En vacances au Canada, je me suis mis à un bon polar. C’est une intrigue digne de Stieg Larsson, qu’on pourrait même appeler «Les hommes qui n’aimaient pas les femmes». Sauf que c’est plus qu’un polar, et les autochtones connaissent déjà l’affaire sous le nom de la «Highway of tears». Et elle se poursuit toujours, la liste des dizaines de jeunes femmes tuées ou disparues ne cessant d’augmenter.
Elle rappelle les couvertures des polars classiques, et court sur plus de 700 kilomètres dans l’Ouest Canadien. La double ligne jaune qui sépare les voies de la Highway 16 est aussi le fil rouge d’une intrigue aussi noire que le macadam.
Une jeune fille qui fait du stop, le pouce levé, sur le bas-côté de la Highway 16. Une voiture ou un camion qui s’approche, s’arrête et la fait monter, sous le ciel chargé de Colombie Britannique. On ne la revoit plus vivante. C’est le scénario de base, qui se répète depuis 1969 avec quelques variantes, toujours sur la même route qui mène de Prince Rupert à Prince George, deux petites villes perdues dans le Canada des grands espaces.
D’après ceux qui l’ont fait, il suffit de conduire sur cette route pour comprendre. C’est calme, et même trop. Il n’y a véritablement personne. Des centaines des kilomètres sans habitation, et quelques rares véhicules croisés en sens inverse. Au milieu de nulle part, sans témoins, l’endroit rêvé pour laisser place aux fantasmes les plus nauséabonds et faire disparaître un corps. Into the wild.
Enfin, disparaître… plus ou moins. Parce qu’au final, on a tout de même retrouvé la majorité des corps le long de cette route, souvent abandonnés dans les fourrés. Toujours, des filles. Souvent, des «natives», des communautés indiennes environnantes. Et toujours «jeunes», soit de 15 à 25 ans.
Aussi loin que l’on puisse remonter dans les archives, c’est 1969 que l’on retient pour le premier meurtre. Mais ce n’est pas avant la fin des années 1980 que l’on flaire la tendance, alors que le nombre de meurtres et de disparitions s’emballe. Et il faut attendre 2005 pour que la Police Canadienne mette en place une unité spécialement dédiée à cette affaire.
A l’origine, l’équipe se penche sur neuf cas. Mais en consultant les dossiers, elle établit avec assurance que sur une trentaine d’homicides et disparitions, 18 seraient liés. Aujourd’hui, 70 agents travaillent au sein du projet E-Pana (d’un mot Inuit qui désigne une entité prenant soin des âmes avant leur réincarnation), à la recherche d’un, deux, voire trois tueurs en série.
Alors au pays des «profilers», on croise les fichiers de police pour obtenir une liste de suspects. Il y a tout juste un an, un des officiers en charge de l’affaire était interviewé par le Vancouver Sun :
«We have a list right now of about 2,000 that we’ve done profiles on. We’re now moving to a secondary list that has close to 5,000 names on it.»
La «route des larmes» risque donc de rester trempée encore longtemps. Chaque année, le National Aboriginal Day se transforme en journée de commémoration des victimes à Prince George, comme le montre ce reportage de CBC en 2006. Et en attendant que cette histoire vieille de plus de quarante ans trouve enfin un dénouement, les autorités locales plaident pour l’installation d’un système de navettes. Avec dans l’idée de faire disparaître les auto-stoppeuses… mais d’une autre façon.
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Crédits photos : Highway 16, CanadaGood/Flickr, juin 2007 ; Carte de la Highway 16 en Colombie-Britannique, Wikipédia.