…particulièrement pour la Halde et le contrôleur général des lieux de privation de liberté
par Serge Slama
Ce mardi 11 janvier a débuté à l’Assemblée l’examen en première lecture du projet de loi organique portant création du Défenseur des droits prévu à l’article 71-1 de la Constitution dans sa version issue de la réforme du 23 juillet 2008. Celui-ci prévoit que le Défenseur des droits (DDD) absorbera le Médiateur de la République (ce que nul ne conteste) mais aussi la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), le Défenseur des enfants (DDE), la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) et, lorsque le mandat de M. Delarue s’achèvera en 2014, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL). On sait que cette fusion-absorption est critiquée de toutes parts - sauf par le Médiateur de la République (devenu président du conseil économique social et environnemental). Les critiques ne portent pas tant sur le principe même de création d’un Défenseur des droits - cette constitutionnalisation sur le modèle du Défenseur du Peuple espagnol est saluée comme un progrès de l’Etat de droit - mais sur les modalités qui dissimulent (très mal) une opération politique visant à étouffer des contre-pouvoirs qui ont régulièrement contesté l’action des pouvoirs publics et les politiques menées par les gouvernements en place (de gauche ou de droite) lorsqu’elles produisent des dérives policières, des atteintes aux droits des enfants, des discriminations (notamment mais pas suelement en droit des étrangers) ou de mauvaises conditions de détention (v. pour une synthèse en 5 points réussie sur cette polémique : François Krug, Nolwenn Le Blevennec, Pascal Riché, Augustin Scalbert et Zineb Dryef, “Le Défenseur des droits, un recul des contre-pouvoirs ?“, Rue89 | 11/01/2011 | 13H41. ).
Mais l’objet de ce billet est de montrer que l’absorption par le Défenseur des droits de ces autorités indépendantes - hormis le Médiateur - est contraire à la Constitution et, pour la Halde (I.) et le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (II) cela serait aussi contraire aux engagements internationaux/ européens de la France, principalement parce qu’une partie du champ de compétence de ces autorités couvre l’activité de personnes privées. Or si certains engagements internationaux et européens imposent une telle compétence la Constitution s’y oppose. Une nouvelle fois, le législateur est pris entre le marteau du droit de l’UE et l’enclume constitutionnelle…
1. Halde : une existence garantie par le droit de l’Union européenne
On a tendance à l’oublier mais la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité trouve son origine dans une disposition d’une directive de l’Union européenne. L’article 13 de la Directive 2000/43/CE du Conseil du 29 juin 2000 relative à la mise en oeuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique prévoyait, avant le 19 juillet 2003 (date de transposition) la mise en oeuvre d’un ou plusieurs “organismes” chargé “à l’échelon national” d’une part de promouvoir l’égalité de traitement sans discrimination raciale ou ethnique (études, rapport, recommandations) et d’autre part d’assister individuellement les victimes de discriminations dans les procédures
“CHAPITRE III
ORGANISMES DE PROMOTION DE L’ÉGALITÉ DE TRAITEMENT
Article 13
1. Les États membres désignent un ou plusieurs organismes chargés de promouvoir l’égalité de traitement entre toutes les personnes sans discrimination fondée sur la race ou l’origine ethnique. Ils peuvent faire partie d’organes chargés de défendre à l’échelon national les droits de l’homme ou de protéger les droits des personnes.
2. Les États membres font en sorte que ces organismes aient pour compétence:
- sans préjudice des droits des victimes et des associations, organisations et autres personnes morales visées à l’article 7, paragraphe 2, d’apporter aux personnes victimes d’une discrimination une aide indépendante pour engager une procédure pour discrimination,
- de conduire des études indépendantes concernant les discriminations,
- de publier des rapports indépendants et d’émettre des recommandations sur toutes les questions liées à ces discriminations.”
