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La communication des ONG humanitaires : un récit prévisible ?

Publié le 11 janvier 2011 par Cassandria @cassandriablog

quand deux articles se complètent sur le même questionnement, plus de développement ici que le mien.

par Pascal Dauvin, pour Grotius, le 10 janvier 2011

Le mardi 12 janvier 2010, un séisme de magnitude 7 dévaste Haïti. Très vite, des images et des commentaires témoignent de l’ampleur du désastre, contribuant à créer une «catastrophe événementielle».

L’expression ne vise évidemment pas à nier le tremblement de terre et ses effets dévastateurs : elle signifie simplement que ce qui est montré, aussi «naturel» que cela puisse nous paraître, résulte d’une construction, c’est-à-dire, pour l’expliquer trop rapidement, d’une série d’interdépendances entre des acteurs (les ONG et les médias) pris dans des systèmes de contraintes spécifiques (récolter des dons, faire de l’information).

Les commentateurs interrogent généralement cette construction sous l’angle des relations ambivalentes entre ONG et médias. Les propos – qui se font écho – négligent le rôle des ONG dans la représentation de la catastrophe. Ce rôle est devenu pourtant essentiel.  Il nécessite la mobilisation de savoir-faire spécialisés pour récolter les fonds nécessaires aux secours et distinguer les ONG sur un «marché» de plus en plus concurrentiel. Le travail des communicants, et plus largement des porte-parole des ONG, s’inscrit alors  dans un canevas prévisible et séquencé. Il s’agit en effet de proposer des cadrages ajustés aux attentes des médias et des donateurs, tout en anticipant, contrôlant ou provoquant les polémiques sur la régulation de l’aide.

L’inflation communicationnelle

Alerter et alarmer sont les maîtres mots de la première phase communicationnelle. C’est d’ailleurs l’intérêt commun des différents protagonistes : autorités, agences onusiennes, médias et ONG. Pour ces dernières, il s’agit d’une séquence décisive pour se poser en interlocuteur incontournable et s’assurer d’une bonne visibilité médiatique. La tentation est alors grande, à ce moment, de lancer des appels de fonds avant même de savoir ce qui est souhaitable et faisable du point de vue opérationnel. Durant cette première phase, les ONG ne réagissent pas toutes de la même manière. Elles vont dans les deux premiers jours proposer des cadrages différents selon leurs objectifs et selon les informations dont elles disposent : faire témoigner les équipes et montrer, en fonction de leur spécialité, soit l’afflux de blessés (CICR, MSF), soit la distribution d’aide d’urgence (CARE), signaler l’envoi d’une mission d’urgence (MDM, ACF), mobilisation l’opinion (UNICEF, HI), appeler aux dons (CARE, ACF, UNCEF, HI).

À ce premier temps marqué par un fort intérêt pour les chiffres et l’évaluation des besoins, succède une mise en discours du passage à l’action des ONG. Leur stratégie de communication est définie logiquement autour de la recherche de financement et de la reconnaissance de leur opérationnalité, même si ces finalités, nécessairement mêlées, peuvent être, là encore, exposées différemment. MSF et MDM mettent en avant d’abord leur action médicale ; d’autres misent sur l’appel au don, soit ouvertement (ACF, la Fondation de France), soit plus discrètement (CARE). Toutes les organisations, quels que soient les objectifs, valorisent cependant la dialectique du Sauveur et de la Victime. Cette dialectique devient le ressort essentiel de la rhétorique humanitaire, qu’elle passe par les relations avec la presse, les mailings, ou – et ils sont devenus essentiels – les sites institutionnels et les réseaux sociaux.

Les services communication, selon leurs ressources et leur professionnalisme, jonglent alors avec les contraintes. Il faut couvrir tous les angles (informatifs, visuels, narratifs, experts) en les ajustant aux supports et aux cibles, sans avoir toujours les retours des équipes de terrain pris dans les logiques de l’urgence. Sur le plan des contenus, les discours s’appuient sur les grammaires de la souffrance à distance, chaque ONG cherchant l’équilibre entre décence et efficacité, au regard de son histoire, des rapports de force interne, de sa solidité financière et des positions de la concurrence.

Le temps des polémiques

Les journalistes, relais et parfois opérateurs de l’aide, reprennent largement ces cadrages compassionnels et se laissent aller à leur fibre humanitaire. Mais, parallèlement aux images de désolation, ils suscitent la polémique, au nom du devoir d’informer. La polémique concerne d’abord l’organisation des secours, les déficits de coordination entre les acteurs et la lente mise en place des dispositifs d’aide. Lors de l’urgence haïtienne, le débat est doublé par des interrogations sur la pertinence de l’action médicale, du fait, notamment, du nombre important d’amputations.

Les communicants, suivant leur «bon sens» ou les prescriptions des standards professionnels, cherchent à maîtriser l’image de leur ONG. Ils veillent pour cela à éviter les discours contradictoires, à protéger les équipes sur le terrain en sélectionnant les journalistes et en balisant les interviews, à proposer des angles originaux pour déplacer les focales et continuer à occuper le terrain médiatique. Tout cela même si la mobilisation des règles du métier permet d’anticiper les incertitudes sans jamais pouvoir, bien évidemment, les maîtriser totalement.

La polémique ne concerne pas seulement l’action sur le terrain ; elle vise aussi, à partir cette fois d’initiatives humanitaires, le rôle des médias dans la construction de la «catastrophe événementielle». Le séisme haïtien permet ainsi de relancer le débat sur la nature des images diffusées. D’un côté, certains journalistes accrochés au mythe professionnel de «l’éclaireur de conscience» justifient le recours aux images chocs. De l’autre, certains humanitaires critiquent le halo de pathos et le misérabilisme qui entourent le traitement de la catastrophe. Dans le même temps, la question des dons réapparaît sur l’agenda, soit pour interroger l’usage qui en est fait, soit, et c’est la polémique la plus vive lancée par Rony Brauman, pour dénoncer le problème posé par le soutien de médias publics à des institutions privées.

Ces débats appellent trois commentaires. D’abord, ils illustrent la division du travail entre les professionnels de la communication «assignés  à la récolte de fonds et les humanitaires «socialement autorisés» à provoquer le débat. Ils montrent ensuite comment, du fait des contraintes pesant sur l’humanitaire professionnalisé, les prises de parole critiques tendent à se concentrer sur les problèmes de régulation de l’action, plus que sur la dénonciation des pouvoirs iniques. Ces débats renvoient enfin à deux conceptions de la démocratie ; la première entremêle représentations victimaires, références universelles, témoignage et recherche de fonds. La seconde privilégie une conception plus «libérale» de la démocratie où l’ONG se pose en «aiguillon» critique.

Cette réflexion, au final, mériterait d’être prolongée au moins sur deux points. Il conviendrait d’abord – à supposer que l’on puisse le faire sérieusement ! – de voir si le public perçoit ou non les différences de communication entre ONG et jusqu’où les rhétoriques engagées pèsent plus dans le fait de donner que le «capital notoriété». Deuxième point à développer : le déploiement de la communication des ONG sur le terrain. L’idée ne serait pas seulement de saisir la relation du journaliste à sa source, mais de montrer comment les ONG mobilisent, quand rien n’est stabilisé, radios, haut-parleurs et bouche à oreille pour faire connaître leur action et chercher à se distinguer dans la vague humanitaire.



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