Ce ne fut jamais un pays à la gaîté bruyante, comme le sont ceux de la côte ou le vaste Congo. Plutôt un pays grave où le silence est d’or. Splendide, immense, riche de traditions permettant la survie dans des conditions extrêmes. Celles du désert, bien sûr, mais aussi, celles des villes écrasées de chaleur immobile. Niamey . Agadez. Zinder. Tillabéry. Ouallam.
Ouallam tirée de sa torpeur anonyme par l’actualité terrifiante. Fusillade. Mort de deux jeunes otages français . La petite fiancée de Niamey, déjà veuve avant son mariage. Un scénario pour réalisateur en mal d’inspiration? Mais non, c’est la guerre, puisqu’il faut bien l’appeler par son nom! La guerre sans merci entre les croisés intégristes d’une religion déformée devenue la terreur du monde et le reste du monde justement, si sûr de ses droits absolus dans la prédation des richesses et des pouvoirs.
Et au milieu, les petites gens de la vie ordinaire…
C’est la guerre, oui. Bien étrange de la découvrir à quelques portails de la maison que nous avons occupée pendant notre séjour de 8 ans au Niger! Le restaurant “Le Toulousain”, à l’angle de “Maurice Delens” n’existait pas en 96, lorsque nous avons quitté le pays. Mais la palme de bougainvilliers aperçue sur la photos de l’AFP, se balançait, identique, au-dessus des murs ocres.
Le Niger. C’était alors un pays grave et calme, frémissant d’une liberté légère après la longue férule de Seyni Kountché et l’espoir déçu des redistributions attendues grâce à l’exploitation de l’uranium. Prémisses d’agitation aux portes du désert. Le charismatique Mano Dayak défendait la cause touarègue. Les hommes bleus installés à Niamey, fabriquaient sous nos yeux des bijoux d’ambre serti d’argent. Ils nous invitaient à nous asseoir dans le sable avec eux et nous offraient les trois thés à la menthe traditionnels.
C’était un pays sûr et ouvert à l’étranger. Les fêtes musulmanes et chétiennes se partageaient. J’ai donné des cours de bûche au chocolat à mes collègues du ministère de l’éducation!! Elles en raffolaient. Lors de la Tabaski, nous étions invités à déguster le mouton farci (il n’en existe pas de meilleur au monde) avec les familles nigériennes. Le monde n’était pas idyllique. La pauvreté régnait. La débrouille, que les bâilleurs de fonds avaient baptisé “secteur informel”, cherchant à le chiffrer, le circonscrire, l’endiguer, la débrouille permettait la survie de toute une population.
image empruntée ici
Le film de Jean Rouch “Cocorico, Monsieur Poulet “, qui est plus un documentaire qu’une fiction, traduit bien cette réalité.
Tout va mal, la 2 CV du marchand de poulets tombe en pièce, les poulets bicyclette sont introuvables, les filles un peu sorcières hantent les chemins, tout va mal, mais tout se résout. L’invention du quotidien est un art consommé chez les peuples du Sahel. Et le rire, avant d’être le propre de tous les hommes, est certainement leur bien propre qui permet aux plus démunis, quoi qu’il en soit, de marcher en hommes libres.
En ces sombres et tristes jours de deuil, espérons que le rire brisé de Monsieur Poulet ne le sera pas à jamais.