La tuerie de Tucson

Publié le 09 janvier 2011 par Copeau @Contrepoints

Ce 8 janvier, profitant d’une rencontre entre le député et les électeurs dans une circonscription de l’Arizona, un jeune homme tire et tue plusieurs personnes.

La cible, une député démocrate, Gabrielle Giffords, a reçu une balle dans la tête à bout portant et se trouve actuellement hospitalisée dans un état grave. Un chief judge fédéral (nommé par Bush père) a été tué ainsi que plusieurs autres personnes.

La classe politique a à juste titre condamné l’assassinat mais l’affaire enflamme les passions dont elle est le révélateur. La question des causes est décisive car elle suspend pour le moment les interprétations politiques qui ne manqueront pas de nous inonder le cas échéant. Au-delà des causes immédiates il faut constater le rôle d’une polarisation politique excessive. La question des armes sera aussi évoquée.

I) Quelles causes ?

Les motivations de l’assassin ne sont pas encore établies mais déjà on est généreux et on prête, en particulier au tea party, quoiqu’il apparaît déjà clair que le coupable est aliéné.

Le jeune homme de 22 ans qui a été arrêté a en effet tout l’air du loser égaré, fanatisé par les passions successives du moment : amateur de théorie du complot, lecteur de Hitler, Platon, Marx et Ayn Rand (dit-il), haïssant la police et l’Etat, réclamant aujourd’hui le retour de l’étalon-or tandis qu’auparavant il se serait réclamé de la gauche. Très vraisemblablement, mais ce n’est que mon opinion, nous avons affaire à un médiocre faible et envieux, qui décide de détruire tout ce qu’il ne peut pas être, rationalisant sa haine du système avec des idées dans l’air du temps.

Reste que la passion qui explique son action n’est probablement pas sans lien avec le tea party. En effet la député est un soutien du plan de santé Obamacare, et son assassin réclame le retour à l’étalon or, une revendication classique des teas parties. D’autres pistes sont possible, la député était juive et il n’est pas impossible que ces motivations se cumulent.

En sens inverse on peut remarquer que le juge tué avait été nommé par un républicain, que la député était une démocrate relativement conservatrice ou encore que les deux officiels étaient pro-gun.

Alors un mot sur le tea party : ce mouvement tea party à cheval entre libertarianisme et populisme a le cul entre deux chaises. Il est d’une part le vecteur de la critique libertarienne de l’Etat ; il est aussi la rationalisation des passions anti-système. Les deux versants se tiennent : la passion a besoin de la raison pour se légitimer, la raison a besoin de la passion pour conquérir les coeurs. On trouve donc parmi les tea party des éléments extrémistes qui adhèrent aux théories du complot les plus farfelues et une critique des représentants de l’Etat qui tourne à la haine pure et simple. C’est triste mais c’est comme ça. (on pourra aussi se référer à mon article récent sur le retournement de l’hystérie aux Etats-Unis)

Quand un déséquilibré, qui cherche des coupables à qui reprocher sa médiocrité, rencontre des excités qui les le lui montrent, on obtient la fusillade de Tucson et toutes ces vies fichues en l’air – encore qu’ils ne soient pas dits que ces excités soient des teas parties.

Pour faire un parallèle, à une autre échelle, le même schéma avait prévalu dans l’attentat qui avait lieu un 14 juillet contre Jacques Chirac, quand un jeune homme aliéné avait voulu tirer sur le président. Sorti de son fanatisme, ce jeune homme-là se serait parait-il réinséré. Là encore, une personne aliénée, fermée dans son monde, voulait exister en faisant un grand coup nihiliste contre un système accusé de tous les maux en réalité imputables à lui-même.

S’il s’avère, concernant la fusillade de Tucson, que ce déséquilibré a agi en s’inspirant des idées des tea party, cela voudra dire que ce mouvement doit veiller à condamner le plus fermement ce type d’action et énoncer très clairement que son programme ne doit pas servir à justifier la haine. Mais pour l’instant on n’en sait rien et le plus crédible est que le jeune homme était aliéné et adhérait à diverses croyances anti-systèmes.

