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“Somewhere” de Sofia Coppola

Publié le 09 janvier 2011 par Boustoune

Quatrième film de Sofia Coppola, Somewhere sort enfin sur nos écrans après avoir été l’objet de toutes les polémiques lors de la 67ème Mostra de Venise, où il a remporté la récompense suprême, le Lion d’or du meilleur film.
Une partie des festivaliers et des représentants de la presse avaient accusé le président du jury, Quentin Tarantino, d’avoir intrigué pour que le film de son ex-compagne soit sacré, malgré des qualités artistiques douteuses et une projection ayant divisé les spectateurs (1).

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Avant de livrer le moindre jugement sur l’oeuvre, rappelons que les films de Sofia Coppola n’ont jamais réellement fait l’unanimité.
A la sortie de The Virgin suicides, si la plupart des spectateurs – dont votre serviteur – avaient été enthousiasmés par l’élégance de la mise en scène et les qualités visuelles et sonores de l’oeuvre, quelques voix s’étaient élevées pour fustiger une esthétique toc et une histoire trop plate et incohérente.
Lost in translation a reçu bien des éloges et a su séduire de nombreux cinéphiles – dont votre serviteur – touchés une nouvelle fois par la précision de la mise en scène et le jeu tout en nuances du duo Bill Murray/Scarlett Johansson. Mais il a aussi récolté quelques critiques salées sur sa lenteur et la vacuité de son propos.
Ces deux premiers films ont quand même rencontré globalement un beau succès, tant public que critique.
Puis la tendance favorable a commencé à s’inverser. En 2006, sa Marie-Antoinette en Converse a fortement divisé le public cannois. Beaucoup ont trouvé le film “ennuyeux” et “faussement audacieux” et certains ont même carrément remis en question le talent de Sofia Coppola, arguant qu’aucune cohérence thématique ne se dégageait de son oeuvre.

Et pourtant, les thèmes de prédilection de la cinéaste sont, de film en film, assez évidents : l’ennui, la solitude, la fausse insouciance, le refus de vieillir…
On les pressentait déjà dans The Virgin suicides, film profondément mélancolique dans lequel des adolescentes sans histoire, dans un quartier calme, trop calme, presque oppressant, se donnaient la mort. Sofia Coppola avait judicieusement préféré garder le mystère sur les raisons exactes de leur suicide, mais avait laissé les images diffuser un certain malaise, correspondant au mal-être de ces jeunes filles.
Dans Lost in translation, Bill Murray jouait un acteur subitement perdu dans un pays étranger, dans une culture totalement étrangère.  L’occasion pour lui de faire le point sur le désert de sa vie privée, sur sa profonde solitude, son spleen existentiel. La rencontre avec une jeune compatriote jouée par Scarlett Johansson lui permettait de prendre un nouveau départ, de reprendre sa vie en main (ou non d’ailleurs, selon la perception de la fin du film…).
Enfin, Marie-Antoinette traînait son ennui et son désarroi dans un Versailles étouffant, aux conventions trop strictes, aux codes trop rigides pour une jeune femme n’ayant pas encore conscience de ses devoirs de souveraine. Elle grillait sa jeunesse dans l’insouciance, puis dans la solitude et l’ennui, avant de réaliser ce qu’elle avait perdu…

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Ces thèmes sont une nouvelle fois – et plus que jamais – au coeur du nouveau film de Sofia Coppola.
Dans Somewhere, sa caméra suit quelques jours de la vie de Johnny Marco (Stephen Dorff), une star de films d’action hollywoodiens. Entre deux tournages, l’homme s’est installé à l’hôtel du Château Marmont, sur les hauteurs de Los Angeles. Là, il essaie de tromper l’ennui qui le ronge un peu plus chaque jour et un sentiment de solitude de plus en plus manifeste.
Il y a pourtant du monde autour de lui, mais ces relations ne sont que superficielles : des oiseaux de nuit amateurs de fiestas alcoolisées, des jumelles stripteaseuses effectuant pour lui des lap-dance torrides, des journalistes-parasites… Cette agitation nocturne l’occupe un peu, l’aide surtout à trouver le sommeil, mais ne parvient pas à combler son vide existentiel  (euh… s’il ne veut pas des jumelles danseuses, je les veux bien, moi… hum, pardon, reprenons…)
Le jour, il traîne au bord de la piscine, joue à des jeux vidéo ou part faire des tours de piste au volant de sa Ferrari (c’est dur la vie d’artiste). Des occupations qui, là encore, ne parviennent pas à le rendre plus heureux.

