Viktor Orban a réagi très vivement aux critiques européennes et notamment françaises à propos de la loi hongroise sur les médias considérée comme liberticide. “Il n’appartient pas aux Français ou aux Allemands de juger de la conformité d’une législation nationale avec les règles de l’UE, mais à la Commission européenne“, a indiqué le premier ministre hongrois qui s’est déclaré prêt à amender le texte controversé si Bruxelles le demandait. Non sans malice et sans raisons, le chef du gouvernement de Budapest a invité la France à balayer dans sa cour en prenant pour exemple la nomination par le chef de l’État français du président de la chaîne de télévision publique.
Et voilà, l’arroseur arrosé d’autant, que le lendemain, le premier procureur de France dans un réquisitoire historique par sa teneur a officiellement tiré l’alarme sur les atteintes répétées à la séparation des pouvoirs et à l’ingérence du pouvoir exécutif dans le règlement des affaires judiciaires.
Si la question du traitement des médias par le pouvoir hongrois n’a suscité que de très molles réactions de la part de la commission européenne, la France en revanche, parallèlement aux indignations qu’elle avait suscité dans le traitement réservé au Roms, continue à être régulièrement épinglée pour la subordination du parquet au pouvoir politique.
Le camouflet suprême a été cet arrêt rendu le 23 novembre 2010 par lequel, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que les procureurs et membres du parquet ne sont pas, du fait de leur statut, des magistrats indépendants du pouvoir exécutif, et ne peuvent donc priver un justiciable de sa liberté.
Autrement dit, les juges de la CEDH estiment, contrairement au gouvernement français, que le parquet ne présente pas de garanties d’indépendance.
Le procureur général Nadal aux paroles d’autant plus libres que sa retraite est proche, va plus loin. Parlant d’une République «blessée», il nous met en garde contre les atteintes au principe de séparation des pouvoirs qui, comme l’a démontré Montesquieu, est indissociable d’un pays démocratique.
Jean-Louis Nadal ne s’est pas contenté de rester dans de vagues impressions, des généralités. Il a été, c’est là où l’on mesure la portée de ses propos, étayé son discours d’exemples concrets, de Grenoble à Bobigny en passant par les affaires Clearstream et Woerth-Bettencourt.
L’exercice n’a pas été trop difficile, tant ces derniers mois, le chef de l’État et son ministre de l’intérieur ont multiplié plus que des coups de canif, de véritables coups de hache à l’indépendance de la justice.
Notre immersion dans le bain de l’actualité française ne nous offre pas le recul nécessaire pour juger objectivement de la dégradation de notre système démocratique depuis l’élection, seulement 2007, de Nicolas Sarkozy à la présidence de la république.
Cette dégradation n’a rien à envier à la situation hongroise. Cet ancien pays du bloc soviétique peut avancer pour excuses son avènement récent à la démocratie. Tel n’est pas le cas de la France, patrie des droits de l’homme, référence universelle en matière de libertés et qui pourtant, derrière l’image d’Épinal, laisse se dégrader ses garde-fous démocratiques.
Certes, quelques rares voix se sont élevées dans le désert pour, comme le fait aujourd’hui l’un des plus magistrats français, dénoncer cette spirale infernale. Rendons hommage à cet égard à et Edwy Plenel qui n’a pas ménagé son talent et sa plume pour décrire la machine infernale du sarkozysme.
Las, dans notre société en plein délitement intellectuel, il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. Les accusateurs se sont ainsi retrouvés au banc des accusés, suspectés d’être excessifs et d’en faire trop. Il est vrai malheureusement que la diabolisation du pouvoir semble l’avoir renforcé dans son culot, dans ses excès et sa politique d’occupation médiatique basée sur un discours performatif sans oublier le recours aux boucs émissaires pour mieux cacher une absence de résultats.
Quel chemin parcouru : une carte judiciaire adoptée sans concertation, la négation de la présomption d’innocence pour certains, l’impunité politique pour les autres qu’aucun scandale aussi lourd soit-il ne contraint à la démission. Le dénigrement systématique des juges qu’on laisse apparaître forcément comme laxistes et politiquement engagés, le manichéisme et l’empathie faciles qui entretiennent la confusion entre la responsabilité du criminel et celle du juge, les atteintes aux principes de la légalité des délits et des peines mais aussi, de la non rétroactivité de la loi pénale… la liste semble interminable.
Mais là où la mise en garde procureur Nadal est absolument essentielle et constitue un véritable coup de tonnerre dans notre ciel démocratique, c’est quand il affirme, lui le magistrat posé et raisonnable que l’on ne peut suspecter de rien, que les coups portés à l’institution judiciaire le sont « par ceux qui sont précisément en charge de la faire respecter ». Et de conclure : « A cela, je dis qu’il faut très sérieusement prendre garde.»
On voit bien dès lors, qu’il serait tout aussi inquiétant, que la gauche dans le débat public qui entourera les élections présidentielles de 2012, n’aborde pas ouvertement et comme sujet de premier plan la question des libertés publiques et d’une revitalisation de notre système démocratique.
Outre la remise à plat de l’ensemble de la chaîne judiciaire, de son indépendance aux moyens de son bon fonctionnement comme service public sans oublier la remise à niveau de nos prisons, il conviendra de trouver et peut être de figer dans une nouvelle Constitution, les mécanismes garantissant l’équilibre et l’indépendance des différents pouvoirs. La question de l’évolution du conseil constitutionnel vers une véritable cour constitutionnelle composée de véritables sages et non d’anciens obligés ou d’anciens présidents membres à vie doit à cet égard être, dès à présent, posée.
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