Indignation

Publié le 09 janvier 2011 par Malesherbes

L'opuscule de Stéphane Hessel, Indignez-vous, vient de dépasser les 600.000 exemplaires. Il importait donc que des esprits plus avisés que le lecteur moyen entreprennent de lui expliquer en quoi ce message était dépassé. Certes, étant donné la stature de son auteur, il n'était pas possible de l'attaquer de front. Alors, on commence par l'ensevelir sous les hommages. Ainsi, au Grand Journal de Canal+, ce 7 janvier, on a pu entendre Luc Ferry déclarer ceci : " Oui, écoutez, je suis gêné, parce que j'aime beaucoup Stéphane Hessel [...], j'ai trouvé que c'était un type absolument épatant, impressionnant, en plus il est adorable " et sur Slate.fr, Eric Le Boucher s'exprime ainsi : " C'est entendu: Stéphane Hessel est une personne admirable ".

Puis, in cauda venenum, on en vient au fait, sur des tons différents. Avec commisération, comme Le Boucher : " Encore une fois, le vieil homme s'indigne, cela suffit [...] Et Hessel de nous donner au passage sa vision simple de l'histoire ". En somme, pardonnez-lui, il n'a jamais été très au fait des choses et, maintenant, il serait même un peu gâteux. Ou bien, chez Ferry : " je suis en total désaccord avec lui [...] l'indignation n'est pas un sentiment moral, la vraie morale c'est celle qui s'adresse à soi [...] ce n'est pas d'aller dans le sens de la plus grande pente ". Mais bien sûr, pauvre jeune homme idéaliste, mais pas moral, que ce Stéphane, suivant en 1940 la plus grande pente pour rejoindre de Gaulle à Londres, quand tant d'autres restaient bien sur le plat, dans les marais croupissants du pétainisme.

Pour bien enfoncer le clou, Le Boucher en rajoute : " L'indignation est légitime, mais elle ne doit pas conduire à la glorification des acquis de la Résistance. L'indignation, si elle s'accroche à un passé à bout de souffle, devient indigne ". Mais c'est bien sûr, comme dirait ce vieux commissaire Bourrel, la Résistance, on pouvait s'y référer à la Libération, mais ces temps sont révolus. Que ces vieux radoteurs se taisent, il n'y a pas de guerre entre les peuples et la finance. Et il poursuit, sans rire : " Les marchés financiers cherchent d'abord, en général, la sécurité donc la paix et le respect des droits des investisseurs donc la démocratie ".

Lors du débat au Grand Journal, Thomas Legrand demande à Ferry : " La Côte d'Ivoire, est-ce que cela vous indigne ? " et Ferry de répondre : " Moi, je suis scandalisé ! Mais ce n'est pas la même chose ". Ah non ? J'ai vraiment besoin qu'on m'explique en quoi, excepté quelques considérations linguistiques, c'est différent. Je préfère retenir le mot de Legrand " l'indignation, c'est l'étincelle de l'action ".

Pour conclure, je rapporterai ici une récente déclaration de Viktor Orban, premier ministre hongrois, suite aux critiques portée par l'Union européenne à propos de la nouvelle loi hongroise sur les médias : " Je ne me souviens pas que la Hongrie ait jamais critiqué la loi française sur les médias, alors qu'elle donne au président de la République la possibilité de désigner le patron de la télévision. ". Cette remarque me semble hélas tout à fait justifiée. Alors, " ô grand sage Luc Ferry, êtes-vous indigné, scandalisé ou indifférent ? ". Pour ma part, j'ai honte.

PS : Vous trouverez ici une analyse détaillée de la position de ceux qui tentent de décrédibiliser Stéphane Hessel.