Mer (Katherine Mansfield)

Par Arbrealettres


Mer

La Mer a appelé. J’étais couchée sur les rochers.
- Je suis venue, ai-je dit.
Elle a ricané, montré les dents,
Allongeant ses grands bras verts.
- Va-t-en, a-t-elle rugi.
- Dis-moi alors ce que je devrais faire.
Si je m’en vais, tu ne te tairas pas,
Mais crieras mon nom à travers les villes,
Et par les plaines et les forêts m’imploreras.
J’ai tout quitté pour toi: que veux -tu que je fasse?
- Jamais, gronda- t-elle, je n’ai prononcé ton nom.
Il n’y a rien de moi dans ton corps
Que ces petites larmes salées que tu es effrayée de verser.
Que sais-tu de mon amour sur ton sombre oreiller de rochers?
Viens… Approche…

***

Sea

The Sea called — I lay on the rocks and said:
« I am come ».
She mocked and showed her teeth,
Stretching out her long green arms.
« Go away ! » she thundered.
« Then tell me what I am to do », I begged.
« If I leave you, you will not be silent,
But cry my name in the cities
And wistfully entreat me in the plains and forests;
All else I forsake to come to you — what must I do? »
« Never have I uttered your name », snarled the Sea.
« There is no more of me in your body
Than the little salt tears you are frightened of shedding.
What can you know of my love on your brown rock pillow?…
Come closer ».

(Katherine Mansfield)


Illustration: Sabin Balasa