Comme souvent chez Nicolas Sarkozy, le plus important était ce qu'il ne dit pas.
Cacher l'ampleur du chômage
Le chômage n'a pas baissé en 2010. Depuis l'entrée en crise à l'automne 2008, le nombre mensuel de cessations d'inscription pour défaut d'actualisation a bondi de 20%. Et les transferts d'une catégorie à l'autre des statistiques de pôle emploi ne saurait cacher l'essentiel : 4,6 millions de personnes sont en recherche d'emploi, dont 3 millions sans aucune activité déclarée. Jamais Sarkozy ne reconnaîtra l'ampleur du manque d'emploi. Il préfère parler de « noyau dur », de baisse durable, de hausse des embauches (« la France a créé 110.000 emplois sur les trois premiers trimestres de 2010» ) : « Avec l'Allemagne, la France est le pays qui s'en est le mieux sorti », grâce aux « outils que nous avons mis en place, avec vous, dans le domaine de l'emploi nous ont permis d'amortir le choc de la crise.» Pour 2011, la réduction sans précédent des crédits dédiés à l'emploi en 2011 n'est pas non plus évoquée.
Réécrire le passé
Dans son discours, Sarkozy loua la qualité du dialogue social qui a permis de faire face à la crise : « si les outils ont bien fonctionné pour protéger nos compatriotes, c'est parce que nous avons travaillé ensemble pour les élaborer.» Sarkozy est amnésique. Il y a tout juste 2 ans, le 29 janvier 2009, plus de deux millions de personnes, retraités, fonctionnaires, salariés du privé, policiers, magistrats, journalistes, parents, élèves, chômeurs, avaient dû manifester contre son autisme social, contre la brutalité protéiforme de son action, contre l'injustice de son « plan de relance » (tout pour les banques et quelques grandes entreprises, rien pour les salariés). Le 5 février suivant, Sarkozy, sous la pression de la rue, avait dû lâcher 2,5 milliards d'euros de dépenses sociales diverses, telle une meilleure indemnisation des salariés au chômage partiel, l'amélioration de la couverture chômage pour les personnes en fin de CDD et pour les jeunes, la suppression de la première tranche de l'impôt sur le revenu, l'annulation du deuxième tiers provisionnel dès cette année, et l'augmentation des allocations familiales.
Un an plus tard, rebelote. Les syndicats alertent le gouvernement depuis des mois sur le sort des fins de droits. Le gouvernement temporise. Il attend avril 2010 pour concéder quelques millions d'euros à celles et ceux qui se trouvent exclus de toute indemnisation.
Refuser le dialogue social.
Ce fut sans doute le seul moment de sincérité, peu commenté dans les médias : « le dialogue social ne peut être une fin en soi. Le dialogue social c'est une méthode, c'est un moyen au service d'une action. » Jeudi, Sarkozy a reconnu qu'il ne voulait pas discuter avec les partenaires sociaux de la réforme des retraites: « nous savions dès le départ que ce sujet de la réforme des retraites ne pouvait pas constituer un champ de négociations entre le Gouvernement et les partenaires sociaux.» Primo, parce qu'elle n'était pas du ressort, selon lui, de la négociation sociale. Secundo, à cause du « désaccord de fond, que nous avions avec les organisations syndicales sur le relèvement de l'âge légal de départ à la retraite.» Avec le recul, on ne peut qu'être marqué par une telle outrance. Début septembre, au plus fort de la contestation sociale, tous les ténors de Sarkofrance ne cessaient d'expliquer sur toutes les ondes médiatiques combien le dialogue social avait été réel et permanent. Et voici qu'à peine quatre mois plus tard, un petit Monarque, debout sur son estrade, explique sans gêne qu'il n'avait jamais eu l'intention de négocier quoique ce soit... « Et vous respecter, vous les partenaires sociaux, c'est vous dire la vérité, même lorsqu'elle est difficile à entendre.» ose-t-il ensuite déclarer.
Après l'aveu, Sarkozy s'est permis un gros mensonge : « En Europe, la France est le seul pays à faire le lien entre retraite et pénibilité ». C'est faux. Nos voisins européens ont, pour la plupart, des régimes spéciaux qui sont justement la prise en compte collective d'une pénibilité vis-à-vis de la retraite.