On rappelera que pour mettre en oeuvre cette obligation le gouvernement Jospin avait d’abord mis en place une véritable usine à gaz reposant d’une part sur le Groupe d’études des discriminations (GED) [devenu ensuite Groupe d’études et de lutte contre les discriminations (GELD)], conçu comme un « observatoire » regroupant des administrations et des partenaires privés et placé sous la houlette du ministre de l’Emploi et de la solidarité, Martine Aubry et d’autre part sur les commissions départementales d’accès à la citoyenneté (CODAC), grand messe anti-discriminatoire, placées sous l’égide du ministre de l’intérieur, Jean-Pierre Chevènement et dans les départements du préfet (Circ. 18 janv. 1999, NOR : INTDA9900013). A la suite des assises de la citoyenneté, les CODAC avaient vu leur rôle élargi notamment en recevant le soin de traiter les signalements de discrimination raciale transmis par l’intermédiaire du « 114 » (Circ. DPM/ACI 2 n° 2001-526, 30 oct. 2001). Evidemment les signalements concernant les discriminations commises par les services de l’Etat n’ont jamais abouti. D’ailleurs aucun signalement n’a jamais abouti - ou presque.
En mars 1999, c’est dans un rapport va prendre corps l’idée de la création d’une autorité indépendante pour lutter plus efficacement et dans une démarche universelle contre les discriminations, à l’image d’expériences étrangères en la matière (J.-M. Belorgey, Lutter contre les discriminations, MSH, 2001). C’est à la suite d’une recrudescence d’actes racistes et antisémites, que le Président de la République, Jacque Chirac, a annoncé le 14 octobre 2002 dans un discours tenu à Troyes la création d’une autorité indépendante pour lutter, « au-delà même de celles dont peuvent être victimes les personnes d’origine étrangère » contre « toutes les formes de discriminations qu’elles proviennent du racisme, de l’intolérance religieuse, du sexisme ou de l’homophobie ». L’année suivante, une commission placée sous l’autorité de Bernard Stasi, ancien médiateur, recommandait la création de la Halde pour mettre en oeuvre l’article 13 de la directive 2000/43 CE et émettait le vœu qu’elle bénéficie de « moyens humains et financiers lui permettant d’exercer efficacement ses pouvoirs » (Rapport Stasi, Vers la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, rapport au Premier ministre, Doc. fr., 2004). Faisant l’objet d’un assez large consensus politique, la loi reprise dans ses grandes lignes les propositions de la commission Stasi.
Or, l’article 1er de la loi du 30 décembre 2004 confia à la Halde la compétence “pour connaître de toutes les discriminations, directes ou indirectes, prohibées par la loi ou par un engagement international auquel la France est partie”.(L. no 2004-1486, 30 déc. 2004). Cela était conforme à la directive 2000/43 CE puisque l’organisme créé devait être compétent pour toute forme de discrimination raciale ou ethnique directe ou indirecte qu’elle soit commise par une personne publique ou une personne privée et quel que soit le domaine.
L’article 19 de la loi précisait alors, de manière assez large, que:
TITRE II : MISE EN OEUVRE DU PRINCIPE DE L’ÉGALITÉ DE TRAITEMENT ENTRE LES PERSONNES SANS DISTINCTION D’ORIGINE ETHNIQUE ET PORTANT TRANSPOSITION DE LA DIRECTIVE N° 2000/43/CE DU 29 JUIN 2000
Article 19
“En matière de protection sociale, de santé, d’avantages sociaux, d’éducation, d’accès aux biens et services, de fournitures de biens et services, d’affiliation et d’engagement dans une organisation syndicale ou professionnelle, y compris d’avantages procurés par elle, ainsi que d’accès à l’emploi, d’emploi et de travail indépendants ou non salariés, chacun a droit à un traitement égal, quelles que soient son origine nationale, son appartenance ou non-appartenance vraie ou supposée à une ethnie ou une race.
Toute personne qui s’estime victime d’une discrimination directe ou indirecte en ces domaines établit devant la juridiction compétente les faits qui permettent d’en présumer l’existence. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que la mesure en cause est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Le précédent alinéa ne s’applique pas devant les juridictions pénale s.”
