Ce week-end a été marqué, par un double anniversaire. Anniversaire de la disparition de Philippe Séguin, il y a maintenant un an, le 7 janvier 2010. Un grand colloque lui était d’ailleurs consacré vendredi dernier, à l’assemblée nationale… Et puis le 8 janvier 1996, la France apprenait la mort de François Mitterrand, samedi cela faisait 15 ans. Et la famille socialiste lui a d’ailleurs rendu hommage, à Jarnac. La nostalgie est toujours ce qu’elle était. Mitterrand à gauche, Séguin à droite. « Les morts sont célébrés, exaltés, fétichisés ». Surtout en cette période de vide politique absolu, aux yeux de nos contemporains. Dans les deux camps, on honore le volontarisme politique. Même si les mots n’y ont évidemment pas le même sens. La gauche célèbre le seul des siens qui ait réussi à conquérir la magistrature suprême, et qui soit parvenu à la conserver, comme l'analysait Eric Zemmour récemment. Mitterrand fut également le dernier candidat de gauche a décroché une majorité de voix chez les ouvriers et dans les classes populaires, en 1981. Ce Machiavel, ce caméléon, à qui l’on peut reconnaître l’habileté en politique, et un incroyable cynisme, associé au goût du pouvoir. La droite magnifie, elle, le défenseur talentueux de l’héroïsme en politique. Faisant semblant, au passage, de ne pas savoir que Séguin fut avant tout, le cassandre de la souveraineté nationale perdue.
Mitterrand a aussi vaincu parce qu’il a renoncé à tout et Séguin a perdu, parce qu’il n’ait jamais parvenu « à se soumettre complètement au nouvel ordre du monde ». La vraie divergence entre les deux hommes, entre le Mitterrand de la durée et le Séguin de l’éphémère passage ministériel, c’était surtout l’Europe. Leur célèbre débat de 1992, lors du référendum sur Maastricht, fut une matrice de la vie politique de ces vingt dernières années. Mitterrand a gagné sur la forme, ayant tétanisé Séguin en petit garçon respectueux. Mais sur le fond, les arguments de Séguin contre la monnaie unique, et la construction européenne, résonnent aujourd’hui avec une pertinence brûlante, que ce soit sur la déshérence démocratique, la fragilité économique ou la régression sociale. Mitterrand a su habiller, lui, ses renoncements, et ses apostasies, des oripeaux de l’idéal européen. Chacun recherche ainsi ce qu’il a abandonné : le peuple pour la gauche, la nation pour la droite.
Malgré la courte victoire du « oui » - 51 % -, pourtant crédité de 70 % d’intentions de vote, au début de la campagne de Maastricht, la notoriété de Philippe Séguin ait sorti renforcée de son positionnement. Ce dernier a poursuivi alors, sur un mode plus discret, un lobbying dans les milieux économiques et financiers, pour trouver une solution aux excès de la politique dite du « franc fort », sur fonds de dévaluations au sein du système monétaire européen. Cependant, il n’ait jamais réellement parvenu à mettre la lucidité de sa réflexion, « le lyrisme de son verbe », au service d’une action politique. Il fut l’homme des occasions manquées. Depuis sa mort également, la gauche est retournée aux poisons et délices de l’opposition municipale et locale, auquel Mitterrand l’avait arraché. A droite, Nicolas Sarkozy s’est brillamment fait élire, en donnant dans les sirènes du populisme, et aussi en reprenant le discours teinté de relents gaullistes de Philippe Séguin, servi par la plume de son conseiller Henri Guaino, qui en avait conservé pieusement le secret.
Mais depuis, il s’avère incapable d’assumer cette promesse, « comme s’il donnait raison de manière posthume, à l’impuissance séguiniste ». François Fillon tente habilement de son côté, « de profiter de son long compagnonnage avec son ancien mentor d’Epinal pour s’émanciper de la tutelle étouffante de Sarkozy » et également pour se positionner politiquement. Mais il est vrai, quand il imite le message de l’ancien président de la cour des comptes sur les équilibres budgétaires, on a du mal à y croire…
J. D.