Cela fait quelques années que la télévision américaine en général, et HBO en particulier, n’a eu aucun complexe à attirer les talents du 7e Art sur son antenne (au hasard, Spielberg et Hanks pour Band of Brothers). Une manière de consacrer la série télévisée comme un courant artistique à part entière. Mais voir débarquer Monsieur Martin Scorsese pour ce qui s’annonçait comme une suite de son histoire d’amour avec le pays américain, c’était une toute autre affaire.
Boardwalk Empire (créée par Scorsese donc, mais avec aussi Terence Winter des Sopranos, autre série mythique de la chaîne câblée) est donc le mastodonte de l’année. Une reconstitution d’époque (Atlantic City dans les années 1920, plaque tournante du trafic d’alcools et d’une vie agitée à souhait), un pilote le plus onéreux de la télévision US (réalisation: Martin Scorsese), et un casting de grand écran : Steve Buscemi, Kelly MacDonald et Michael Pitt en haut de l’affiche. Sans grande surprise, la série sera rapidement confirmée pour l’année, et une deuxième saison commandée. Rassurons nous donc, il y a encore de quoi voir venir… Car oui, la série met les petits plats dans les grands, avec une certaine fascination pour ce récit à l’américaine, entre condition sociale et réseau mafieux, petites vies et grands destins. Où l’on suit les pas du « Nucky » Johnson, trésorier de la bonne ville d’Atlantic City, judicieusement devenu le point de passage obligatoire des importations illégales d’alcool alors que la prohibition débute à peine. A ses côtés, on retrouve le jeune vétéran de la Première Guerre Mondiale, Jimmy Darmodi, revenu traumatisé des tranchées et qui tente de retrouver une vie normale. Au milieu de tout ça, entre influences des mafieux de New York ou Chicago, ou les petites histoires (meurtrières) d’Atlantic City, Enoch a bien de quoi s’occuper, à commencer par trouver le vrai amour, lui qui est veuf et sans héritier.
Boardwalk Empire a su bénéficier de moyens gigantesques, qui se retrouvent visuellement dans chaque plan. Un mastodonte de décors et de costumes à saluer, qui n’empêche pas l’histoire de se développer. La série, à classer parmi les vraies créations d’HBO (type The Wire), prend son temps sur 12 épisodes d’installer les différents protagonistes, allant adroitement hors des murs d’Atlantic City pour suivre les premiers pas de futurs personnages historiques, tels Al Capone ou autres personnages importants. On suit donc la Prohibition, vu de près par un artisan dont le nom n’est pas le plus connu de son époque, tirant les ficelles politiques des grands faits de son temps. Républicain et manipulateur d’argents, Nucky Johnson fait tout pour conserver sa place, et le fait bien. Steve Buscemi trouve là un rôle parfait, sorte de conspirateur isolé tentant de suivre le mouvement, le précédant souvent, perdant quelquefois. A ses trousses, un fantomatique agent du FBI (bureau nouvellement créé), un fanatique et intègre homme de l’ordre et de la morale, qui veut plus que tout mettre un terme au trafic d’alcool, et arrêter Nucky, allant jusqu’à employer des méthodes peu ordinaires pour cela. Mais c’est bien Michael Pitt qui vole la vedette à tout le temps, avec un charisme et une classe folle. Vétéran des tranchées, revenant après 4 ans loin de sa famille et de sa ville, le voilà désormais en réapprentissage social, mais changé. Un guerrier solitaire, ayant vu les atrocités de son époque, et désabusé de toute chose. Une âme en peine, avec l’occasion de creuser ces traumatismes qu’on a peu vu à l’écran (et fortement rappelé à l’arrivée du personnage de Richard Harrow, portant un masque pour couvrir la perte d’une moitié de visage).
Et c’est un peu ça, Boardwalk Empire. Une marche le long de la Côte Est des Etats-Unis, entre New York, Chicago et Atlantic City. Une époque en pleine rébellion, une révolution sociale en marche où les gangsters sont les rois du monde, et l’ombre de la guerre planant sur eux. Un entre deux guerres plantant les racines des décennies à venir, et réel point de départ de ce pays cosmopolite et d’une violence inouïe, où nos héros vivent le rêve américain à leur manière. On peut croire que cette première saison, au rythme maladroit, n’a fait que poser les premiers pions d’une partie qui s’étirera sur plusieurs saisons.