II) Polarisation politique

De façon plus générale, cet attentat – et son début de traitement médiatique – apparait surtout révélateur du climat politique extrêmement tendu qui sévit actuellement aux Etats-Unis, la violente polarisation qu’il y a entre la droite et la gauche.

Les ferments de cette polarisation ont plusieurs sources. Il y a bien sur le tea party, qui offre un vecteur d’expression aux contestataires du système américain, qui dénonce les officiels américains et l’étendue du rôle de l’Etat. Mais cette critique de l’Etat apparait plus être la manifestation que la cause du déficit de légitimité de l’Etat.

Les partis traditionnels admettent difficilement l’émergence du tea party. Les démocrates moquent les partisans d’un tel mouvement et refusent de le considérer comme un opposant crédible, précipitant la polarisation politique.

Au niveau de l’information, les chaines télévisées sont séparées entre Fox news, de droite, et la plupart des autres chaines, plutôt de gauche. Si Fox News est apparue et fonctionne si bien, c’est d’abord parce qu’il y avait un conformisme intellectuel dans la présentation des informations et des analyses effectuées, que cette chaine a rompu. Au lieu de se moquer des défauts de Fox News et dénigrer ses téléspectateurs, il aurait mieux valu s’interroger sur ses propres biais. Fox news a évidemment joué de ce mépris élitiste pour conforter son audience. Mais en fin de compte, Fox news ne créait qu’un deuxième paradigme conformiste. Chaque camp était content, méprisant confortablement l’autre et nourrissant toujours plus la polarisation de la vie politico-intellectuelle américaine.

Cette polarisation excessive est un poison. C’est pour cette raison que je ne pense pas pertinente la critique qui prend feu contre Sarah Palin. Sarah Palin, une personnalité républicaine qui s’est rapprochée des teas partys, avait en effet une carte des USA sur son site, où étaient représentés les sièges à conquérir derrière des cibles… Comme le montre Lucilio dans son article, les démocrates eux-même recourent à cette imagerie.

Ce n’est assurément pas fin mais dire que Palin a du sang sur les mains pour cette raison est tiré par les cheveux, intéressé et témoigne à son tour de la polarisation excessive de la vie politique américaine. Au lieu de chercher des coupables un peu artificiels, il serait plus utile de travailler à réduire le clivage politique.

III) La question des armes

Triste ironie de l’histoire le chief judge et la député victime des tirs étaient des personnalités favorables à la détention d’armes.

La député en défendait le principe. Le chief judge avait récemment condamné la procédure de recherche d’informations de personnes achetant certaines armes (mise en place par Reagan).

La tuerie va remettre sur le devant de la scène la question de la libre détention des armes aux Etats-Unis. Pour les contres, il est absurde qu’un déséquilibré puisse obtenir une arme, pour les pours, il y a plus d’avantages à la libre détention d’armes qu’en son interdiction et qu’interdire les armes ce n’est jamais les interdire que pour ceux qui pourraient se défendre avec.

En France le débat est vite réglé : interdiction des armes. Qu’on se rappelle pourtant la tuerie de Nanterre, qui montre que ce type d’évènements n’a rien de spécialement américain. Il n’est pas inutile d’avoir à l’esprit que la quantité de tueries aux USA doit être pondéré par le fait que sa population est cinq fois supérieure, que Richard Durn, était un déséquilibré avant d’être trésorier de la LDH locale. Le débat se passerait agréablement de jugements aussi définitifs que provincialistes sur la question.

Conclusion - Marcel Gauchet disait récemment, et joliment, que la démocratie est la concurrence des démagogies. Il ne faudrait pas que cette concurrence vire à la guerre. Les adversaires devraient se respecter mutuellement et ne pas donner accroche à des déséquilibrés. Ceci signifie qu’il faut travailler à diminuer le clivage politique et pas à l’accroitre en cherchant à lyncher des coupables dans les partis politiques adverses. Ce drame qu’est la tuerie de Tucson ne doit pas servir à alimenter la guerre politique mais en révéler le caractère malfaisant.

Fusillade à Tucson Arizona.