La rencontre (Katherine Mansfield)

Par Arbrealettres


La rencontre

Nous avons commencé à parler,
Nous nous sommes regardés, puis détournés.
Sans cesse les larmes me montaient aux yeux
Mais je ne pouvais pleurer.
Je voulais prendre ta main
Mais ma main tremblait.
Sans fin tu recomptais les jours
Qui nous séparaient de la prochaine rencontre,
Mais tous deux nous sentions dans nos coeurs
Que nous allions nous quitter pour toujours.
Le battement de la pendule emplissait la chambre paisible.
«Ecoute, t’ai-je dit, son bruit est si fort,
Comme un cheval au galop sur une route déserte.
Aussi fort que cela ? un cheval qui galope dans la nuit. »
Tu m’as enfermée dans tes bras
Et la pendule étouffait les battements de nos coeurs.
Tu as dit: «Je ne peux m’en aller:
Tout ce qu’il y a de vivant en moi
Est ici pour toujours.»
Puis tu es parti.
Le monde a changé. Le bruit de la pendule a faibli,
S’est amenuisé, est devenu chose infime.
Dans l’obscurité j’ai murmuré: «Si elle s’arrête, je mourrai. »

***

The meeting

We started speaking,
Looked at each other, then turned away.
The tears kept rising to my eyes
But I could not weep.
I wanted to take your hand
But my hand trembled.
You kept counting the days
Before we should meet again.
But both of us felt in our hearts
That we parted for ever and ever.
The ticking of the little clock filled the quiet room.
« Listen », I said, « It is so loud,
Like a horse galloping on a lonely road,
As loud as that — a horse galloping past in the night ».
You shut me up in your arms.
But the sound of the clock stifled our heart’s beating.
You said, « I cannot go : all that is living of me
Is here for ever and ever ».
Then you went.
The world changed. The sound of the clock grew fainter,
Dwindled away, became a minute thing.
I whispered in the darkness: « If it stops, I shall die ».

(Katherine Mansfield)


Illustration: Edvard Munch