Toute relation amoureuse évolue selon des étapes qui ont été très bien analysées par les psychologues : la passion,
la lutte pour le pouvoir, le partage du pouvoir, l’engagement et l’ouverture sur autrui.
La passion
En même temps, vous auréolez la personne convoitée : c’est votre âme sœur, votre prince, votre princesse et l’amour que
vous éprouvez l’un pour l’autre surmontera toutes les épreuves. Vous passez vos nuits à bavarder et à faire et refaire l’amour. Vous ne pouvez plus vous passer l’un de l’autre : vous êtes
éperdument amoureux, peut-être même pour la véritable première fois de votre vie. C’est la phase que l’on voudrait faire durer toujours.
Les biochimistes ont démontré que, pendant cette phase, le cerveau humain produisait une hormone appelée la
phényléthylamine. C’est cette hormone qui serait responsable des états euphoriques que l’on vit lorsqu’on est en amour. Cette hormone aurait les mêmes effets que la cocaïne. Si la personne
désirée vous quitte lors de cette période, c’est le manque, la peine d’amour. Si vous êtes un drogué de la phényléthylamine, c’est vous qui partirez lorsque vous sentirez que la passion diminue
pour trouver ailleurs une nouvelle flamme qui restimulera la production de phényléthylamine. Vous irez de passion en passion, incapable de véritable engagement amoureux.
Par contre, si vous acceptez la baisse de la passion, votre cerveau remplacera la production de phényléthylamine par la
production d’endorphines qui, elles, possèdent les mêmes propriétés que la morphine. Vous vivrez alors des jours de bonheur tranquille : vous pourrez dormir en paix, en silence, dans les bras
l’un de l’autre. Vous n’aurez jamais été aussi bien, aussi en harmonie de toute votre vie. Votre couple vous comblera.
Hélas, la passion... passe ! En fait, pendant la phase de passion, vous n’étiez pas réellement amoureux de l’autre personne
; vous étiez amoureux des sensations que l’idée que vous vous faisiez de l’autre personne provoquait dans votre corps et votre tête. Vous avez ignoré tous ses petits défauts ; vous n’avez vu et
entendu que ce qui faisait votre affaire ; vous avez mis de côté tout ce qui pouvait émousser votre passion. Et vous vous êtes mariés ou, comme disent les espagnols, vous vous êtes « mis en
maison » (casarse) ; vous avez commencé à cohabiter.
La lutte pour le pouvoir
Mais voilà que votre corps et votre tête se sont accoutumés aux effets de la phényléthylamine et des endorphines. Vous êtes
toujours heureux, heureuse, mais l’intensité de votre bonheur s’est atténuée et vous revenez progressivement sur terre. Surprise, vous vous rendez compte que votre prince charmant se conduit
parfois comme un crapaud, que votre princesse charmante sort de plus en plus régulièrement ses griffes et ses crocs. Vous prenez contact avec la personne réelle avec laquelle vous êtes en
amour.
Vous entrez dans la deuxième phase de votre relation de couple : la lutte pour le pouvoir. L’anxiété et l’insécurité de la
séduction et de la passion vous forçaient à vous montrer sous votre meilleur jour ; la sécurité de votre bonheur et la certitude que l’autre vous aime vous permettent de vous laisser aller et de
vous montrer sous votre vrai jour. Vous ne faites plus semblant, vous êtes vous-mêmes et vous commencez à dire et même à exiger ce que vous attendez de votre relation de couple. Vous l’aviez déjà
dit, mais l’autre vous admirait et il(elle) n’a pas réellement entendu ce que vous disiez. S’il est vrai que l’amour est aveugle, il rend aussi sourd.
C’est alors que vous vous rendez compte que l’autre ne partage pas tout à fait vos points de vue sur les loisirs, l’argent,
le choix de la maison, la répartition des tâches ménagères, le nombre et l’éducation des enfants, les ami(e)s, la fréquence des rapports sexuels, le type et l’endroit de vos vacances, le choix
des films… en fait, la façon d’aimer et de s’investir dans le couple.
Vous vous rendez compte qu’il met l’accent sur sa carrière, alors que vous voudriez qu’il s’occupe davantage de la famille.
Vous vous rendez compte qu’elle veut bien faire l’amour, mais à sa manière. Vous êtes méticuleuse, il laisse tout traîner. Vous adorez les argumentations serrées, elle met de l’émotion partout.
Vous aimez les grands rassemblements de famille, il préfère aller à la chasse ou à la pêche avec ses amis. Vous aimez lire votre journal le matin, elle a toujours quelque chose à vous reprocher.
