Michel Volkovitch a proposé à Poezibao cette libre variation sur la poésie. Elle devait initialement être publiée dans le cadre de l’initiative « Vases communicants », un échange de textes entre sites imaginé par un groupe de personnes sur la plate-forme Twitter. Mais n’ayant pas le temps actuellement de me prêter au jeu et malgré mes recherches ne trouvant pas de biais intéressant pour publier un texte sur le site de Michel Volkovitch, j’ai néanmoins tenu à l'accueillir ici en le remerciant pour son invitation
FT
L’ÉCHELLE
Une marche
un pas
une échelle
je m’étends dans la senteur blanche
sur l’autre versant du monde
toujours à deux doigts
de vivre
comment définir l’amour toujours allant
aux joies du corps tout ce qui fut
tu n’es pas né tu n’es pas mort
toujours toujours
mémoire
sur les marches je voudrais pouvoir
confondre cette chair avec la mienne
les trous de la langue
les songes de poussière
dans un soleil détruit
l’emprisonnement dans ce corps
vers l’intérieur de tout
comment sortir
la phrase de sa peau
où tout sonne creux
afin d’entendre
Toi
parfois
par la lucarne des songes
quand la mort nous tiendra tranquilles
proche de l’aveu
— Qu’en penses-tu ? me demande Sacha Marounian.
Ce poème qu’il m’a donné à lire, dactylographié sur une feuille, sans signature, je ne sais pas ce que j’en pense. Sa voix ne m’est pas étrangère, on écrit comme cela aujourd’hui ; ce qui m’intrigue, c’est moins le texte que la lueur bizarre dans l’œil de mon confrère.
— C’est un poème que tu as traduit ?
— C’est du 100% Made in France.
— Tu en serais l’auteur ?
Marounian n’écrit pas de poèmes. Il se marre doucement, comme si je blaguais.
— Réponds d’abord à ma question : ça te plaît ou non ?
— Je ne sais pas… Mais pourquoi te soucier de mon avis ? Tu me connais, je ne suis ni poète, ni même grand connaisseur...
— Je te vois venir avec ta chanson : la poésie est une étrangère, elle et moi ne parlons pas la même langue, la traduire est le seul moyen de me rapprocher d’elle etc... Mais enfin, tu en traduis à tour de bras ! En traduisant, tu sens quand même des choses, non ?
— Sans doute… Mais là, je ne sais pas… Tu ne veux pas me donner le nom de l’auteur ?
— Difficile. Je ne me souviens pas… Allez, j’avoue tout : ce poème en a plusieurs, des auteurs, aucun mot n’est de moi — mais en même temps je pourrais le signer ! J’ai pris l’anthologie de chez Seghers, L’année poétique 2008, où les poètes sont classés par ordre alphabétique avec un poème chacun ; j’ai prélevé un vers dans chacun des vingt-trois premiers poèmes, d’Abomo Maurin à Bourçon, je les ai mis bout à bout, et voilà.
J’ai beau connaître Marounian et son côté tordu, là quelque chose me dépasse.
— C’est quoi, le but du jeu ? Lancer un nouveau genre poétique fondé sur la récup, en bon écolo que tu es ?
— L’idée n’est pas nouvelle.
— Tu espères fabriquer sur le dos des vrais poètes un poème qui rivalise avec les leurs ?
— Je n’ai pas de telles ambitions.
— Alors je ne comprends pas.
— Moi non plus… Je ne sais pas pourquoi j’ai bricolé cette chose, ni ce que j’en pense, ni pourquoi je te la montre. Libre à toi d’y voir un canular insignifiant. C’est venu comme ça. Je ne cherche rien de précis. Je fais une expérience. Je pose une question, sans même savoir laquelle, ni à qui.
— Pourquoi pas à tes vingt-trois victimes, tant que tu y es ?
— Leur montrer ça ? Allons, allons. Note bien, on ne sait jamais. Certains s’en amuseraient, j’espère. Après tout c’est un jeu, donc c’est joyeux. Un jeu à plusieurs, d’où un côté sympa, genre bande de copains qui font la fête et chantent en chœur…
— Un jeu, oui. Mais justement, pour un poète, est-ce qu’on joue avec la poésie ? Pour eux, c’est du sérieux. Presque une religion. Alors, bidouiller un poème comme s’il s’agissait d’un puzzle ou d’un jeu de meccano, tu ne trouves pas que ça sent le sacrilège ?
— On peut le voir comme ça. Et qui plus est, mes victimes, comme tu dis, auraient des raisons de se vexer ! Mélanger leurs voix, c’est laisser entendre qu’elles sont interchangeables, qu’elles n’ont rien d’original ! C’est vrai, ma petite couillonnade a un côté irrespectueux. Et pourtant… Tu parlais de religion, moi aussi je suis croyant : je vénère la déesse Poésie, je l’idolâtre — le plus souvent. Et parfois j’ai des doutes. En traduisant, par moments, je me dis, non, c’est pas possible, ça ne veut rien dire ce poème, c’est n’importe quoi ! Et la poésie tout entière, tous ces mots qu’on enfile, par moments ça paraît lourd, ou creux, ça paraît mort, à quoi bon ? Ça ne t’arrive jamais ?
— Euh…
— Espèce d’hypocrite. Tu dis toi-même que tu as souvent du mal… Pour toi aussi, traduire la poésie est une épreuve, une lutte indécise, avec l’autre, avec soi-même… Et je suis sûr que pour les poètes, c’est pire encore ! Et qu’ils doutent parfois plus encore que nous, de même qu’en religion personne n’est moins sûr de soi et de Dieu que les saints eux-mêmes… Pour toi et moi les poètes sont des demi-dieux, des chamans, des extraterrestres parlant une autre langue, des albatros planant là-haut, alors qu’eux, par moments, si ça se trouve, se voient en pauvres tâcherons qui rampent, en casseurs de cailloux inutiles…
— D’accord, d’accord. Alors, tu en fais quoi, de ton œuvre ? Tu ne veux pas au moins la fourguer à des amateurs de poésie, pour voir s’ils repèrent la combine ?
— S’ils mordent à l’hameçon, je les aurai fait passer pour des cons. S’ils ne mordent pas, c’est moi qui aurai l’air d’un con. Mon cher Volkovitch, tu seras mon seul cobaye ! Oublie mon pseudo-poème. N’en parle à personne.
— Fais-moi confiance, Marounian. Je suis muet comme la tombe.
Michel Volkovitch
Poètes invités : Abomo Maurin, Acquelin, Alhau, Allix, Althen, Amaranta, Appercelle, Auxeméry, Azam, Achelin, Bancquart, Barré, Bekri, Ber, Berland, Bianu, Blaine, Blanchet, Bonnasse, Boudet, Boudou, Bouquet, Bourçon.