C’était plus fort que moi, cet après-midi j’ai eu envie de visiter le quartier des Francs Moisins à Saint Denis et nous avons même poussé jusqu’au « 4000 » à La Courneuve. Un ancien collaborateur, un brigadier de police m’a invité à déjeuner dans unrestaurant indien à la Plaine Saint Denis, à quelques centaines de mètres après la porte de la Chapelle. Il est d’origine sri-lankaise, marié à une mauricienne.
J’amène la conversation sur le racisme dans la police. Je le connais bien, il a confiance en moi. Je lui demande s’il a subi des injures ou des propos vexatoires dans les brigades depuis qu’il est dans la police.Sa réponse a été très nette. « J’ai entendu des plaisanteries douteuses, jamais d’injures racistes, je ne l’ai jamais mal pris, je leur répondais sur le même ton et ça se terminait dans la bonne humeur avec des éclats de rire. A l’égard du public non plus, mais j’ai vu des collègues excédés, injurier des délinquants ou des individus qui eux-mêmes lançaient des insultes et cherchaient l’incident, avec de graves provocations. J’ai quelquefois entendu des propos racistes dans les véhicules en patrouille, c’étaient des collègues excédés, qui venaient de vivre des situations d’extrême tension, ils avaient subi des coups, des crachats, des insultes inqualifiables. Soit il s’agissait de fonctionnaires qui manquaient d’éducation, soit ils avaient perdu le contrôle d’eux même. » Il ajoutait: « cela m’est déjà arrivé, comme les autres ». Je connais bien le caractère de celui qui m’a fait ces confidences, il ne manque pas d’éducation et il en faut beaucoup pour le faire sortir de ses gonds.
Dans la police ceux qui développeraient des thèses racistes seraient vite marginalisés. Sur la voie publique, le policier ouvertement raciste, serait une source de tensions et d’incidents en permanence. Il mettrait en danger l’ensemble de l’équipe, avec des procédures judiciaires à tout bout de champ pour des outrages et des rébellions qui surviennent sans qu’il y ait besoin de les provoquer.
Alors qu’il allait me ramener sur Paris, en sortant du restaurant je voulais revoir ces quartiers où j’avaisvécu tant d’évènements. A un carrefour, je vois une pancarte, « les Francs Moisins », un quartier que je connaissais bien.
Lorsque j’étais commissaire stagiaire à Saint Denis en 1980, un message radiosignalait qu’un braquage venait de se produireà la caisse d’épargne dans le centre ville de Saint Denis ; Je roulais tranquillement avec un gardien de la paix comme chauffeur, on le surnommait « Pepito », probablement à cause de sa moustache qui le faisait ressembler à un mexicain. Au moment de la diffusion du message une moto nous coupe la route et s’engouffre dans la cité des Francs Moisins. Les deux individus qui la montaient correspondaient au signalement. Nous avons « enquillé » derrière en butant presque sur les bornes à l’entrée. Tout de suite un jeune individu que nous connaissions pour l’avoir mis en garde à vue dans plusieurs affaires nous lance au passage, sans tourner son regard vers nous. « Les deux noirs avec la moto, ils sont dans le sous sol du bâtiment à droite ». Visite rapide du garage à vélo, il y avait la moto, toute chaude, mais plus d’individus. Nous montons alors dans les étages, je suis « Pepito ». Plus malin que moi, il grimpe jusqu’au dernier. Il est brigadier, je suis commissaire , mais c’est lui qui prend l’initiative, c’est un vieux roublard de la voie publique, il travaille en civil.
