Aux sources de l’individualisme méthodologique
Influencé par Aristote et les Lumières françaises et écossaises, Menger s’est opposé à la fois aux historicistes allemands comme Schmoller, qui considéraient que l’économie pouvait être comprise par l’observation des faits passés, et aux classiques comme Adam Smith, dont la conception de la valeur-travail s’est révélée inadéquate : ce n’est pas le temps accordé à la fabrication d’un bien qui fait sa valeur, mais la subjectivité propre à chaque individu, en fonction de ses besoins. L’économiste a ainsi grandement participé à l’émergence d’une loi générale de l’économie, introduisant les premières bases de l’individualisme méthodologique et proposant une théorie alternative aux deux écoles de pensée jusque là dominantes : c’est “la satisfaction des besoins recherchée au plan individuel qui est la cause du comportement économique de l’homme“. On retrouve ainsi dans ce postulat le paradigme de l’action humaine qui sera développé et élargi quelques décennies plus tard par Ludwig von Mises. Menger a néanmoins refusé l’utilisation systématique (c’est-à-dire allant au delà de l’économie politique) de cet individualisme méthodologique. Mises considèrera pourtant que la pensée mengerienne est praxéologique, notamment celle relative à l’origine de la monnaie.
La monnaie, mesure de valeur ?
Pour Menger, il est nécessaire de comprendre la monnaie dans le cadre de l’évolution des échanges – qui, encore, ont pour origine des besoins individuels à satisfaire. En plusieurs siècles, la sélection d’une marchandise plus pratique que d’autres - car permettant un échange généralisé – s’est opérée : le bétail voire les clous en Ecosse – comme le rappelle Rothbard – puis enfin le métal. La monnaie a donc été choisie - par un ordre naturel ? – parcequ’elle permet d’écouler facilement les marchandises. Menger considèrait encore que le Prince pouvait se porter garant de la monnaie choisie afin de faciliter, par l’uniformité, les échanges. Néanmoins, il y a antériorité : ”ce n’est pas le prince qui créé la monnaie” – comme le pensaient les historicistes – mais le besoin.
Menger va ensuite s’attaquer à une pensée commune aux historicistes et aux classiques: la monnaie serait une valeur d’échange. Il s’agit pour l’économiste autrichien d’une méprise : “on estime que la valeur de l’argent est une grandeur connue, tandis que celle des autres objets d’échange doit être déterminée en la mesurant par la première“. Menger soulève deux erreurs de fonds : 1° La valeur de l’argent ne peut être une grandeur connue puisque la valeur se comprend pas la relation des biens entre eux. Par conséquent, “la valeur d’échange ne saurait d’aucune manière se trouver déterminée dans un bien pris isolément“. 2° Aussi, la seconde erreur consiste à croire que la valeur inhérente à chaque bien individuel trouve sa mesure dans la valeur inhérente à l’unité monétaire. Ainsi, pour Menger, les variations des prix monétaires des biens doivent potentiellement être imputées à la fois à des modifications du prix des biens et de l’étalon monétaire : comme l’envisage Gilles Campagnolo, “la valeur n’est qu’une relation“. Menger en déduit un argumentaire théorique pour la prise en compte du rôle de l’État dans la définition d’une politique monétaire, notamment de stabilisation des prix, en agissant sur la quantité de monnaie introduite sur le marché. Cette position peut naturellement étonner, si l’on tient compte de l’évolution de l’école autrichienne.
Les héritiers de Carl Menger
Menger est sans conteste le fondateur de celle-ci. Ses membres revendiqueront son héritage : Mises contribuera à élargir l’individualisme méthodologique, Hayek réeditera ses ouvrages dans les années 30, Rothbard systématisera la logique misésienne. Bref, Menger est à l’origine d’une véritable école de pensée économique qui passera (non sans difficultés) de la “Mittle Europa au Middle West“, du Privatseminär de Vienne au Mises Institute d’Auburn dans l’Alabama…