Précariser les séniors
« nous avons mis fin aux préretraites publiques, nous avons supprimé la dispense de recherche d'emploi, nous avons autorisé le cumul emploi-retraite, nous avons mis en place un dispositif d'aide à l'embauche pour les demandeurs d'emploi de plus de 55 ans.» a-t-il expliqué jeudi. Ces belles mesures étaient-elles judicieuses en pleine crise ? Pour Sarkozy, bien évidemment : « Cela a marché : le taux d'emploi des 55-59 ans a augmenté de 4 points depuis 2007, le taux d'emploi des 55-59 ans atteint désormais 60%, soit la moyenne européenne.» Il oublie une explication : le taux d'emploi de cette tranche d'âge a surtout progressé ... chez les femmes (42% en 1995 ; 51% en 2005 ; 56% en 2009), et grâce au travail précaire : selon le ministère de l'emploi, « les seniors occupent près de quatre emplois sur dix dans l’agriculture et les services domestiques », et « le sous-emploi touche particulièrement les salariés seniors des services domestiques ». Sarkozy omet de préciser que l'espérance d'activité à 55 ans n'a progressé que d'un trimestre depuis 5 ans, ou que la part de chômage des seniors ne cesse de progresser.
Précariser les fonctionnaires
A l'UMP comme à l'Elysée, on aime répéter que Jean-François Copé et Sarkozy s'entendent très bien, que le second attend du premier qu'il fourmille d'idées. Justement, Copé, et son fidèle Christian Jacob, aimeraient bien « réfléchir à la pertinence de l'embauche à vie des fonctionnaires.» Jeudi, Sarkozy n'avait pas envie de commenter cette toute récente déclaration du président des députés UMP. Il préférait louer le travail des agents de pôle emploi (« dignes de la reconnaissance de la communauté nationale »), et féliciter les nouvelles souplesses déjà acquises : « tous les freins à la mobilité et au travail des fonctionnaires ont été levés. Leur rémunération reflète davantage leur mérite. Ils sont moins nombreux. » Quitte à lâcher des chiffres sans preuve : « la progression du pouvoir d'achat, y compris sur l'année 2009, a été de près de 3,5% ».
Préserver quel pouvoir d'achat ?
Un tiers des salariés français gagnent moins que le SMIC. Pour 2011, ce dernier, comme nombre de minima sociaux, ne progressera que de 1,5%. On a déjà largement commenté l'inflation prévue ou confirmée de nombre de services de base (électricité, transports, santé) tout comme les 5 milliards d'euros d'impôts supplémentaires en 2011 qui épargneront les heureux bénéficiaires du bouclier fiscal. Sarkozy botte en touche : il est content du RSA et de la réduction du nombre de branches où le minimum conventionnel est inférieur au SMIC. « Il y a des souffrances, il y a des injustices, il y a des inégalités, mais le pouvoir d'achat des Français a été préservé.» Pas un mot sur la précarité massive des familles mono-parentales, sur les 13% de ménages pauvres (une proportion inchangée depuis 2007), les 5 millions de Français sans mutuelle, ou l'échec incroyable du RSA Jeunes.
Affaiblir la Sécu
Sur la protection sociale justement, Sarkozy a reconnu combien elle nous avait permis d'atténuer l'impact de la crise. Mais il n'eut aucun mot sur les nombreux coups de canifs contre la prise en charge de la santé, via les vagues successives de déremboursements, les hausses de tarifs de mutuelles, la nouvelle contribution imposée aux bénéficiaires de l'AME votées pour 2011. Pour cette année, il ne cible que la dépendance, et nous prévient déjà : « naturellement il y aura des décisions difficiles à prendre.» On craint le pire.
Mentir sur l''apprentissage
Sarkozy veut qu'une priorité soit donnée à l'emploi des jeunes. Son grand dada, c'est l'alternance : « il y a un tiers des jeunes de 16-20 ans qui passent par l'alternance en France, contre deux tiers en Allemagne. (...) Il faut qu'il y ait les deux tiers des jeunes français qui passent par l'alternance. » Pourtant, il a supprimé, pour 2011, l'essentiel des dispositifs de soutien à l'apprentissage au motif que nous serions sortis de la crise. Le nombre d'apprentis est passé de 412.000 début décembre 2008, à 373.000 un an plus tard, et 377.000 au 1er décembre 2010. Et voici qu'on nous promet, sans argent ni incitation, de monter à 600.000 voire un million « très prochainement.»
Ce jeudi, face aux partenaires sociaux, le candidat Sarkozy voulait incarner le président protecteur mais courageux qu'il entend vendre aux Français.
D'omissions en mensonges, d'autosatisfaction en raccourcis, il a surtout montré qu'il était toujours ailleurs, hors sol, déconnecté.