Pour des raisons assez techiques, cette disposition a été estimée comme ne transposant pas totalement les directives UE relatives à l’égalité des chances (notamment la notion d’harcèlement discriminatoire). Elle fut donc abrogée par l’article 9 de la loi no 2008-496 du 27 mai 2008 et remplacée par des dispositions ne faisant pas mention de l’origine nationale (L. no 2008-496, 27 mai 2008 [ D’ailleurs comme l’a constaté la Halde dans une recommandation du 15 décembre 2008 (n°2008-281), la clause de standstill figurant dans les directives relatives à l’égalité des chances empêchait le législateur d’adopter pareille régression]).
TITRE II : MISE EN OEUVRE DU PRINCIPE DE L’ÉGALITÉ DE TRAITEMENT ENTRE LES PERSONNES SANS DISTINCTION D’ORIGINE ETHNIQUE ET PORTANT TRANSPOSITION DE LA DIRECTIVE N° 2000/43/CE DU 29 JUIN 2000
Article 19En matière de protection sociale, de santé, d’avantages sociaux, d’éducation, d’accès aux biens et services, de fournitures de biens et services, d’affiliation et d’engagement dans une organisation syndicale ou professionnelle, y compris d’avantages procurés par elle, ainsi que d’accès à l’emploi, d’emploi et de travail indépendants ou non salariés, chacun a droit à un traitement égal, quelles que soient son origine nationale, son appartenance ou non-appartenance vraie ou supposée à une ethnie ou une race.
Toute personne qui s’estime victime d’une discrimination directe ou indirecte en ces domaines établit devant la juridiction compétente les faits qui permettent d’en présumer l’existence. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que la mesure en cause est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Le précédent alinéa ne s’applique pas devant les juridictions pénales.”
A ce stade, il est juste important de noter que la Halde est compétente pour l’ensemble des discriminations, directes ou indirectes, prohibées par les lois et les engagements internationaux de la France qu’elles émanent d’une personne publique ou d’une personne privée.
1.2. Or, c’est là où le bas blasse. Il est en effet difficile au législateur organique de respecter à la fois la Constitution et la directive 2000/43 CE. En effet rappelons le contenu de l’article 71-1 de la Constitution révisée en 2008:
Titre XI bis - Le Défenseur des droits
“Art. 71-1. - [Entrée en vigueur dans les conditions fixées par les lois et lois organiques nécessaires à leur application (article 46-I de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008)] Le Défenseur des droits veille au respect des droits et libertés par les administrations de l’État, les collectivités territoriales, les établissements publics, ainsi que par tout organisme investi d’une mission de service public, ou à l’égard duquel la loi organique lui attribue des compétences.
Il peut être saisi, dans les conditions prévues par la loi organique, par toute personne s’estimant lésée par le fonctionnement d’un service public ou d’un organisme visé au premier alinéa. Il peut se saisir d’office.
La loi organique définit les attributions et les modalités d’intervention du Défenseur des droits. Elle détermine les conditions dans lesquelles il peut être assisté par un collège pour l’exercice de certaines de ses attributions.
Le Défenseur des droits est nommé par le Président de la République pour un mandat de six ans non renouvelable, après application de la procédure prévue au dernier alinéa de l’article 13. Ses fonctions sont incompatibles avec celles de membre du Gouvernement et de membre du Parlement. Les autres incompatibilités sont fixées par la loi organique.
Le Défenseur des droits rend compte de son activité au Président de la République et au Parlement.”
Une lecture attentive nous permet de dire que le DDD est constitutionnellement compétent pour veiller au respect des droits et libertés par les personnes publiques, les organismes publics ou privés chargés d’une mission de service public mais aussi les “organismes” - et il faut souligner le terme utilisé par le Constituant - “à l’égard duquel la loi organique lui attribue des compétences”.
Dans la version du projet de loi adopté en première lecture au Sénat, les sénateurs avaient foncé bille en tête vers l’inconstitutionnalité en prévoyant que :
DISPOSITIONS RELATIVES AUX COMPÉTENCES
ET À LA SAISINE DU DÉFENSEUR DES DROITS
Article 4
“Toute personne physique ou morale s’estimant lésée dans ses droits et libertés par le fonctionnement d’une administration de l’État, d’une collectivité territoriale, d’un établissement public ou d’un organisme investi d’une mission de service public peut saisir le Défenseur des droits par voie de réclamation.
