Banksy : artiste ou fumiste ?

Publié le 09 janvier 2011 par Les Lettres Françaises

Banksy : artiste ou fumiste ?

Un Français à moitié débile installé aux Etats-Unis filme compulsivement sa vie et celle des autres. Par hasard, il entre en contact avec la fine fleur du street art (Banksy, Shepard Fairey…). De ses années passées à les suivre dans leurs activités, il est prié de tirer un film. La nullité du résultat révèle le véritable potentiel de l’abruti à Banksy, qui lui ouvre les portes d’une carrière dans le street art. Le Français un peu épais se révèle en entrepreneur doué qui transforme la merde en or, et c’est là la principale qualité requise dans la profession. L’histoire est édifiante, avertit Banksy au moment d’en débuter le récit. Quelle en est la morale ? Banksy ne sait plus trop. En tout cas, on ne l’y reprendra plus à donner innocemment des coups de main à des crétins loufoques.

Banksy regrette dans son film que le Français (Thierry Guetta alias Mr. Brainwash) n’ait pas utilisé ses archives pour retracer l’histoire du street art, qui, selon Banksy, commence avec lui-même… Le street art, avant de porter cette étiquette, était né dans quelques grandes métropoles où des pauvres se servaient des murs de leurs ghettos pour marquer le territoire ou laisser une trace de leur propre existence. Quelques-uns s’aventurèrent dans les recoins de New York, afin de laisser leur signature, quelques heures, dans le repli des façades et les couloirs du métro. Cette poignée de graffiteurs finit par contraindre la New York City Transit Police à créer une unité spéciale, la Vandal Squad, qui consacra plusieurs années d’efforts à leur éradication. Dans cette bataille pour préserver son nom ou simplement pour s’en faire un (just to get a rep), certains tombèrent d’un toit, ou bien sur des rails électrifiés, et on les célébra sur d’autres murs. La tentative semblerait dérisoire au regard des résultats si l’on oubliait de rappeler qu’elle a été conçue et réalisée en fonction des moyens disponibles sur le moment, c’est-à-dire un marqueur et une bombe aérosol. On voit ici sur quels cadavres Banksy et ses pairs se sont élevés.

Attention, me dit-on : Banksy, Fairey, et le Français stupide sont comme larrons en foire. Tout cela n’était qu’une farce destinée à révéler une supercherie bien plus ancienne, la récupération de l’art de rue par les salles de vente. Savoureux retournement. Et quelle modestie de Banksy et ses compères, jetant à terre l’auréole qu’on leur avait décernée. D’ailleurs, la frange la plus avancée de la critique ne  s’est pas laissé abuser. Marc Godin, pour Bakchich : « Plus le film avance, plus on se doute que le film est un canular, un mockumentary, un « docu-menteur » à la Spinal Tap ou Borat. Et Guetta, alias Mr. Brainwash, une création de Banksy lui-même ». Borat et Spinal Tap sont des fictions qui se donnent comme telles, à l’inverse du pauvre canular de Banksy, si c’en est un. Mr. Brainwash expose réellement ses œuvres, et celles de Banksy ont fait les beaux jours de Sotheby’s. Que l’un ait profité de la notoriété ou de la bêtise de l’autre, ou que les deux soient de mèche, ici c’est le spectateur en fin de compte qui paie l’addition. On m’en voudra de chipoter pour si peu, mais c’est bien cela qui est en jeu dans ce film, et dans le monde qu’il peint : la valeur des œuvres, exprimée en dollars. A cet égard, le film de Banksy ne vaut pas le prix de la bobine.

Dada avait proclamé la mort de l’Art, avant que le cadavre ne soit régulièrement déterré et disséqué au fil des époques. En 1961, Piero Manzoni l’a mâchonné, digéré et expulsé, au sens propre, dans de petites boîtes titrées « Merde d’artiste » qui furent vendues au prix de l’or. Dépouiller quelques riches gogos en leur fourguant du caca au cours de l’once, c’est amusant, et c’est de bonne guerre : l’industrie nous fait ça depuis deux siècles. Au moins Manzoni avait-il l’honnêteté de le dire. Créer une industrie et établir un cours de la déjection artistique, c’est une autre affaire,  qui occupe depuis fort longtemps, et à temps plein,  Banksy, ses assistants et ses suiveurs. Le petit bout de charogne qu’ils se repassent de bouche en bouche n’a désormais plus de goût.

Peut-être quelque part redonne-t-on le dernier film d’Orson Welles, F for fake. C’est une histoire de faussaire racontée par un prestidigitateur. Le film de Welles est brillant, non pas seulement parce que Welles l’a réalisé avec quelques bouts de ficelle – il avait précédemment montré comment contourner les obstacles financiers à la production d’une oeuvre d’art et c’est justement là son talent ; c’est que Welles n’oublie pas la différence entre un canular et une escroquerie, et qu’il rend le portefeuille à sa victime, tout à la fin. Banksy le garde bien au chaud dans sa poche. Le partage-t-il avec ses complices ou les a-t-il dépouillés en chemin ? Le problème de la répartition de leur part de marché, dans un marché probablement en récession, ne nous concerne pas.

Sébastien Banse

Faites le mur !, un film de Banksy (Exit through the gift shop). UK, 1h26. Avec Banksy, Rhys Ifans, Space Invader, Shepard Fairey, Thierry Guetta.

N°78 – Janvier 2011