La France adapte graduellement sa diplomatie à un monde mondialisé dans lequel les événements géopolitiques des vingt dernières années ont bouleversé la donne. La multiplication des interlocuteurs, le brouillage des idéologies et la disparition des frontières ne lui ont pas laissé le choix.
Machiavel, Sun Tzu et Kissinger n’y comprendraient plus rien, quand bien même ils auraient passé quinze heures sur le billard d’un docteur Delajoux imbibé d’acide lysergique qui trouverait orange de les suturer tous ensemble par la boîte crânienne.
Le jeu traditionnel de la diplomatie internationale, tantôt match d’improvisation, tantôt concours de brûlure indienne, n’a pas résisté : l’apparition ou la disparition d’Etats du jour au lendemain, la multiplication ou l’évaporation des présidents et gouvernements sont autant de facteurs qui ont transformé le concert des nations en une polyphonie corse.
Grâce à Wikileaks, cette polyphonie se trouve de surcroît jouée au ghetto blaster, si bien que le hood global est au courant du moindre de ses détails.
Dans ces conditions, un constat s’est imposé de lui-même au Quai d’Orsay : il est devenu nécessaire de réformer la pratique de la diplomatie.
- Le temps de l’insouciance : le général de Gaulle et Tante Yvonne font la brouette mexicaine à Baden-Baden.">
Le temps de l’insouciance : le général de Gaulle et Tante Yvonne font la brouette mexicaine à Baden-Baden.
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Le rôle que la France s’était donné depuis 1789 était unique au monde, quoique plagié par les Américains : la défense universelle des Droits de l’Homme, d’abord par la propagation de la Révolution en Europe puis par l’ouverture d’une librairie Victor Hugo à Guernesey.
Dans le droit fil de cette tradition, le général de Gaulle lui-même ne disait-il pas « Il y a un pacte vingt fois séculaire qui lie la grandeur de la France à la liberté du monde » ?
Il faut toutefois se rendre à l’évidence : de Gaulle appartenait à cette génération privilégiée qui a connu les Trente Glorieuses et Mai 68, et en a dilapidé les fruits sans pensée pour le lendemain, abandonnant aux générations actuelles un rogaton de situation économique, écologique et sexuelle désespérante.
Par ailleurs, grâce d’une part à l’action passée de la France et d’autre part à l’hologramme Power Balance®, les Droits de l’Homme ne sont plus la priorité criante qu’ils étaient.
La vente d’un seul Rafale, en revanche, permettrait au PIB français de croître d’un bon quart de pour-cent.
Ces considérations ont inspiré Paris dans le réajustement de sa posture internationale, comme l’a déclaré Michèle Alliot-Marie lors de ses vœux au corps diplomatique français : « ... ».
Pour Régis Expert, expert en relations internationales à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, annexe Le Vivaldi, rue Sadi Carnot à Bagnolet, le constat est clair : « On assiste à un reboot total de notre politique extérieure, une espèce d’abstraction du langage dans le discours d’Etat à Etat. La France a décidé de fermer sa gueule et c’est formidable : ça laisse la fenêtre ouverte sur tous les imaginables sans pour autant fermer la porte à l’inimaginable. »
Cette diplomatie .0, comme l’appelle M. Expert, a été exposée avec limpidité par le député Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée Nationale : « C’est pas à la France de donner des leçons aux autres ».
- Axel Poniatowski - France Info - 10/01/2011
On peut déjà observer cette humilité dans la politique africaine de Paris, tant vis-à-vis de la Côte d’Ivoire que de la Tunisie.
La France peut en effet difficilement se permettre de s’ingérer dans les affaires de ces deux pays alors qu’elle est l’ancienne puissance colonisatrice. Il serait impérialiste de vouloir penser qu’elle serait capable de mieux connaître les difficultés de chacun de ces Etats, où se trouvent paraît-il quantité de rebelles et de terroristes.
- Axel Poniatowski enseigne la géostratégie au général Petraeus : « le Tchad, le Niger, le nord Mali c’est pas l’Ile Maurice ».">
Axel Poniatowski enseigne la géostratégie au général Petraeus : « le Tchad, le Niger, le nord Mali c’est pas l’Ile Maurice ».
"> Axel Poniatowski enseigne la géostratégie au général Petraeus : « le Tchad, le Niger, le nord Mali c’est pas l’Ile Maurice ».
Paris ne se voile pas pour autant la face au moment de faire le constat : les émeutes tunisiennes, par exemple, sont directement provoquées par la crise économique et financière, et il serait suicidaire que Tunis ignore les avis de ses voisins.
La France saura au besoin élever le ton, relève M. Poniatowski, qui n’hésitera pas à demander « plus d’ouverture politique et surtout économique ».
Certes le régime de M. Ben Ali n’est pas un modèle d’ouverture et de transparence, mais le député préfère voir le verre à moitié rempli : « Dès l’instant où il s’agit de régimes autoritaires éclairés, ça va dans le bon sens », insiste-t-il, avant de réitérer le nouveau credo de la France : « Ça n’est pas à nous à donner des leçons de morale à travers le monde entier », surtout en matière de régimes autoritaires éclairés.
Par respect pour les centaines de milliers d’Ivoiriens et Tunisiens vivant sur son territoire, la France doit donc les laisser naître à eux-mêmes — et honorer leurs dizaines ou centaines de morts — par eux-mêmes.
C’est une attitude révolutionnaire : laisser avec confiance des nations presque sœurs s’extraire seules de la merde. C’est à ce prix qu’elles achèveront une émancipation dont la France pourra être fière, surtout si elle réussit à leur vendre un ou deux Rafale au passage.