Le Défenseur des droits peut être saisi des agissements de personnes privées lorsque l’auteur de la réclamation invoque la protection des droits de l’enfant, un manquement aux règles de déontologie dans le domaine de la sécurité ou une discrimination.”
Probablement conscient du risque d’inconstitutionnalité, la commission des lois de l’Assemblée a modifié la rédaction de cette disposition par un amendement présenté comme “rédactionnel” par le président Warsmann (v. rapport 2991 du 1er décembre 2010) mais qui, en réalité, vise sûrement à assurer la conformité avec la directive 2000/43/CE
Article 4
“Le Défenseur des droits est chargé :
1° De défendre les droits et libertés dans le cadre des relations avec les administrations de l’État, les collectivités territoriales, les établissements publics et les organismes investis d’une mission de service public ;
2° De défendre et de promouvoir les droits de l’enfant consacrés par la loi ou par un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France ;
3° De lutter contre les discriminations, directes ou indirectes, prohibées par la loi ou par un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France ainsi que de promouvoir l’égalité ;
4° De veiller au respect de la déontologie par les personnes exerçant des activités de sécurité sur le territoire de la République ;
5° De contrôler les conditions de prise en charge et de transfèrement des personnes privées de liberté afin de s’assurer du respect de leurs droits fondamentaux.”
On retrouve donc la rédaction de l’article 1er de la loi du 30 décembre 2004. Comme elle donne un très large champ de compétence au Défenseur des droits s’agissant des discriminations, aussi bien directes qu’indirectes, prohibées par le droit français comme par les normes internationales, une telle rédaction est compatible avec la directive 2000/473/CE
Surtout que l’article 5 prévoit que :
“Le Défenseur des droits est saisi des réclamations qui lui sont adressées :
1° Par toute personne physique ou morale lorsqu’elle s’estime lésée dans ses droits et libertés par le fonctionnement d’une administration de l’État, d’une collectivité territoriale, d’un établissement public ou d’un organisme investi d’une mission de service public ;
2° Par un enfant lorsqu’il invoque la protection de ses droits ou une situation mettant en cause son intérêt ;
3° Par toute personne qui s’estime victime d’une discrimination, directe ou indirecte, prohibée par la loi ou par un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France ;“
Mais, du coup, le Défenseur des droits sera aussi compétent pour les discriminations émanant de personnes privées. En effet, aussi bien les lois françaises (225-1 du Code pénal, loi 2008, code du travail, etc.) que les engagements internationaux de la France (article 26 du PIDESC, article 14 CEDH, directives égalité de traitement) appréhendent les discriminations interpersonnelles (ou “horizontales”). Et on retombe sur la même difficulté : un tel champ de compétence n’est-il pas contraire à la Constitution qui, on l’a relevé, attribue compétence au DDD pour les “organismes” - et non les personnes. Or, on peut tordre le problème dans tous les sens, des personnes de droit privé, surtout les personnes physiques, ne sont pas des organismes (en tout cas juridiquement car ce sont bien des organismes vivants, mais il serait étonnant que le Conseil constitutionnel retienne une telle conception naturaliste).
La même difficulté se pose d’ailleurs pour la CNDS, le Défenseur des enfants ou le CGLPL qui, eux-aussi, exercent des compétences à l’égard des personnes physiques (salariés d’entreprises de sécurité pour la CNDS; conflits parentaux, par exemple, pour la DDE et privation de liberté par des prestataires privés pour le CGLPL). En somme, seul le Médiateur de la République n’est pas concerné. Ce qui n’a rien d’étonnant puisque l’article 71-1 a été taillé à sa mesure…
NB: comme toute loi organique cette loi organique sera nécessairement examinée par le Conseil constitutionnel
Cette première difficulté se dédouble d’une seconde difficulté spécifique à la Halde.
