Le Web vernaculaire d'Olia Lialina, c'est old Fashion et tellement actuel en même temps! C'est presqu'un manifeste, comme tout ce que cette artiste fait. Si vous n'avez jamais lu la série de textes engagés de l'artiste de net.art et designer russe Olia Lialina portant sur le Web vernaculaire et que vous vous intéressez le moindrement à l'histoire ou à l'esthétique du net d'hier à aujourd'hui : go!
Dans Vernacular Web (1) : The Indigenous and The Barabarians (2006), l'auteur décrit, classifie et collectionne les éléments les plus importants du Web des années '90, avant la venue en masse du point com. En passant par les animated Gifs, les fonds de page Web étoilés et les fichiers sonores MIDI, l'artiste écrit avec passion le fond de sa pensée sur la beauté de ce qu'elle appelle depuis longtemps "le web vernaculaire". On pourrait la contredire sur plusieurs points, ça va de soi, mais l'expérience de lecture en vaut la peine : les pages Web du texte sont designées en fonction de ce qui y est écrit. L'artiste est bien connue pour ses oeuvres créées avec une esthétique des années '90 à laquelle elle ne démord pas. Pour une historienne qui s'intéresse à la cyberculture, ça facilite la tâche. L'histoire du Net lui tient à coeur!
C'est d'un Web amateur dont elle parle, un Web qui fait aujourd'hui l'objet de moqueries par les utilisateurs du Web 2.0, mais bien plus encore par les designers soi-disant "spécialisés" (c'est bien relatif, puisque ceux-ci s'intéressent rarement à l'histoire du design du Net, en quoi sont-ils spécialisés au juste?).
"The amateur web didn't die and it has not disappeared but it is hidden. Search engine rating mechanisms rank the old amateur pages so low they're almost invisible and institutions don't collect or promote them with the same passion as they pursue net art or web design."
Le Web vernaculaire est caché, mais il survit. Non seulement les œuvres de Lialina sont conçues dans cette esthétique, mais par ses écrits, elle crée des collections, en ravive la richesse et en montre la beauté.
Ce Web amateur, si l'on regarde le travail des net.artistes des années '90, n'est tout simplement pas distinguable du net.art qui en faisait un mode de vie. Tel que le dit l'artiste, les vieux styles refont toutefois surface, reviennent à la mode, mais de manière superficielle et non accompagnés de leur idéologie d'origine. Perso, pour la création de mes projets en ligne (genre celui-là), j'utilise les gifs animés, le vieux html et je vais sur les sites de partage de codes : un aspect important du Web vernaculaire selon l'artiste. Je le fais pour une simple raison : je suis une amateure. Autrement, j'utilise tout bonnement les plateformes du Web 2.0 avec lesquelles, je l'avoue, j'ai un peu moins de plaisir - malgré que la menace de me faire dire que mes sites sont "laids" ou "dépassés" est moins présente, puisque je n'en suis pas l'instigatrice ;)
Le Web 2.0 (Facebook, blog, Second Life, Myspace etc. à l'infini et la fameuse révolution du DIY) a engendré un autre type d'amateurs, selon l'artiste, qu'il ne faut pas confondre avec ceux du Web vernaculaire. Il les transforme en utilisateurs et non en créateurs, les premiers n'étant pas menaçants pour les "professionnels" du Web, mais bien au contraire, profitables. On les maintient dans leur posture d'utilisateurs amateurs qui s'amusent sans comprendre comment les dispositifs utilisés fonctionnent. Ceci est discuté dans le Vernacular Web 2 (2007) qui, selon l'auteure, aurait aussi pu porter le titre de "Homesick". Encore une fois, l'artiste emprunte l'esthétique de ce dont elle parle, dans ce cas-ci, le "glitter" et le "plastic", pour parler du Web 2.0. Elle montre bien combien certaines plateformes formatées, telles celles de Myspace et LiveJournal "copient" le style amateur du Web vernaculaire, alors que l'idéologie n'y est pas nécessairement. Les pages professionnelles, quant à elles, imitent d'autres formes médiatiques :
The main difference is that professional pages mimic the look of other media, and amateur ones are tied to HTML-based aesthetics, which is based on modular approach.
Mais d'où vient le Web vernaculaire? Qu'y avait-il avant? Dans Vernacular Web 3 : Prof.Doctor.Style, paru en 2010, l'artiste nous fait découvrir un univers plutôt inusité, celui du Net avant même le Web vernaculaire. Celui pour lequel triomphait le style Prof.Doctor. Les pages Prof.Dr, des pages personnelles créées par des gens détenant des doctorats, racontent l'histoire du Web, selon Lialina. Qui l'aurait cru? Ce sont des pages très simples, modulaires, où un professeur y met sa photo et son descriptif ainsi que des liens surlignés en bleu. Selon l'artiste, ces pages, encore présentes sur le Web, sont à la fois actuelles et intemporelles en ce que nous pouvons les ouvrir avec n'importe quel navigateur.
Prof. Dr. pages have their distinct appearance: primitive and all the same. And that makes them historically significant.
Ces pages sont primitives parce que chaque utilisateur du Web à l'époque produisait du contenu. Elles sont "toutes pareilles", parce que, ironiquement, ces pages ont l'air d'être générées automatiquement alors qu'elles demeurent, à l'heure actuelle, parmi les seules pages qui sont encore générées entièrement par un être humain.
À travers ces pages fascinantes par leur platitude extrême (je ne sais comment le dire autrement), Lialina montre la douce progression des pages de "docteurs", avec l'intégration de gifs animés et autres engins propres au vernaculaire théorisé par Lialina.
La proposition de Lialina est comme le cri du coeur d'une militante passionnée par son ou plutôt ses métiers : enseignante, designer, net.artiste, commissaire...etc, mais surtout par un Web éclectique, rhyzomique et amateurs au sens "vernaculaire" du terme. Ses textes tranchés, donc aisément critiquables, sont surtout remplis d'humour et de spontanéité, des caractéristiques importantes du Web vernaculaire!