Réalités et préjugés envers un prisonnier
Commandant Piché: Entre ciel et terre
Le commandant Piché n’a pas besoin de présentation. Depuis qu’il a fait planer un Airbus d’Air Transat, le 24 août 2001, le Commandant Robert Piché est devenu un héros. Si son exploit a fait le tour du monde, son implication auprès des prisonniers québécois est méconnue. Le commandant Piché a accepté de s’entretenir avec Reflet de Société sur la difficile réadaptation d’un détenu à sa sortie de prison.
Dominic Desmarais Dossier Chronique du prisonnier
Robert Piché ne s’en cache pas. Apprivoiser sa liberté après 18 mois d’incarcération aux États-Unis a été long et pénible. C’est cette réalité qu’il veut communiquer lorsqu’il fait la tournée des prisons de la province.
«Ce n’est pas rose, ce que je leur dit, en prison. La réalité, c’est que ce n’est pas facile. C’est décourageant.» Sa voix évoque une souffrance, comme s’il revivait le passé. «Ta sortie de prison, c’est censé être le plus beau moment de ta vie. Tu attends tellement ça. Et tu t’aperçois que c’était plus facile en dedans. La société et les gens ne veulent pas que tu te réintègres. Cette histoire, que tu as payé ta dette à la société, c’est de la foutaise. Il y a tellement de préjugés. Pas juste envers le crime que tu as commis, mais surtout parce que tu as fait de la prison.» Visiblement, cet homme, admiré par tous pour sa bravoure, a vécu des moments difficiles.
«Tu as de belles attentes, de belles intentions. Mais tu traînes toujours un boulet au pied. Que tu le veuilles ou non, tu as été institutionnalisé et, du jour au lendemain, il faut que tu trouves le moyen de payer ta pinte de lait, ton transport, ton toit. Et le monde ne veut pas te donner ta chance. Tu es obligé de mentir. Tu prends la chance que ton employeur ne sache pas que tu as fait de la prison. Alors tu es toujours sur le qui-vive.»
Pour l’avoir vécu, Robert Piché sait quel tiraillement habite le détenu qui se cherche un emploi, une fois libre. Mentir ou pas? C’est pourquoi il appuie le manifeste du Comité aviseur des personnes judiciarisées qui demande de retirer des critères d’embauche la question sur le passé carcéral.
Libre comme l’air
Robert Piché sort de prison en 1985. Tout en s’adaptant à sa liberté retrouvée, il gagne sa vie grâce à de petits boulots. En parallèle, il s’assure de garder son permis de piloter. «Faut être capable de louer un avion, payer la licence, l’inspecteur qui t’évalue. Sans savoir si tu vas obtenir ta licence et si les gens vont te donner un emploi.» Ses anciens employeurs, à Air Transat, ne veulent pas de lui et de son passé. Il doit s’exiler en France pendant 6 ans pour vivre de sa passion. «Pendant 5 ans, quand j’étais en France, je venais voir chez Air Transat pour y travailler. On m’a clairement dit que je n’y entrerais jamais. J’ai pas lâché pareil. J’ai fait ma chance.» En 1996, le commandant Piché retrouve sa place. Un détour de 11 ans.
«J’ai travaillé tellement fort pour retrouver ma vie. Mais ça te revient toujours à l’esprit. Tu es toujours sur le qui-vive. Tu ne peux pas être normal, tu as fait de la prison. Le privilège que j’ai, c’est que maintenant, tout le monde s’en fout que j’ai fait de la prison. Mais les autres, ils n’ont pas eu leur vol 236. Ils vont devoir fermer leur gueule, qu’ils ne disent pas qu’ils ont fait de la prison. Ils vont manger leurs émotions. Tomber dans la boisson, la drogue. Tu y es toujours confronté. La prison, c’est comme l’alcoolisme. Moi, j’ai arrêté de boire il y a 8 ans. Mais la boisson est tellement présente dans les rapports humains, la publicité. Tu l’as toujours à l’esprit.»
La rançon de la gloire
Sur le qui-vive. Ces mots, qui reviennent souvent dans la bouche du pilote, prennent tout leur sens lors du fameux vol 236. Deux minutes après l’atterrissage, le Commandant Piché ne savoure toujours pas son exploit. Il pense perdre son emploi car son passé va refaire surface. «Quand c’est sorti dans les médias, il y a eu une vague de sympathie envers moi. Les Québécois ont eu l’occasion de dire aux journalistes ce qu’ils pensaient d’eux. Ils se sont désabonnés de La Presse, du Journal de Montréal. Ça m’a aidé à passer au travers. Ça m’a protégé.»
Le fameux vol 236 a donné de la crédibilité au pilote. «Mais avant ce vol, si les gens avaient su que j’avais fait de la prison, m’auraient-ils voulu comme pilote? Aujourd’hui, ils sont tous contents de savoir que le Commandant Piché est à bord!» Faudra-t-il que les détenus réalisent de tels exploits pour que soit reconnue leur bravoure à prendre leur place en société?
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