Faire connaissance avec un écrivain avec le premier tome d’une trilogie, c’est s’assurer un triple plaisir
Il y a longtemps que je voulais lire Yachar Kemal, j’ai fait coup double, satisfaire ma curiosité et avoir cette délicieuse impression que l’on est entré dans une maison amie.
Après la Première Guerre Mondiale, la toute jeune Société des Nations se prononce sur le différend qui sépare toujours la Grèce et la Turquie, après la chute de l’Empire Ottoman et la naissance de la
Les habitants de l’île-Fourmi n’y croient pas, mais il faut se rendre à l’évidence un beau jour la nouvelle tombe « il y aura échange » et ils devront, parce qu’ils sont grecs, abandonner cette île où les grecs vivent depuis 3000 ans, Mustafa Kemal Atatürk en a ainsi décidé.
Un beau matin de printemps ils embarquent et laissent derrière eux « Tout ce que nous avions, nos ruches, les fleurs de notre jardin, la plus belle vigne de l’île, notre maison... » Il est loin le temps où tout était prétexte à agapes, où, tous grecs et turcs venaient festoyer sur l’île « Les nattes étaient disposées sous les platanes, les pains tout chauds et fumants sortis du four étaient posés près de la vaisselle en cuivre étamée. Une merveilleuse odeur de pain sorti du four imprégnait les lieux »
Sur l’île ne reste plus que Vassilis Atoynatanoghlou, lui il est resté, il ne comprend pas comment il aurait pu quitter « sa mer, son jardin, ses oliviers plantés de ses mains ses pêchers et ses cerisiers ». Et il promet de tuer le premier qui prendra pied sur son île.
Il a des provisions, de quoi soutenir un siège, il a le souvenir de sa bien aimée dont le parfum le poursuit où qu’il aille et il a son chat qui a échappé au massacre des animaux domestiques.
Pour lui tenir compagnie il a aussi ses souvenirs, ceux de la guerre, de sa marche à travers la campagne enneigée, la neige à hauteur d’homme, lui les pieds nus et couvert de poux « Et ces dizaines de milliers de soldats saisis par le gel, le vent et les tempêtes de neige »
Alors le jour où, Poyraz Musa un turc, prend pied sur l’île, une formidable partie de cache cache va commencer entre ces deux ennemis qui ont chacun à leur façon affronté les horreurs de la guerre, supporté le fracas des armes, deux survivants de la bataille des Dardanelles.
Poyraz, vient s'installer sur l'île où il a acheté une propriété, il est riche et par chance il est malin, il a usé de flatterie pour arriver à ses fins mais le voilà propriétaire d’une belle maison et d’un moulin. Il est heureux car l’île est magnifique « Le ciel, la mer, la terre, les fleurs, les oiseaux, les arbres, les verts, les orangés, le violet, tout avait viré à ce rose de pêcher en fleurs »
Les deux hommes vont s’épier, se chercher, se deviner, s’ignorer mais vont-ils pouvoir cohabiter ? L’un certain de la nécessité de tuer cet envahisseur, l’autre sûr d’avoir enfin trouver le paradis sur terre.
Un roman superbe, flamboyant de couleurs, un conte épique comme devaient savoir en raconter les poètes ambulants de l’antiquité, ces rhapsodes qui chantaient l’Iliade de village en village.
Les personnages de Yachar Kemal sont issus de sa terre anatolienne, une mère aux bras chaleureux, un bandit d’honneur, tous hauts en couleur et chaleureux. Les situations même les plus dures sont teintées de cocasserie. Mais là où il est impérial c’est lorsqu’il parle de sa terre, de ses parfums, des arbres, des abeilles, de la pêche, de la beauté de cette île allégorique où chacun peut trouver son propre paradis.
Chance le deuxième tome de cette trilogie est déjà paru et je vais pouvoir poursuivre l’aventure sur l’île-Fourmi
Le livre : Regarde donc l’Euphrate charrier le sang - Yachar Kemal - Traduit du turc par Altan Gokalp - Editions Gallimard
L’auteur :
Yachar Kemal de son vrai nom Kemal Sağdıkgöğceli, est un romancier turc d'origine kurde, né en 1923 dans le village de Hemite près d'Osmaniye en Turquie.
Issu d'une famille pauvre, il dut abandonner ses études après l'école primaire. Il pratiqua divers métiers, tout en publiant de la poésie. Il passa une année en prison en 1950 pour « propagande communiste », puis commença à travailler pour le quotidien Cumhuriyet. Son roman Mèmed le Mince lui valut le succès en 1955, succès grandissant qui lui valut d'être pressenti pour le Prix Nobel de littérature en 1972.
Yasar Kemal est condamné en 1996 par la cour de sûreté de l'Etat à un an et huit mois de prison pour un article intitulé « Le ciel noir de la Turquie » publié en 1995 dans le livre « La liberté d'expression et la Turquie » et qui dénonce le traitement de la question kurde par l'Etat turc (source Wikipédia)