Probablement que le Quatuor d'Alexandrie fait partie de ces oeuvres qu'on doit relire. Il y en a pas mal comme ça, qui ne s'offrent pas la première fois. Il faut déjà avoir une idée vague de ce qu'elles sont pour pouvoir les saisir mieux.
De toute façon, la bonne littérature est faite pour être relue. Il y a eu quelques piques dans les commentaires de ce blog, sur la fatuité qu'auraient certains (c’est-à-dire moi-même) à prétendre qu'ils relisent un texte. Mais ceux qu'on aime ou qui nous ont résisté, il ne faut pas hésiter à les reprendre, et encore. La bonne littérature est plus riche à chaque lecture. Le reste s'épuise vite.
Bon. Le Quatuor d'Alexandrie, donc. Une oeuvre de Lawrence Durrell, quatre livres qui forment un tout. La ville d'Alexandrie en est en quelque sorte le personnage principal. Son ambiance, son passé, sa situation géographique et politique (on est avant la deuxième guerre mondiale, puis pendant) font que les gens qui y vivent ont des réactions différentes de partout ailleurs, ou tout au moins exacerbées, postule Durrell.
La ville à cette époque, abrite cinq races (les Arabes, les Grecs, les Arméniens, les Coptes, les Juifs) et on y parle cinq langues (arabe, grec, arménien, yiddish, anglais). Douze religions s'y pratiquent ou s'y sont pratiquées (l'islamique, l'hébraïque, la chrétienne copte et de multiples hérésies, le gnosticisme, l'arianisme, le monophysisme, le monothélisme, etc).
Tout ceci forme un humus propice au développement de syncrétismes, de contradictions, d'idées singulières, de comportements excessifs, de complots politiques, de sociétés secrètes, d'amours exacerbées.
On va le voir dans tout le quatuor. Son originalité première est que chaque volume reprend les mêmes événements selon un autre point de vue, littéraire ou narratif. Si bien que les faits racontés d'abord sont rectifiés, complétés ou contredits. L'idée principale en
Le tout forme une construction d'abord hésitante, partielle, qui se complète et se clôt en une oeuvre d'art cohérente et originale, placée sous le patronage de Cavafy. Cavafy, poète alexandrin. Vous ne le connaissez pas? Voici un de ses poèmes:
SI LOIN
J'aurais voulu le dire, ce souvenir,
Mais il s'est effacé comme s'il n'en restait rien,
Perdu si loin dans mon adolescence...
Une peau qu'on aurait dit de jasmin...
Cette soirée du mois d'août – mais était-ce le mois d'août?...
A peine si je me souviens des yeux. Ils étaient bleus, je pense...
Mais oui bleus, d'un bleu saphir
Constantin Cavafy, 1914