À propos des dessins de Maess

Publié le 17 avril 2010 par Thierrydebauche
Maess, pour créer ses séries de dessins, travaille à l’échelle molaire. Ses dessins se caractérisent par une précision de ligne extraordinaire, ligne aussi bien frivole que capricieuse ; par une intensité d’image qui est souvent soupçonnée d’être obtenue à l’aide d’un ordinateur. Cette précision est rare, même pour un genre aussi surprenant qu’est le dessin contemporain. L’artiste combine une charge émotionnelle immense avec un jeu raffiné de concepts ; elle fait appel à des sources aussi éloignées que l’expressionisme espagnol (avec l’ humour noir qui lui est propre), les jeux antidiscursifs de Duchamp et de situationnistes (avec la pitrerie qui leur est propre), ou bien à la peinture néoréaliste de Monory. Tous ces éléments arrivent chez elle à l’intensité d’un acide brûlant.

En effet, ces tableaux s’incrustent avec une telle insistance sous les paupières qu’il est difficile de s’en libérer. Dans ces dessins tellement travaillés, Maess crée des séquences narratives en se servant d’abstraits d’images de villes, de corps et d’histoires amoureuses, d’anatomie, d’érotisme et de topographie, avec, comme marque particulière, le frénétisme qui devient pour elle une épreuve de force, au même titre que le jeu de non-dits qui lui permet d’introduire dans ses oeuvres des allusions autobiographiques.
Maess part de la tension entre le corps et le discours. Ce qui semble l’ntéresser le plus est leur comportement dans la folie de l’accélération. Elle est proche en ceci des visions explosives de Julie Mehretu. Les dessins de Maess possèdent quand même une énorme charge émotionnelle qu’elle a pu dompter seulement à l’aide de la froideur et du raffinement au niveau de la technique. L’agaçante, pour certains, virtuosité de la ligne, lui permet de garder l’intensité de l’impression, du sentiment de même qu’elle empêche le déchirement de la surface de la feuille – la fine séparation qui enraye le libido et qui nous sépare de l’abîme bouillonnant du désir.
Les formes qui transparaissent de l’autre côté de la feuille déchirent presque cet espace projeté, malgré sa dynamique condensée. Ce qui prédomine, ce sont des corps et des fragments de discours, déformés par la vélocité et l’espace. Maess nous présente, sans gêne, l’âme postmoderne, déconstruite, brisée, défragmentée, mais avec cela, aucunement moins souffrante. Des corps, des topographies, des mots, de grandes lettres se confondent avec des plans de villes ou des horaires d’avions, vus de perspectives multiples, à la fois célestes, projetées et isométriques. Ce sont des tornades d’incidents visuels, une explosion de forces dans un jeu, dramatique et par moments drastique, de tensions et de hiérarchies, où des portraits, des esquisses et des villes mappées se fondent dans une entre-pénétration de formes, telles des couches d’affiches déchirées ou des strates géologiques.
L’artiste, à l’aide de cette cacophonie de signes, semble représenter non seulement notre condition humaine qui se dégrade mais aussi des stratégies de sortie et d’enracinement dans le ciel (après tout, une ligne, pourquoi ne percerait-elle pas le ciel?). La tendance postmoderne à naviguer vers des rives inconnues est réalisée par des techniques usées déjà par le temps et la tradition, à savoir à l’aide du crayon et du crayon de couleur aquarellable. En un mot, c’est le nec le plus ultra du dessin contemporain, dans sa version la plus non-conformiste. //fragments de "Michał Fopp introducing Maess" traduits par Natalia Mosor.