Vous aimez les téléromans ; il préfère les émissions sportives. Il projette une retraite dans le sud ; vous préfèreriez être près de vos petits-enfants. Ainsi de suite.
Cette lutte pour le pouvoir est inévitable et même nécessaire. C’est cette lutte qui permet de savoir à qui l’on a affaire
et qui nous permet d’affirmer nos besoins et attentes face au couple. Cette lutte amène les deux partenaires à se situer l’un par rapport à l’autre. Malheureusement, la majorité des couples
s’enlise dans cette lutte et s’engage dans des impasses :
« C’est toi qui as commencé ! » « Non, c’est toi ! »
« Si tu m’écoutais aussi quand je te parle. »
« Toi et ta maudite famille ! Vous êtes tous pareils. »
« Si t’arrêtais de critiquer pour faire changement. »
« Si tu ne remettais pas toujours tout à demain. »
« Si tu te ramassais, aussi. »
« Si tu faisais un homme (une femme) de toi. »
« Qu’est-ce j’ai fait au bon Dieu pour me retrouver avec toi? »
« On dirait que tu le fais exprès. »
« Je te l’avais bien dit. »
« Tu les (en parlant des enfants) laisses toujours en faire à leur tête. »
« Tu n’as qu’à t’en occuper un peu plus (des enfants). »
« Tu veux toujours avoir raison ».
« De toute façon, tu ne comprendras jamais rien ».
« Bon, c’est reparti ! »
« C’est ça, va-t-en ! »
Ces paroles vous sont familières. Ne vous en faites pas, vous êtes normaux. Nos deux amants intimes et passionnés
deviennent, lors de cette phase, deux ennemis intimes. Tous les deux s’aiment et veulent continuer de s’aimer, mais les frictions sont de plus en plus nombreuses. Ces frictions sont dues aux
différences existant entre les hommes et les femmes, aux différences existant entre cet homme particulier et cette femme particulière ; elles sont aussi dues à nos attentes frustrées face à la
vie de couple et au paradoxe de la passion, i.e. la coexistence du besoin de fusion passionnelle et du besoin d'autonomie.
À ce stade, se joue l’avenir du couple. Plus de la moitié des couples divorceront et beaucoup répèteront la même dynamique
avec un nouveau partenaire. Trente pour-cent 30 % des couples se résigneront, développeront une relation de couple déséquilibrée, se feront une guerre entrecoupée de périodes d’accalmies (sursaut
de production de phényléthylamine) et rechercheront des compensations dans le travail, la famille ou ailleurs. À peine 20 % des couples réussiront à transformer cette lutte inévitable pour le
pouvoir en partage du pouvoir, troisième étape de la vie de couple.
Le partage du pouvoir
Pour bien comprendre la dynamique du couple, comparons-le à une journée. Une journée est constituée d’un jour et d’une nuit
dont la durée varie selon les saisons. Le jour est rempli de lumière et d’activités. La nuit est remplie d’obscurité et de repos. À l’aube et au crépuscule, le jour et la nuit se rencontrent. Ces
deux périodes sont remplies d’harmonie et de paix : il ne fait ni jour, ni nuit ; il ne vente pas ; les oiseaux ne chantent plus ; le temps est comme suspendu. On le voit, le jour et la nuit se
complètent pour former la journée, comme le Yin et le Yang le font pour constituer le Tao.
L’homme possède des facultés qui lui sont uniques et une façon bien à lui d’envisager la vie et le couple ; la femme
possède des facultés qui lui sont uniques et une façon bien à elle d’envisager la vie et le couple. La femme peut remplir des fonctions (grossesse, enfantement et allaitement, séduction,
préoccupations relationnelles, réceptivité, capacité de relation symbiotique) que l’homme ne peut remplir, ni même comprendre. L’homme possède des capacités (force physique, créativité
matérielle, esprit de compétition, intrusivité, instinct de chasseur, besoin d’indépendance) que la femme ne peut égaler ni même comprendre. On ne peut demander à l’homme de remplir les fonctions
féminines et vice-versa, tout comme on ne peut demander à la nuit de remplir les fonctions du jour et vice-versa. On ne peut demander aux deux que de se compléter pour former un tout. La femme ne
peut demander à l’homme de vibrer symbiotiquement avec elle comme elle peut le faire avec son foetus ; l’homme ne peut s’attendre à ce que sa femme « embarque » dans ses activités comme il peut
le vivre avec ses amis ou associés. Ces deux attentes sont des illusions parmi tant dautres.