On l’a vu, l’article 13 de la directive 2000/43 CE prévoit que “1. Les États membres désignent un ou plusieurs organismes chargés de promouvoir l’égalité de traitement entre toutes les personnes sans discrimination fondée sur la race ou l’origine ethnique. Ils peuvent faire partie d’organes chargés de défendre à l’échelon national les droits de l’homme ou de protéger les droits des personnes.”.Or, si on examine le projet de loi organique, l’absorption de la Halde par le DDE ne maitient pas la compétence de lutte contre les discriminations et de promotion de l’égalité sous la forme d’un “organisme” - c’est-à-dire d’un ensemble autonome de services ou de bureaux affectés à une tâche - mais comme une simple compétence du Défenseur des droits qui peut proposer au Premier ministre de lui adjoindre un Défenseur adjoint chargé de la lutte contre les discriminations mais qui n’aura aucun pouvoir propre mais agira sur délégation et sous son autorité (article 11 A du projet). Le collège chargé de la lutte contre la discrimination n’a pas davantage de pouvoirs et peut simplement, à la demande et sous la présidence du DDD, émettre des avis (article 12 bis) et avec une composition qui est loin d’être satisfaisante. En outre, l’article 71-1 de la Constitution prévoit l’existence potentielle d’un seul collège et non de plusieurs pour aider le DDE dans l’exercice de ses attributions.
Enfin, la directive 2000/43 CE contient, on l’a dit, une clause de stand still (considérant (25) “La mise en oeuvre de la présente directive ne peut justifier une régression par rapport à la situation existant dans chaque État membre.”). Il n’est donc pas possible au législateur organique - ni d’ailleur au Constituant - d’adopter un dispositif qui serait en retrait par rapport à celui issu de la loi du 30 décembre 2004 créant la Halde. Si l’effet cliquet n’existe plus dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, le droit de l’UE produit parfois un effet équivalent de “non retour en arrière”.
Plus rapidement, il est aussi possible d’envisager la même impossibilité d’absorber totalement le CGLPL, comme cela est prévu.
2. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, le mécanisme national de prévention (MNP) découlant d’un pacte additionnel des nations unies
Là aussi c’est largement oublié mais la mise en place du CGLPL est liée à la ratification par la France d’unprotocole facultatif de 2002 à la Convention des nations unies contre la torture et autres peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants de 1984. Or, le rapporteur de la Commission des lois de l’Assemblée a annoncé que serait “transférée au Défenseur des droits la mission de contrôle des conditions de prise en charge et de transfèrement des personnes privées de liberté (…) actuellement exercée par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté [qui] entre pleinement dans le champ de la défense des droits et libertés (…) à l’issue du mandat de l’actuel Contrôleur, soit en juin 2014, afin de laisser à cette jeune autorité administrative indépendante, qui a été créée fin 2007 et s’est mise en place à la fin du premier semestre 2008, un temps suffisant pour mettre en place une culture de contrôle qui pourra ensuite perdurer par-delà son intégration dans le Défenseur des droits“.
2.1. Or, en premier lieu, comme cela a déjà été dit, la compétence du CGLPL ne se limite par aux seuls organismes publics ni même aux organismes chargés d’une mission de service public mais à tout lieu “placé sous [la] juridiction ou sous [le] contrôle où se trouvent ou pourraient se trouver des personnes privées de liberté sur l’ordre d’une autorité publique ou à son instigation, ou avec son consentement exprès ou tacite (ci-après dénommé lieu de détention)” étant précisé qu’ “on entend par privation de liberté toute forme de détention ou d’emprisonnement, ou le placement d’une personne dans un établissement public ou privé de surveillance dont elle n’est pas autorisée à sortir à son gré, ordonné par une autorité judiciaire ou administrative ou toute autre autorité publique” (article 4).
Il n’est donc acquis que si l’intégration du CGLPL au DDE en 2014 est confirmée par l’Assemblée cela soit conforme à la fois à la Constitution et à cet engagement international que la France a ratifié.
Au passage on observera que l‘article 8 de la loi du 30 décembre 2007 créant le CGLPL est contraire à cette convention internationale car sa compétence est limitée au “territoire de la République” alors que le protocole prévoit clairement que le MNP doit avoir compétence pour visiter tout lieu placé “sous la juridiction” de la France. Autrement dit, le Contrôleur général, et son équipe de contrôleurs, devraient pouvoir visiter un batiment battant pavillon français en haute mer, y compris un navire militaire, une patrouille “frontex” interceptant des sans-papiers en Méditerranée si elle est sous la responsabilité de la France ou encore un camp de détention en Afghanistan ou dans d’autres théâtres où les Armées françaises sont engagées et exercent la souveraineté sur un territoire.
