Dans les sous-sols de Capodimonte, à Naples, six vidéos de Bill Viola, réalisées entre 2000 et 2008, sont des évocations de son rapport à la peinture, certes à Caravage, puisque c’est l’artiste systématiquement mis en avant pendant l’année 2010, mais aussi à Géricault, à Bosch ou à Poussin (jusqu’au 23 janvier).
Les deux vidéos de la série Transfiguration reprennent le thème bien connu de la traversée du rideau d’eau ; ‘Transfiguration’, 2007, restant dans des tons sombres tant en-deçà qu’au-delà, montre son fils (?) Blake Viola, punk androgyne aux tempes rasées qui, s’éloignant, n’est plus qu’une faible trace lumineuse, sa nuque et ses bras blancs émergeant à peine de l’ombre, signe humain imperceptible, presque abstrait, comme une virgule de Paul Klee. ‘Three Women’, 2008, avec la mère et ses deux filles (les Ballent), est beaucoup plus lumineux en-deçà du rideau, marquant bien plus le contraste entre couleur et grisaille, entre monde et limbes, entre réalité et rêve, et le dernier regard de la plus jeune des filles semble celui d’Orphée pour Eurydice au moment où il la perd.
‘Observance’ (2002), qui montre un défilé d’hommes et de femmes semblant payer leurs derniers respects à la dépouille d’un défunt qui serait à notre place à nous spectateurs, nous regardant avec une tristesse indicible, évoquerait plutôt Courbet à mes yeux. Union (2000) qui juxtapose une femme mûre et un homme jeune (qui, hélas, joue de manière trop affectée), sur deux écrans contigus, torses nus, habités par un drame commun qui les tord, puis les apaise, pourrait être lié souterrainement aux mystères de Bosch.
L’émotion qui habite les cinq personnages du ‘Quintet of the Astonished’ (2000) est bien plus poignante : proches et pourtant d’abord étrangers les uns aux autres, ils s’animent, nous regardent, puis, de plus en plus troublés, interagissent, se regardent longuement, se touchent, se confortent jusqu’à un paroxysme qui nous laisse pantois. C’est sans doute la plus caravagesque des six vidéos montrées ici.
La vidéo qui m’a le plus ému est ‘The Raft‘ (2004) : douze personnes, bientôt rejointes par sept autres, forment un groupe d’hommes et de femmes, noirs, blancs, asiatiques, jeunes et vieux, en vêtements décontractés ou en costume-cravate ; rien de commun entre eux, peu de contacts, peu de regards. Ce monde en miniature est soudain balayé par de violents jets d’eau à l’horizontale, comme ceux de canons à eau anti-manifestants. Les personnages s’arcboutent puis s’effondrent, les corps trébuchent, l’eau ruisselle, la violence détruit le groupe. Quand le jet d’eau s’apaise enfin, c’est un paysage de désastre qui s’offre à nous, personnages brisés, trempés, effondrés. Seuls deux corps résistent encore, ont encore un semblant de verticalité, maintiennent encore un peu de digité, de résilience sur ce radeau de la Méduse dévasté : une rockeuse blonde et une métisse au visage du Fayoum.
Chacun peut trouver sans aucun doute d’autres correspondances, d’autres latéralités, l’intérêt étant justement cette richesse que Viola sait révéler, évocation éternelle d’émotions, passerelle entre les siècles.
Photos Kira Petrov excepté la dernière, de l’auteur.