13 cm sur 17. Il ne paye pas de mine ce bouquin, comme parfois certaines tumeurs. On ne les repère pas ou on n’y prête pas attention qu’elles ont déjà proliféré et vous ont envahi, en vous transformant irrémédiablement. Malgré mes efforts, je ne maîtrise pas aussi bien qu’elle l’ironie de certaines métaphores. Elle ? Marie-Dominique Arrighi, dont le livre tiré du blog « K, histoires de crabe », me bouleverse chaque jour un peu plus.
Au point de vouloir écrire un billet ici avant même de l’avoir terminé. Pourtant j’arrive tard, bien trop tard pour parler de cette femme, presque un an après sa mort. Je n’ai malheureusement pas eu l’occasion de lire et de commenter le blog de « MDA » (sa signature à Libération) pendant qu’il était encore temps. Aujourd’hui, elle n’est plus de ce monde. Mais je ressens pourtant le besoin impérieux d’écrire à la lecture de ce témoignage sans chichi, parfois drôle, souvent terrible.
Il y a sans doute une part de « voyeurisme » qui m’a poussé à acheter ce livre. Je sais comment il se termine et pourtant je ne peux qu’avaler les pages et les chapitres (ou plutôt les billets, les jours) les uns après les autres, telle une émission de téléréalité à l’issue tragique. Mais au-delà de la crainte et de la curiosité morbide que nous avons tous face au cancer (du sein en l’occurrence), ce témoignage me touche pour plusieurs raisons.
MDA était écrivain. Elle a eu le souci de transcrire au jour le jour toutes ses impressions, sensations, difficultés, petites joies et anecdotes. Les billets sont écrits rapidement, comme si elle parlait à une amie (ses 10 000 ( ?) lecteurs le deviendront d’ailleurs un peu, lui envoyant conseils ou petits cadeaux) dans les quelques moments de répit que lui laissait la maladie. Elle invente des mots comme crabistouille, crabologue, use (et n’abuse pas) du franglais, compare son cancer à des crabes tués sur une plage ou imagine des images comme « un fil à la patte du nichon » (15 juin 2009)… qui viennent colorer des histoires parfois mornes, voire glauques (quand elle se fait frapper par son voisin : 3 août 2009).
La longueur des articles est inégale et ils sont illustrés de photos parfois floues mais l’important n’est pas là. MDA était journaliste et son livre relève plutôt d’une pratique dite « embedded », celle qui par exemple a poussé des journalistes américains à se mêler aux soldats lors de la guerre en Irak ou Florence Aubenas à écrire « Le quai de Ouistreham » (pratique d’ailleurs critiquée à la sortie de ce dernier livre). A la différence près que MDA n’a pas choisi cette situation – même si elle pense parfois le contraire (17 septembre 2009).
On la voit affronter seule (mais bien entourée tout de même) la maladie, les traitements et les allers-retours à l’hôpital pour les séances de chimio ou les opérations, chez son médecin généraliste pour ajuster son traitement, chez les différents kinés qui l’ont suivi en Corse (son île natale) ou à Paris mais aussi ses petits plaisirs sur la plage, toujours en Corse ou lors des repas entre amis où elle « taxe » une cigarette, de temps en temps. Elle le répète à l’envi, ce blog lui a permis de rester debout, jusqu’au bout.
Vidéo (incomplète) diffusée sur @rrêt sur images, deux mois après sa mort
Elle va même jusqu’à enquêter – déformation professionnelle - sur les problèmes des VSL (véhicules sanitaires légers) et des taxis conventionnés, souvent ignorés au profit des ambulances, pourtant beaucoup plus chers pour la collectivité. A tous moments elle nous ramène à une imaginaire Madame DAM, son double désargenté et peu instruit qui aurait tellement de mal à s’orienter dans tout cet imbroglio (24 juin 2009)… Un exemple de recul et de réflexivité.
Se pose néanmoins la question de la vie privée. Ses posts vont parfois très loin dans son intimité, nous montrant presque sans pudeur le déclin de son corps et nous dévoilant à demi mots une enfance volée.
Malgré ces passages durs, je me retrouve un peu dans sa façon de gérer son traitement, curieuse de comprendre, intraitable avec les soignants qui voudraient la protéger, « militaire » avec elle-même lorsqu’elle prépare ses « tableaux-calendriers » de prise de médicament (24 août 2009).
Chacun de ses articles est d’une précision sur les doses, les prix, les noms… Une phrase m’a beaucoup touchée, car j’aurais pu moi-même la prononcer : « Je suis une éponge et une passoire à la fois, qui conserve cependant quelques traces » (24 juillet 2009)
Tout au long de ces 440 pages, qui contiennent également des témoignages de ses proches (voir références en bas de cet article), on discerne une personnalité ouverte, enthousiaste jusqu’au bout mais néanmoins réaliste. Une femme qui ne se laissait pas faire, parfois très dure avec les gens qui l’entouraient. Je n’ai pas eu le privilège de la rencontrer ou même de commenter un de ses articles. Un grand regret.
Références : « K, histoires de crabe », Marie-Dominique Arrighi, Editions Bleu autour, mai 2010 (voir la fiche)
A lire : « Les neuf vies de Marie-Do », de Pierre Marcelle et « Un blog pour tenir debout », d’Odile Benyahia-Kouider (tous deux dans le livre) et l’hommage de Denis Delbecq « So long, Marie-Do… ».
A découvrir : Le premier blog de MDA, « Le Consottisier » tenu de septembre 2007 à novembre 2008