Une démonstration de savoir-faire technologique suscite l’étonnement.
Comme par hasard, c’est peu avant la visite officielle en Chine du secrétaire d’Etat américain ŕ la Défense, Robert Gates, que des fuites ont permis de constater que l’avion de combat J-20 est sur le point de faire son premier vol. Ce gros biréacteur, dit de cinquičme génération, présente des caractéristiques de grande furtivité en męme temps qu’il affiche des performances probablement similaires ŕ celles du Boeing F-22.
Ces Ťfuitesť, en toute logique, ont été soigneusement organisées au plus haut niveau de l’Etat, orfčvre en matičre du contrôle des mises en ligne, toutes disciplines confondues. En clair, cela revient ŕ dire que Pékin souhaite que l’existence du J-20 soit dűment confirmée et rendue publique. Mais dans des limites trčs étroites : aucune donnée précise n’est révélée, et certainement pas celles que les observateurs occidentaux souhaiteraient obtenir en priorité : masse maximale au décollage, type et puissance des moteurs, capacité d’emport, distance franchissable. Rien de tout cela n’est accessible.
En revanche, spéculation et jeux de devinettes vont bon train. Selon des méthodes d’investigation mise au point pendant la guerre froide, il suffit, par exemple, de la présence sur une photo d’un véhicule de piste pour obtenir un point de départ. Qu’il s’agisse des services secrets ou des industriels, ces repčres d’apparence anodine permettent en effet d’estimer les dimensions d’un avion par rapport ŕ celles d’une camionnette ou encore d’un casque de pilote. Dčs lors, on connaît ŕ peine l’appellation officielle du J-20 mais on devine, par exemple, que sa masse maximale serait de l’ordre de 40 tonnes.
L’essentiel, pourtant, est de constater que ce J-20, symbole de savoir-faire, a valeur de démonstration. On ne l’attendait pas avant plusieurs années et, du côté du Pentagone, on peut estimer que nombreux sont les experts qui marquent le coup. L’apparition de cet avion de combat est une mauvaise nouvelle, d’autant plus durement ressentie que la production en série du F-22 a été limitée ŕ 187 exemplaires (plus de 800 étaient prévus). Au niveau du symbole, le choc est rude.
Une fois de plus, les services de renseignement américains ont été pris en défaut. D’oů la tranquille assurance de Robert Gates qui, avec une belle constance, affirmait de longue date que le J-20 (tout d’abord appelé J-XX par les Occidentaux) n’apparaîtrait pas avant 2020 ou 2025. Reste ŕ savoir si l’avion dont les photos circulent sur Internet est un prototype dont la production va ętre lancée sous peu ou un simple démonstrateur technologique. De męme, on ignore tout de ses propulseurs et des armements qu’il emportera. La maničre chinoise de traiter l’information, a fortiori militaire, ne permet évidemment pas d’anticiper les développements du dossier.
En revanche, le J-20, malgré l’absence d’un minimum de précisions techniques, opérationnelles et industrielles, illustre de maničre spectaculaire le savoir-faire chinois, sa maîtrise de l’état de l’art et, du coup, crédibilise d’autres initiatives ambitieuses, ŕ commencer par le moyen-courrier C919 actuellement en cours de développement. Si les Chinois sont capables de mettre au point un équivalent du F-22, ils sont évidemment en mesure de s’attaquer au duopole Airbus-Boeing. Viendra le moment oů, situation sans précédent, la haute technicité d’un nouvel avion de combat aidera la commercialisation d’un avion de ligne ŕ 160 places. Curieux mais plausible.
Pour l’instant, les commentaires américains affichent une extręme prudence. Certains commentateurs de la premičre heure ont męme été tentés d’émettre l’hypothčse d’un leurre, que le J-20 n’existe pas vraiment. D’autres se risquent ŕ des propos acerbes, voire inquiets. Robert Gates vient précisément de boucler son projet de budget 2012 (qui sera en vigueur ŕ partir d’octobre 2011), en nette contraction ŕ 553 milliards de dollars, hors opérations extérieures. Comme au bon veux temps des grandes tensions américano-soviétiques, c’est une nouvelle guerre des nerfs qui commencent.
Ce n’est pas non plus un hasard si Robert Gates vient de faire allusion au projet de bombardier stratégique de nouvelle génération qui pourrait entrer en service en 2018
(d’oů son appellation trčs officieuse Bomber 2018). De quoi rassurer un peu une majorité républicaine qui n’accepte gučre la maničre de faire budgétaire et les priorités démocrates. Pékin n’en demandait sans doute pas tant.
Pierre Sparaco - AeroMorning
NB : dans la chronique du vendredi 7 janvier consacrée aux résultats commerciaux de Boeing de 2010, nous avons inversé deux chiffres. Le constructeur américain a enregistré l’année derničre 530 commandes (annulations déduites) et a livré 460 avions. Dont acte.