Autant l’exposition des Offices à Florence sur Caravage et les caravagesques était décevante, autant son pendant au Palais Pitti (qui s’est terminé le 9 janvier) est intéressant, essentiellement parce que la première salle présente sept tableaux du Caravage, dont certains peu ou jamais vus (au lieu de la seule Méduse des Offices). ‘L’arracheur de dents’, daté de 1607/1610, est le plus spectaculaire, de par sa présentation d’êtres ordinaires dans une scène ordinaire, sans prétexte historique ou religieux, et son agencement comme un spectacle de violence, à la fois repoussant et attirant. Le ‘dentiste’ a une mine concentrée et sadique, le patient sanguinolent se tord, se crispe, et son genou saillant, comme jaillissant vers nous, concentre toute la violence de la scène. Mais c’est un spectacle auquel on assiste ici : les autres attendent-ils leur tour ? Ils sont en tout cas fascinés, aimantés par la scène ; l’homme à demi nu à droite, penseur dont le poing plisse la peau de la joue, observe avec attention et détachement, et l’enfant en bas à gauche ne perd pas une miette du spectacle. Les motifs géométriques du tapis forment une avant-scène, une suite décorative, comme au théâtre.
À côté de tableaux superbes et bien connus, Bacchus (1597/1598, venu des Offices) et le morbide Cupidon endormi (1608), d’un Sacrifice d’Isaac (1601/1602) à l’ange d’une sublime beauté, avec un rare paysage à l’arrière-plan, et de deux portraits moins intéressants (un cardinal et un chevalier de Malte, évoquant celui du Louvre), la découverte est ici le ‘Portrait de Maffeo Barberini’ (1596/1597), protonotaire apostolique et futur pape (Urbain VIII), qui a été prêté par la famille à qui il appartient toujours. La composition du tableau se bâtit dans un équilibre tendu entre le délicat plissé des manches émergeant de
la tunique noire et le rouge éclatant de la doublure de cette tunique fendant la toile ; ce contraste superbe fait éclater la présence du clerc, comme dérangé dans sa lecture. C’est sans aucun doute un des grands portraits du Caravage que nous avons ici.
Pour compléter le parcours, j’ai profité de mon séjour italien pour revoir ses tableaux de
Naples et aussi ceux de la Villa Borghese, avec l’autoportrait en
Bacchus verdâtre, David et Goliath / Caravage,
Saint Jérôme et surtout la sédentaire ‘Madonne des Palefreniers (ou au Serpent)’, toile décrochée de Saint-Pierrre au bout de quelques jours, tant la peau trop flétrie de Sainte Anne, la poitrine trop pigeonnante de la Vierge et le zizi trop rose de Jésus firent scandale.
Le reste de l’exposition de Florence est consacré à des tableaux de caravagesques, acquis pour la plupart par Cosme II de Médicis, avec surtout ici Manfredi, Ribera et Cavarozzi. Je laisse de plus doctes que moi en parler. Mais j’ai noté, à l’arrière-plan du ‘Reniement de Saint Pierre’ (1617/1622) du nancéien
Jean Le Clerc, ce jeu d’ombres fantastique et techniquement aberrant, avec ses deux sources de lumière divergentes.
Pas très loin, à Sienne, au Musée des Œuvres de la Cathédrale, deux tableaux de Sano di Pietro, vers 1450, montrent des prédications de Saint Bernardin, celle-ci Piazza del Campo et une autre Piazza San Francesco
devant l’église : le rideau rouge séparant les hommes des femmes m’a aussitôt fait penser à cette photographie de
Shirin Neshat, où l’assistance, écoutant un prêche sur Joseph, la femme de Putiphar, et les dangers du désir, est semblablement séparée. Sur quoi prêchait donc Saint Bernardin ?