Ce fut une véritable galère que j’ai vécue, durant ces derniers mois. En parler n’aurait rien réglé, je n’aurai réussi qu’à déverser en vain ma rage contre une situation dont la maîtrise m’échappait!
J’ai donc préféré me taire, essayer d’arranger le problème que j’affrontais et ne l’évoquer qu’une fois la solution trouvée. Et le dossier a enfin été clos, il y a quelques jours !
De quoi s’agissait-il en fait ?
Au début du mois de septembre dernier, j’ai demandé l’extrait d’acte de naissance d’un de mes rejetons.
J’ai alors découvert, avec l’extrême stupeur que vous pouvez devinez, que sur les registres de l’état civil le prénom du père de mon rejeton n’était pas le mien, mais un autre, avec les mêmes lettres mais avec UN POINT en plus!
Je n’étais donc plus, administrativement parlant, le père de mon enfant ; et cela, à un point près.
Un simple point ! NOKTA ! Ghir wa7d nkita sghiwra !
Un point, conséquence apparemment d’une manipulation maladroite d’un employé municipal qui a dû appuyer trop fort sur son stylo là où il ne fallait pas !
Un point dû peut-être plus trivialement à une chiure de mouche, déposée par le plus grand des hasard par l’insecte volant attiré par le registre resté ouvert par négligence justement à la page qui me concernait !
Bref un point qui n’existait absolument pas quelques années auparavant! En effet, j’avais retiré maintes fois des extraits complets – les fameuses nouskha kalima – sans jamais y relever la moindre erreur.
Mais cette fois-ci, l’erreur était là ! Et les services municipaux refusaient de la reconnaitre et forcément de la corriger !
Personne ne voulait s’impliquer : ni le proposé, ni son chef direct, ni le chef du bureau d’état civil ! Personne !
Le POINT était là et il fallait en tenir compte ! Et pour retrouver mon identité administrative, il était nécessaire de supprimer le maudit point!
Soit !
Alors comment procéder?
Après des allées et venues entre une demi-douzaine de bureaux, dans un arrondissement où deux et parfois trois jours par semaine, on ne trouve pas âme qui vive pour cause de grève, j’ai pu enfin entrevoir la solution.
Les services de l’état civil ont fini par reconnaître l’existence d’« une erreur matérielle » et une attestation, en bonne et due forme, me fut délivrée en ce sens !
Une attestation qui ne valait rien par elle-même sans sa validation par une DECISION DE JUSTICE !
Nos tribunaux auraient-ils réglé tous les problèmes concernant la mise à niveau du secteur de la justice, l’un des plus touché par toutes les tares qui bloquent le développement de notre pays, pour avoir le loisir de s’occuper d’affaires aussi futiles ?
Il ne leur manquait plus que de s’occuper du POINT déposé par erreur sous une lettre de mon prénom, sur un registre tenu manuellement et vieux de plusieurs lustres.
Mais sans cette décision, mon rejeton ne serait plus le mien ! Chose que je ne pouvais bien sûr pas accepter, pas plus que mon rejeton d’ailleurs!
Commença alors un nouveau chemin de la croix : je n’ai jamais passé autant de temps dans des files d’attente, parfois en plein air et sous la pluie, devant des bureaux aussi minables, face à des fonctionnaires aussi revêches, que depuis que j’ai eu à fréquenter le tribunal de première instance.
Et là aussi, il fallait composer avec le temps : ne jamais se présenter les mercredis et jeudis, parce que ces messieurs-dames les fonctionnaires de la justice observent une grève, régulièrement et consciencieusement, les mercredis et les jeudis, ajoutant parfois même les mardis, depuis des mois parait-il, en tout cas depuis l’été !
Il fallait suivre le dossier, bureau après bureau, étage après étage, substitut après juge, de bureau d’ordre en bureau d’enregistrement ! Supporter de longues attentes dans des files interminables et voir certains brûler la politesse à leurs concitoyens, simplement parce qu’ils sont accompagnés d’un planton ou au mieux d’un policier.
Il fallait surtout ne pas perdre la trace du dossier, s’assurer chaque fois que le renseignement recueilli est le bon, que le numéro du bordereau d’envoi est exact, que la date n’est pas erronée, que le nom est transcrit sans faute, que le destinataire est le bon et ensuite qu’il a bien reçu le document, que les dates, tampons et signatures sont apposés.
Ainsi après des semaines d’allers-retours d’un bureau à l’autre, d’un service à l’autre, d’un greffier à un préposé, d’un juge à un substitut du procureur, la justice de mon pays a fini par me reconnaitre le droit de perdre le fameux point posé on ne sait trop comment sous une lettre de mon prénom.
Mais il fallait encore que je récupère la décision de justice auprès d’un service de la Wilaya et je veille à son inscription sur le fameux registre pour faire disparaitre le « point » superfétatoire.
Et, après un voyage aussi courtelinesque et même ubuesque que parfois kafkaïen, le miracle se produisit : une annotation sur la marge du registre fit disparaitre le « point » litigieux !
En perdant ce point, j’ai récupéré mon identité et mon rejeton a récupéré son papa !