Si vingt et une personnes sont mortes, c’est d’abord parce que la minorité chrétienne a été toujours discriminée, même au niveau institutionnel. Le rapport 2010 du Département d’Etat américain sur la liberté de religion en Égypte souligne le laxisme des autorités égyptiennes dans la poursuite des auteurs de crimes contre les coptes. En outre, les coptes n’ont encore que de manière très limitée accès aux postes politiques et administratifs importants. Dans des cas particuliers, la religion et la conversion doivent être indiquées dans les documents d’identité. Les coptes sont vus comme des citoyens de seconde zone, indésirables et source d’instabilité.
L’église pourrait donc en quelque sorte « tirer profit » de cet attentat. En effet, celle-ci cherche à faire valider plusieurs revendications. Certaines sont légitimes (plus de représentativité politique, plus de lieux de culte, protection, etc.) mais d’autres le sont nettement moins (régime de droits « spéciaux » pour les coptes). Le gouvernement égyptien étant sous pression interne et externe, l'occasion est idéale pour l’église orthodoxe qui se comporte depuis un moment comme le parti politique représentant les coptes. Une telle configuration n’est pas saine : elle est responsable de la précarité de la structure de la société égyptienne qui n’a pas encore achevé sa transition d’une société confessionnelle (datant de l’ère ottomane) vers une société de citoyenneté.
Mais c’est surtout le pouvoir de Hosni Moubarak qui peut instrumentaliser cet attentat.
Nous savons en effet que, après les dernières élections législatives, le parti du gouvernement a montré sa détermination à maintenir hors compétition les autres partis, en particulier les Frères Musulmans. Cette faction fondamentaliste, presque libéralisée sous le régime de Moubarak, a gagné avec le temps un discret consensus au sein de la population, menaçant désormais le régime. Récemment les évidentes manipulations électorales faites par le Parti National Démocratique ont mené au retrait des autre formations, Frères musulmans compris et d’écarter la menace.
Moubarak essaierait de jouer sur le lien implicite entre les frères musulmans et l’islamisme intégriste pour faire d’une pierre deux coups. D’une part regagner de la légitimité au niveau national en éloignant des sympathies de la population les intégristes : facteurs d’instabilité, leurs attaques ne blessent pas seulement les victimes désignées, les chrétiens, mais aussi des musulmans. D’autre part, échapper à la pression exercée non seulement par les frères musulmans mais aussi des musulmans lui reprochant souvent de vouloir plaire à l’église et aux forces étrangères (notamment lorsque deux chrétiennes voulaient se convertir à l’Islam ont été révoquées par l’église copte et éloignées dans des monastères, car leur conversion a été jugée non valable par l’église).
Ensuite, l’engagement réel ou seulement déclaré pourrait aider à récupérer une réputation, au niveau international, perdue après les dernières élections. La lutte sacrée contre le terrorisme peut être le seul instrument pour faire oublier les magouilles anti-démocratiques lors des élections : un État dictatorial peut survivre s’il se rend utile dans la coopération pour défendre l’occident de la terreur.
D’abord il faut rappeler qu’on a assisté à une attaque ciblée à la fois de la communauté chrétienne et dans la plus occidentale des villes égyptiennes, Alexandrie, un acte en théorie idéal pour secouer l’opinion publique et politique de l’occident et pour mettre l’Egypte au centre des intérêts des grandes puissances occidentales.
D’autant que laisser planer l’ombre de la culpabilité d’Al Qaida permet de capitaliser. Le citoyen moyen égyptien sait que des attaques contre les coptes sévissaient déjà avant l’arrivée d’Al Qaida sur la scène mondiale. Mais l’opinion occidentale, elle, ne va s’activer que devant la perception de devoir affronter une menace directe et de ce point de vue, Al Qaida est l’épouvantail idéal. Son évocation peut contribuer fortement à améliorer l’intégration de l’Egypte dans le système des aides internationaux : le pays demandera plus de soutien économique et stratégique dans la lutte contre le terrorisme (local ou non).
Il faut rappeler que l’Europe et liée à l’Egypte depuis le 2005 avec un plan d’action détaillé, couvrant nombreux aspects : économie, intégration culturelle, promotion de la démocratisation. Il est important de noter que ce plan intègre la lutte contre le terrorisme et la coopération des polices : ces points lient l’Egypte de manière active (elle s’engage à prévenir les crimes terroristes) et passive (l’engagement de soutien de l’Europe). Et c’est dans ce cadre que le Ministre des Affaires Etrangers italien Franco Frattini s’est exprimé : l’Europe veut plus d’engagement de la part de l’Egypte dans la défense des chrétiens et dans la maintenance de l’ordre. En plus, le Ministre a invité le Parlement de l’UE à se réunir pour discuter des aides à l’Egypte, en proposant une formule de « plus d’engagement, plus d’aide » : Berlusconi a reçu cette proposition, ayant déjà contacté Moubarak en privé, pour corriger l’agenda du sommet bilatéral de février de manière à inclure ces thématiques.
Ensuite, les Etats-Unis sont les autres grands bienfaiteurs de l’Egypte : avec un volume d’aide financière de 1,6 milliards de dollars en 2009, seulement Israël reçoit plus d’argent. Le Congrès a soulevé l’idée de conditionner l’aide à la démocratisation et au respect des droits de l’homme dans le pays... Mais le nouvel esprit anti-terroriste pourra être une bonne occasion de regagner le respect et le soutien des américains, en récupérant la perte d’image liée aux élections.
Ce n’est pas la première application d’une telle instrumentalisation du terrorisme : l’Algérie nous a donné dans les années 90 un exemple de comment l’utilisation de l’instabilité territoriale peut attirer l’attention des grands pays occidentaux et donc activer un mouvement de soutien politique et financier. En visant la chrétienté les terroristes ont visé l’occident, et indirectement renforcé la position de M. Moubarak.
Giuliano Luongo est un économiste italien (Université de Naples Federico II).