Au dernier palier il me dit : « Patron ! On fait tous les locaux, tous les vide-ordures, chacun un étage ». Pepito commence ; C’est négatif. Je cours à l’étage en dessous, nous tenons nos pistolets automatiques de marque « UNIQUE » (il portait bien son nom, vraiment unique, dangereux, mais pour qui ?) J’ouvre la porte du local, rien. Je vais pour partir, mais je me remémore le geste de Pepito, il avait regardé derrière la porte. Brutalement j’ouvre la porte et la presse contre le mur. Je sens une résistance molle. Je gueule : « Sors de là où je te flingue ! ». J’aurais eu un temps de retard avec ce calibre car je ne l’armais jamais, même dans les situations à risque. J’avais trop peur qu’il ne parte tout seul et qu’il blesse quelqu’un accidentellement. Va t’expliquer après sur les conditions de la légitime défense…
Pepito remonte vivement, j’étais aux prises avec l’individu, un grand costaud qui n’avait pas d’arme à la main mais il ne se laissait pas faire. J’avais réussi à le retourner contre le mur, mais comme il se débattait je le frappais avec le plat de la crosse de mon arme sur le sommet du crane, je ne voulais pas le blesser. Cela ne suffisait pas ; Pepito qui m’avait rejoint, me voyant faire, me lance : « mais non patron, pas comme ça ! » Il prend alors son pistolet la crosse orientée vers le bas, la languette métallique du chargeur dépasse, il frappe, le sang coule sur la chemise du braqueur qui ne souffrait pas vraiment. Mais il avait été très impressionné en voyant son sang couler. A côté de lui il y avait un sac avec 15000 francs et une arme, 22 long rifle je crois. Le second que nous avions raté avait été arrêté dans les sous sols par le brigadier, chef du car police secours appelé en renfort, un antillais. Je ne vois pas pourquoi je donne cette précision.
Ce midi je racontais avec fierté mes exploits à mon hôte en visitant le quartier des francs moisins. Aujourd’hui, il est plus propre, mais la délinquance y est plus enracinée encore. En 1980 ça tiraillait souvent entre voyous et policiers, il y avait des morts de part et d’autre. De nos jours on tire un peu moins, mais les braqueurs sont plus jeunes souvent âgés de moins de 18 ans. Parfois ils sortent la Kalachnikov comme à La Courneuve en 2009, à quelques pas des 4000 où ils ont mitraillé un car qui transportait un malfaiteur.
Poursuivant mon pèlerinage de jeune retraité Stan me demande si je veux pousser jusqu’à la cité des 4000 à La Courneuve. Bien entendu, c’est à côté. Ils doivent détruire la barre de l’allée Balzac. C’était un des principaux lieux de deal de la Seine Saint Denis. Les trafiquants avaient pignon sur rue. On se revendait les places, comme des fonds de commerce, comme sur un marché. On a établi la valeur de ces points de vente à l’occasion de procédures.
Le quartier est délabré des ordures s’entassent, les fenêtres sont en partie murées. Par habitude on ne s’arrête pas, j’ai vu des frigos, des moteurs de cyclo tomber des fenêtres. Déjà en 1974, inspecteur de police, j’avais vu ce type de violences dans les 4000
Ils ont peut être mis 15 ans pour aboutir. Pour évacuer les habitants cela n’a pas été une mince affaire. Il a fallu reloger la population. Les occupants sans titres n’ont pas tous eu satisfaction. Cet après midi j’ai assisté par hasard à un regroupement, une manifestation des expulsés pour exiger un nouveau logement.
Un car de police est stationné à proximité, je prends une photo, mon portable est discret. Une femme policer m’interpelle gaiement : « Bonjour, Monsieur le directeur ! » Même si je ne suis plus directeur je suis heureux qu’elle me reconnaisse. C’est une femme au caractère trempé, elle connaît le terrain des 4000 dans tous ses recoins. Elle est sûre d’elle et ça la rend sympathique détendue, efficace. Tout le contraire d’un policier agressif, qui ne saurait par quel bout prendre la banlieue, ses quartiers, sa population et ses ados. Parfois elle est bourrue, mais c’est sa manière à elle de faire preuve d’autorité. Pour résumer c’est un bon flic.