2.2. En second lieu, si cette intégration est confirmée elle devra nécessairement respecter les prescriptions du protocole factultatif en terme d’indépendance dans l’exercice des fonctions et du personnel et de moyens mis à la disposition des contrôleurs.
Article 17
“Chaque État Partie administre, désigne ou met en place au plus tard un an près l’entrée en vigueur ou la ratification du présent Protocole, ou son adhésion dudit Protocole, un ou plusieurs mécanismes nationaux de prévention indépendants en vue de prévenir la torture à l’échelon national. Les mécanismes mis en place par des entités décentralisées pourront être désignés comme mécanismes nationaux de prévention aux fins du présent Protocole, s’ils sont conformes à ses dispositions.
Article 18
1. Les États Parties garantissent l’indépendance des mécanismes nationaux de prévention dans l’exercice de leurs fonctions et l’indépendance de leur personnel.
2. Les États Parties prennent les mesures nécessaires pour veiller à ce que les experts du mécanisme national de prévention possèdent les compétences et les connaissances professionnelles requises. Ils s’efforcent d’assurer l’équilibre entre les sexes et une représentation adéquate des groupes ethniques et minoritaires du pays [disposition vraisemblablement contraire à la Constitution française mais non contrôlée].
3. Les États Parties s’engagent à dégager les ressources nécessaires au fonctionnement des mécanismes nationaux de prévention.
4. Lorsqu’ils mettent en place les mécanismes nationaux de prévention, les États Parties tiennent dûment compte des Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme.
Sera-t-il possible de respecter de telles exigences au sein du mastodonte que sera le Défenseur des droits en confiant simplement la mission de contrôle des lieux de privation de liberté à un Défenseur adjoint sans pouvoirs propres ? Rien n’est moins sûr….
Au bilan si la création d’un Défenseur des droits émanant de la Constitution est, à mon sens, une bonne idée on constate que dans la mise en oeuvre la disposition constitutionnelle est assez mal rédigée et que la loi organique réalise difficilement la conciliation entre respect de la Constitution, des engagements internationaux de la France et de la volonté politique du pouvoir en place - et de sa méthode “rouleau compresseur”.
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- François Krug, Nolwenn Le Blevennec, Pascal Riché, Augustin Scalbert et Zineb Dryef, “Le Défenseur des droits, un recul des contre-pouvoirs ?“, Rue89 | 11/01/2011 | 13H41
- G. Garrigos, “Le gouvernement veut-il instaurer un défenseur des droits au rabais ? “, Le Monde 10 janvier 2011
“Institué par la révision constitutionnelle de 2008, le défenseur des droits que chacun pourrait saisir directement et qui pourrait se saisir d’office, avait de quoi séduire. Pourtant, adopté en l’état, le projet de loi organique, examiné par les députés à partir du 11 janvier, marquerait un recul important pour le respect et la protection des droits humains en France.”
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NB: ce billet est un peu technique. Mais cela m’apparaît utile pour faire une vraie démonstration juridique qui pourra servir de base à d’éventuelles actions.
NB 2 : j’ai déjà exposé cette idée lors d’une intervention à l’occasion du dernier colloque de Droit & démocratie sur le Défenseur des droits
NB 3: à titre personnel je suis favorable à la création du Défenseur des droits, y compris en absorbant les autres autorités indépendantes. Il est vrai que dans l’immédiat on y voit une opération politique visant à étouffer certaines critiques dérangeantes. Néanmoins d’ici une dizaine d’années on se félicitera de l’existence d’un Défenseur des droits, tirant sa légitimité de la Constitution et bénéficiant d’importants pouvoirs
Le vendredi 27 mai se déroulera au Panthéon-Sorbonne un colloque organisé par le CERSA et le CREDOF sur le Défenseur des droits.