Dans le partage du pouvoir, l’un et l’autre, après avoir pris connaissance des particularités individuelles de cet homme et
de cette femme, acceptent d’utiliser ces particularités, différentes et parfois contradictoires, pour former leur couple. L’un et l’autre ne cherchent plus à transformer l’autre pour répondre à
ses attentes propres ; l’un et l’autre n’accusent plus l’autre d’être le responsable de la frustation de ses illusions adolescentes face au couple. Les deux prennent conscience qu’ils sont amants
et ennemis intimes (il y aura toujours des différends même dans les couples les plus heureux), mais les deux mettent dorénavant l’accent sur l’intimité et l’apport personnel, quoique différent,
de chacun dans ce couple unique. Les deux exploitent les qualités de l’autre au profit du couple (et de la famille). Les deux partagent le pouvoir qu’ils transfèrent maintenant au couple,
comprenant que seul le couple, et non pas l’autre, peut satisfaire les besoins de chacun.
L’engagement
L’un des principaux indices démontrant que le couple a partagé le pouvoir et qu’il est prêt à entrer dans la quatrième
phase de son évolution, c’est qu’il lui est devenu maintenant plus facile de redire « Je t’aime ». Durant la lutte pour le pouvoir, « Je t’aime » était souvent étouffé par « Je te déteste ».
Durant cette phase, dire « Je t’aime » équivalait à donner plus de pouvoir à l’autre. Le «Je t’aime» de la troisième phase n’a plus du tout la même signification que le « Je te mangerais » de la
passion fusionnelle. Il signifie plutôt « Je m’engage »
« Je connais maintenant tes défauts et tes qualités, tes forces et tes faiblesses, et je les accepte, même si des fois…
»
« Tu n’es plus la belle princesse charmante à laquelle j’avais rêvé, tu n’es plus le prince charmant et fort de mes
rêveries, ton corps a même subi l’épreuve du temps, mais je suis si bien avec toi. »
« Je connais un peu mieux tes besoins et tes attentes face à Nous et je m’engage à tout faire pour les satisfaire; nous
savons très bien que je n’y parviendrai pas, mais je sais que tu va apprécier mes efforts.»
« Je ne veux plus te changer, je t’accepte tel(le) que tu es. »
«Tu n’es pas le partenaire idéal, j’aurais pu vivre avec quelqu’un d’autre, mais je suis content(e) du chemin que Nous a
parcouru et je veux continuer de vieillir avec ce Nous.»
Le « Je t’aime » de la quatrième phase signifie en fait « Je Nous aime ». Les deux amants sont devenus de réels complices.
C’est à cette étape-ci que l’on devrait contracter mariage et non au moment de la passion aveuglante.
Ouverture sur autrui
Il est facile, au restaurant par exemple, de différencier les vieux couples qui s’aiment de ceux qui se sont fait la guerre
et qui ne parviennent plus à communiquer. Les couples heureux se touchent, se regardent, se parlent ; leurs yeux sont pétillants ; ils sont animés. Ils respirent l’harmonie et la paix et
deviennent, pour nous, des exemples que la vie à deux est possible. C’est ce que j’appelle l’ouverture sur autrui, la dernière étape de l’évolution du couple.
D’ailleurs, ces couples, souvent à la retraite, s’impliquent socialement, font du travail bénévole ou sont tout simplement
toujours prêts à partager leur bonheur avec leurs enfants, leurs petits-enfants, leur entourage immédiat et lointain. Ils font preuve d’une très grande réceptivité, ayant été, malgré les épreuves
inévitables de la vie, comblés par celle-ci. Ils deviennent des modèles à imiter et sont souvent des modèles enviés.
À l’inverse, il est facile aussi d’identifier, toujours au restaurant, les couples qui en sont encore à l’étape de la
passion ou ceux qui n’ont jamais surmonté la lutte pour le pouvoir. Ces derniers échangent à peine quelques propos ; l’homme lit souvent un journal ou jette des regards tout autour ; la femme,
tête baissée, regarde son mari par en-dessous, espérant qu’il s’intéresse à elle et lui en voulant de ne pas le faire. La tension entre les deux est évidente tout comme, pour les jeunes couples,
la passion est évidente parce que rien n'existe autour d'eux.
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Dans la réalité, ces étapes ne sont évidemment pas aussi tranchées ; elles s’imbriquent et se superposent. Mais elles
illustrent bien les grandes étapes à travers lesquelles évoluent tous les couples. Nous aurons l'occasion, dans les prochains numéros de Corps et Âme, de revenir sur les différences existant
entre les hommes et les femmes afin de mieux comprendre les mécanismes qui font qu'un couple peut être heureux et complémentaire ou en guerre et très malheureux.
Yvon Dallaire