J’ai souvenir d’avoir eu huit ou neuf ans, dans ce couloir tout de pastel peinturé, sillonné par cette bande de tapisserie rose avec des tits spots gris. J’étais chez ma tante imbibée d’échantillons de parfum, celle tout en toupet crêpé et en bijoux scintillants, et j’observais, médusé, sa collection de pensées à la con. Le mur bourgeonnait comme une peau d’ado de ces petites cartes détachables tirées du 7 jours ou du lundi, variable selon les potins ou révélations chocs du temps de chambre en ville, où Garden Party était synonyme de bon goût. Ces pensées semblaient toutes révéler, sur fond de nuages ou de chatons dans un panier de fruit, une vérité indispensable, essentielle; elles portaient la sagesse vitale du monde. Le mur de ma tante était à l’avant-garde, un précurseur des belles émotions, et ébauchait un chemin pour les chaînes de PowerPoint qui transpirent la gentillesse trisomique et la naïveté irréaliste des calinours. À coter de ces cartes, le petit écho de la forêt, il pouvait aller se cacher la gueule avec ses légendes de merde. J’ai souvenir d’avoir eu huit ou neuf ans, debout devant un bout de carton révélant la recette du bonheur, et de ne pas trop comprendre d’où me venait ce malaise.
La recette du BONHEUR
Provenance:
Votre coeur
Commentaires:
A servir tous les jours
Portions:
Illimitée
Ingrédients
- 4 tasses d'amour
- 2 tasses de fidélité
- 3 tasses de douceur
- 1 tasse d'amitié
- 2 brins d'espoir
- 2 feuilles de tendresse
- 4 doigts de confiance
- 1 bonne dose de compréhension
- Bien mêler l'amour et la fidélité à la confiance.
- Y mélanger la tendresse, la douceur et la compréhension.
- Ajouter l'amitié et l'espoir.
- Saupoudrer abondamment de gaieté.
- Réchauffer de soleil.
- Servir généreusement tous les jours.
Maintenant que j’ai 28 ou 29 ans, j’ai compris que cette recette était comme celles de l’Épinard parlant : on la ratait toujours une fois à la cuisine, qu’on ait sous la main les bons ingrédients ou pas. J’ai compris que l’amour, l’amitié et l’espoir ne sont pas choses quantifiables. Je me suis fait une idée assez précise et j’espère ne pas froisser les croyances de personne en vous informant que des feuilles de tendresse pis des doigts de confiance, calvaire, ça existe juste pas. C’est pas la recette qui compte, c’est le sourire qu’on a lorsqu'on est devant la cuisinière. La recette du bonheur laisse supposer que c’est facile, qu’il n’est question que de volonté et de dextérité. Une recette sans spontanéité.
Alors bon, parce que je manque d’énergie depuis quelque temps et question de muer vers une attitude davantage lumineuse, je me suis concocté pour le week-end un plan infaillible, maintes fois testé par le passé, une recette du bonheur home made et personnalisée: n'avoir rien à faire et avoir toute la journée pour le faire.
La recette du BONHEUR
de Monsieur l'adulte
Provenance:
La nécessité d’être vedge
Commentaires:
À servir toute la fin de semaine durant
Portions:
Ne pas abuser par peur de devenir un
type louche au yeux des autres
Ingrédients
- 6 films habilement sélectionnés en sous-catégorie
- 2 à fort potentiel de nudité
- 1 dessin animé Japonais avec des sabres et du futur.
- 1 film d’horreur d’époque
- 2 intelligents mais pas trop compliqués, qui font du bien à l’âme comme des petits bonbons.
- Une caisse d’Alexander keith rousses
- 1 poutine
- 1 sac de biscuits chinois
- Le numéro de téléphone d’un Resto suchies qui livre.
- Du lait au chocolat
- Rester en pyjama et/ou en boxer et/ou en jeans trouées toute la journée, même si une sortie à l'exétieur s'impose pour louer les films.
- S’assurer seulement d’un minimum d’hygiène corporelle, mettre une tuque au besoin pour cacher la capillarité non entretenue
- Oublier volontairement la balayeuse, la vaisselle qui pue sur le comptoir et le lavage qui tente de nous rappeller que bientot nous n'aurons plus de chaussette propres.
- Ne pas répondre au téléphone, le répondeur s’en charge très bien tout seul.
- Lorsque, de temps en temps, vous ressentez le besoin de vous reposer de ne rien faire, prenez un bain.
- Saupoudrer abondamment d’impertinence.