L’acteur déprime. Des textos anonymes le font réfléchir à la vacuité de son existence, au côté dérisoire de son métier. Qu’est-ce qu’un acteur sinon un usurpateur? Ce n’est pas vraiment lui que les gens admirent, plutôt les héros qu’il a incarnés. D’ailleurs, il ne possède pas la même résistance aux chocs. En atteste son poignet plâtré, suite à une chute lors d’une énième soirée trop arrosée.
Il n’est qu’un véhicule au service de personnages fictifs. Autant dire, rien. Un simple outil… C’est sans doute là la signification de cette scène où Johnny doit, pour les besoins d’un film, laisser les techniciens maquilleurs effectuer le moulage de son visage. On lui ferme les yeux et la bouche, on lui colle une épaisse couche de latex et de plâtre sur la figure et on l’abandonne là pendant de longues minutes, la respiration sifflante…
Le même vertige le saisit lorsqu’il assiste à une conférence de presse dont il ne comprend pas le sens des questions, ou quand, au cours d’une virée en Italie pour la remise d’un prix sanctionnant l’ensemble de sa carrière, on ne lui laisse même pas le temps de s’exprimer… (2)
Même s’il lui procure plein d’avoirs, son métier l’empêche d’être. Malgré sa célébrité, son confort matériel, son train de vie luxueux, Johnny manque sans doute de choses essentielles, comme l’amour, la tendresse…
Il a séduit beaucoup de femmes mais n’a réussi à en garder aucune, trop égocentrique pour s’attacher à quelqu’un, trop lâche pour laisser quelqu’un s’attacher à lui…

Résultat, sa vie n’est qu’ennui et immobilisme. La déprime totale…
Seule l’arrivée de Cleo, sa fille de onze ans, va mettre un peu de piment dans son existence, le temps de quelques jours.
Enfin, du “piment”, c’est beaucoup dire, puisqu’ils font exactement ce que Johnny faisait avant qu’elle ne vienne : ils passent  le temps à glander dans le canapé ou au bord de la piscine… Mais s’ennuyer à deux, c’est toujours mieux que tout seul, non?

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Autant vous le dire, maintenant : il ne se passe pas grand-chose dans Somewhere. On y voit juste deux personnes en train de s’ennuyer à mourir dans un décor luxueux mais froid, totalement impersonnel…
Sofia Coppola cherche à nous transmettre le malaise et l’ennui de ses personnages à l’aide de longs plans fixes, cadrés suffisamment larges pour que Johnny et Cleo  aient l’air d’être isolés, perdus au milieu de l’image. Les scènes se succèdent, étirées au maximum, redondantes. La méthode est radicale, mais elle fonctionne parfaitement. On ressent  la profonde lassitude éprouvée par le personnage principal et on est ainsi sensible à ses questionnements existentiels.

Ces partis pris de mise en scène jusqu’au-boutistes sont un peu fous et courageux, car l’ennui avec l’ennui, c’est que c’est très ennuyeux, à la vie comme à l’écran. Ceux qui vont au cinéma pour justement, se divertir, échapper à la lassitude risquent de ne pas trop apprécier. Et gageons que même parmi les cinéphiles, rares seront ceux qui auront la patience de supporter ce film dépourvu d’intrigue au sens strict, et jouant délibérément autour de la notion de vide.

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Oui, il faut être en forme pour pouvoir apprécier cette oeuvre à sa juste valeur. Et être prêt à fournir les efforts nécessaires pour comprendre ce qui se noue – ou se dénoue – dans cette apparente torpeur.
Car évidemment, ce n’est pas parce que l’action est très rare qu’il ne se passe rien. Au contraire. Le personnage principal fait physiquement du sur-place, ou tourne littéralement en rond – comme les tours de circuit en Ferrari qui ouvrent le film – mais, si on se place d’un point de vue psychologique, il progresse. Il prend conscience de son état, de ses manques. Les quelques jours passés avec sa fille lui font comprendre ce qui est important dans la vie.
Avec l’arrivée de Cleo, quelque chose change imperceptiblement.
Il y a déjà cette scène de la patinoire où l’homme semble redécouvrir qu’il a une fille. Jusque là apathique, absent, il semble émerger. Son attention est soudain focalisée sur quelque chose, sur quelqu’un.
La jeune fille est demandeuse d’affection, de tendresse. Elle lui jette des regards tantôt emplis d’amour filial, tantôt lourds de reproches. Lui-même éprouve de l’affection, de la gêne, de la honte. Il est incapable de les exprimer, mais on les devine, par des petites moues, des regards, des gestes.

