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Valls, les primaires et le parti

Publié le 07 janvier 2011 par Variae

Manuel Valls est-il un traitre, un incurable égo-centré, un imbécile, ou toute combinaison de ces qualificatifs ? C'est la question qui a été abondamment posée durant cette semaine de rentrée, ouverte par la sortie du député-maire d'Evry sur le " déverrouillage " des 35H. La polémique, violente, s'est faite à sens unique contre ce dernier, la gauche le conspuant, une partie de la droite félicitant ironiquement ce " socialiste moderne " contrastant avec son parti " archaïque ". Ces échanges auront au moins eu le mérite d'amorcer le débat sur le temps de travail, et d'occasionner des sondages clarifiant l'attachement des Français aux 35H. Mais ils ont occulté une question essentielle : les primaires, et tout ce qu'elles impliquent, sont-elles solubles dans le fonctionnement régulier du parti socialiste ?

Valls, les primaires et le parti

La plupart des réactions à la sortie de l'élu essonnien, et notamment celles des autres responsables socialistes, l'ont interprétée comme une simple tentative de faire un coup médiatique, un . Même si l'on souscrit à cette lecture, on ne peut ignorer le paradoxe que recouvre cette condamnation. Les primaires ont été validées et défendues au sein du PS au nom des avantages qu'elles sont censées présenter : permettre l'émergence de nouvelles candidatures (Arnaud Montebourg convoque régulièrement l'exemple, en partie fantasmé, de Barack Obama), permettre le débat, associer un grand nombre de citoyens. Si on met de côté un instant la dimension éminemment provocatrice des propos de Manuel Valls - provocateurs car s'en prenant à une des réalisations les plus emblématiques, mais aussi les plus discutées, du PS - on peut aussi voir sa rentrée médiatique comme une mise en œuvre très appliquée de ce " cahier des charges " des primaires. Associer un grand nombre de citoyens ? Même si les Français hostiles aux 35H sont minoritaires dans le pays (et particulièrement à gauche), on peut toujours penser qu'une candidature Valls peut permettre de les capter, puis de les amener progressivement à soutenir le ou la candidat(e) socialiste qui sortira vainqueur des primaires. Permettre le débat ? Même si cela s'est fait dans des conditions que l'on aurait souhaitées plus cordiales et plus favorables, force est de constater que cela faisait longtemps que l'on n'avait pas autant parlé de temps de travail, de compétitivité et de politique salariale - et que cela change des considérations récurrentes, notamment dans la presse, sur les grandes manoeuvres stratégiques entre candidats socialistes, et sur le retour de DSK. Permettre à de nouveaux candidats d'émerger ? Manuel Valls peut être compté au nombre de ceux que l'on a coutume d'appeler les " petits candidats " ; partant de loin, dans les sondages comme dans le parti, il ne peut exister ou advenir qu'en commençant sa campagne très tôt et en se démarquant des candidatures, petites et grosses, existantes ou supposées. C'est donc la mécanique même de ces primaires qui pousse à des opérations comme ses déclarations aux micros d'Europe 1 puis de RTL ; ce qui n'est pas forcément négatif en soi, puisque sans cela la désignation du candidat socialiste se réduirait en fait à un choix à la " tête du client ". Il est d'ailleurs permis de penser que si les mots de Valls avaient été présentés de cette façon, notamment par Benoit Hamon, et non pas dramatisés, la polémique aurait fait pschitt, ou aurait donné lieu à des échanges plus sereins. Mais assume-t-on vraiment les primaires et ce qu'elles impliquent ?

