militaire est-elle envisageable ? Pour l'instant, ce n'est  ni vraiment la guerre, ni vraiment la paix. Mais un statut-quo… pour le meilleur et surtout pour le pire.

   J. D.