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Tout passe par des non-dits, des petits riens, des choses délicates. Le lent mouvement intérieur est traduit par de discrets mouvements de caméra, porté par les musiques vaporeuses composées par le groupe Phoenix. Et puis, finalement, le personnage se mettra physiquement en mouvement, ayant enfin trouvé son but, cet “quelque part” où aller pour exister, enfin…
Tout l’art de Sofia Coppola réside dans cette capacité à filmer les émotions les plus infimes, les révolutions subtiles de l’âme humaine, avec un minimum d’effets et la mise en place d’un climat particulier.
Après, on supporte ou non, mais force est de constater que la jeune femme est une cinéaste brillante, s’inscrivant dans la lignée de certains de ses confrères américains (Gus Van Sant, Wes Anderson, Jim Jarmusch…) ou de maîtres européens (on pense ici à Michelangelo Antonioni).

Et puis, l’oeuvre nous offre plusieurs niveaux de lecture.
On peut voir une forte inspiration autobiographique dans cette relation père-fille à la fois tendre et compliquée, dans l’univers factice de “l’usine à rêves” hollywoodienne. La cinéaste reconnaît avoir puisé dans ses propres souvenirs pour recréer l’ambiance particulière qui règne dans les halls de Château-Marmont. Il est probable que pour la fillette qu’elle était, ce décor de luxe assez froid et peuplé de gens futiles ne suscitait que l’ennui…
On peut aussi prendre le film comme une critique du cinéma hollywoodien actuel, purement commercial, et de ses stars factices. La cinéaste semble se désoler de cet état de fait, elle qui a connu, via son histoire familiale, les derniers feux de l’âge d’or du cinéma américain, dans les années 1970. Tout comme elle déplore les chemins pris par le cinéma européen, jadis précurseur de nouvelles formes de narration cinématographique, mais qui cherche trop, aujourd’hui, à copier leur homologue d’outre-Atlantique, y compris dans ses formes les plus médiocres…

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La lenteur, le sentiment de lassitude prodigué, sont donc volontaires, revendiqués même, en réaction à tous ces films d’actions finalement assez ennuyeux, eux aussi, à force de poncifs et de prouesses pyrotechniques assez vaines.
La démarche est inattaquable. Mais on a le droit de ne pas adhérer totalement. Le point faible de Somewhere, de notre perspective, réside dans son interprète principal, Stephen Dorff. On salue la performance de l’acteur dans ce “non-rôle” pas si simple que cela à jouer, mais on peine à s’attacher à son personnage et à ses petits problèmes, contrairement à Bill Murray dans Lost in translation qui nous était plus sympathique. Du coup, le film nous touche moins qu’il ne le devrait.

Somewhere nous a donc laissé un sentiment mitigé. C’est une oeuvre ambitieuse, brillante, à la mise en scène maîtrisée mais qui nous laisse étrangement assez froids. Nous aurions aimé que ce film nous procure les mêmes émotions, le même choc esthétique que les films précédents de Sofia Coppola. Ce n’est pas le cas, hélas…
Cela dit, ce Lion d’or n’est pas immérité. Le jury a sûrement souhaité primer l’audace et la radicalité qui constituent les qualités indéniables du film.
Nous ne pouvons donc que saluer le travail de la jeune cinéaste, qui s’impose avec ce quatrième film comme l’une des artistes les plus intéressantes du cinéma américain. On attend le prochain avec impatience…

(1) : Selon Quentin Tarantino, la décision de son jury a été prise à l’unanimité. D’autres membres du jury l’ont d’ailleurs confirmé, insistant sur les qualités du film primé.
(2) : On est heureux de retrouver, à l’occasion de cette brève séquence, le cinéaste Maurizio Nichetti, dont était sans nouvelles depuis un bon moment. A quand un nouveau film du génial réalisateur de Ratataplan ou L’amour avec des gants ?

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Somewhere
Somewhere
Somewhere

Réalisatrice : Sofia Coppola
Avec : Stephen Dorff, Elle Fanning, Chris Pontius, Michelle Monaghan, Alden Ehrenreich, Aurélien Wilk
Origine : Etats-Unis
Genre : ennuyeux
Durée : 1h38

Date de sortie France : 05/01/2011
Note pour ce film :

contrepoint critique chez :  Les Inrockuptibles

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