La question de la discipline de parti, de la " ligne " ou du " droit chemin ", pour reprendre les mots du porte-parole du PS, est évidemment posée. On peut considérer que les textes des quatre conventions de 2010 font office de référence programmatique pour le PS ; celui sur le nouveau modèle de développement défend bien les 35H, quoique que non sans ambigüités ( La gauche de gouvernement a apporté des avancées économiques, sociales ou sociétales majeures - par exemple, entre 1997 et 2002, les créations d'emplois, les 35 heures, la CMU, la parité et le PACS [...] Nous reviendrons sur les dispositifs ayant dégradé les 35 heures et sur la remise en cause du repos dominical). Mais quel est, au juste, le statut de ces textes ? D'abord présentés comme le projet en bonne et due forme du PS, ils ont ensuite été requalifiés, au moment de la controversée convention sur l'égalité réelle, en " boite à idées " dans laquelle une ultime convention - au printemps prochain - viendrait remettre de l'ordre et des priorités. Les primaires ayant lieu après ce travail de réflexion, quelles marges personnelles restera-t-il aux candidats pour avancer leurs propres idées ? S'il ne s'agit que d'une boite à outils tant que la convention terminale n'a pas eu lieu, on ne peut reprocher à Manuel Valls de défendre des idées hétérodoxes, fussent-elles marginales et erronées. Dans le cas contraire, on se demande bien comment les candidats vont pouvoir se différencier entre eux, si ce n'est sur des éléments superficiels et, en dernier recours, sur leur personnalité. Etait-ce vraiment ce que l'on avait en tête avec ces primaires ? Et n'aurait-il pas été plus logique, finalement, de laisser le soin de trancher et de hiérarchiser le résultat des conventions thématiques à chaque candidat ?

Le calendrier interne de la désignation du candidat socialiste est également en cause. Le choix a été fait d'un calendrier tardif, débutant à l'été prochain, pour permettre un éventuel retour de DSK. C'est une décision compréhensible tant il serait absurde, pour le PS et pour la gauche, d'éliminer sur tapis vert un des candidats semblant actuellement les plus à même de battre Nicolas Sarkozy. Mais elle crée de facto une sorte d'insécurité juridique sur toute la période séparant les prémisses de la primaire du début officiel de celle-ci. Plusieurs déclarations de candidature " sauvages " ont déjà eu lieu, à commencer par celle, particulièrement significative, de Ségolène Royal. Que se passe-t-il entre ce coup d'envoi officieux et juin prochain ? Peut-on empêcher les candidats déclarés, et les moins bien placés d'entre eux, de faire campagne ? Ou alors de faire certains actes de campagne ? Il aurait fallu mettre en place une charte éthique sans attendre le coup d'envoi officiel de la désignation ; faute de cela, les actions de " piraterie " ne peuvent que se multiplier, et on ne voit pas très bien sur quelle base, autre que l'indignation générale, les condamner. Et qu'aurait-on dit, ou que dira-t-on, si Valls ou un(e) autre (avait) fait une déclaration également contraire aux textes votés, mais moins polémique ?

On pourrait encore souligner d'autres questions ouvertes, comme celle sur les limites (au sens frontières idéologiques) de la gauche et du PS. Suffit-il de ne pas souscrire à un seul marqueur socialiste - en l'occurrence les 35H - pour mériter l'exclusion du parti, comme certains l'ont demandé à l'encontre de Manuel Valls ? Au juste, quelles sont les idées permises, et les idées interdites, dans le cadre du débat sur le projet présidentiel et les primaires ? Y a-t-il des mesures intrinsèquement de droite ou de gauche, ou est-ce leur insertion dans un programme d'ensemble qui les détermine ?

Plus généralement, on a le sentiment d'une tension non résolue entre deux logiques, celle du parti fort et structurant, fondé sur un programme défendu par son premier secrétaire (qui en devient alors le candidat naturel), et celle du parti moins contraignant et plus ouvert, regroupant des tendances et des contradictions qui ne se résolvent vraiment qu'au moment du choix du candidat pour l'élection présidentielle. Faute de choisir clairement entre les deux modèles, ou de construire un compromis réfléchi entre les deux, les sorties de route comme celle de cette semaine risquent de se répéter et de tracer un chemin bien chaotique jusqu'à l'automne prochain.

Romain Pigenel


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