Commencer par la passion ? D'abord, on l'a dit, elle n'est pas spécifique et relève plutôt en général des disciplines artistiques, au-delà du minimum de créativité requis de chacun dans l'exercice de ses fonctions. Elle peut aussi se révéler dangereuse quand, au beau milieu d'une crise, il faut faire preuve de sang-froid (1). Elle peut encore poser un problème de crédibilité dans une culture managériale qui, à quelques exceptions notables près, ne pose pas l'enthousiasme en première de ses vertus. Elle peut enfin apparaître en décalage avec des transformations économiques qui ont conduit nombre de salariés à découpler passion et métier, engagement et vie professionnelle.
A bien y regarder pourtant, difficile de bien faire son métier à un niveau individuel sans s'y engager un peu, et cet engagement fait même souvent la différence entre exécutants et contributeurs (2). Sur un plan plus systémique, il est aussi frappant de voir comment des organisations réputées rationnelles fonctionnent parfois sur un mode extrêmement passionnel, en particulier lorsque des éléments de nature identitaire ou politique sont en cause.
En réalité, l'intérêt et, comme on le dirait d'une oeuvre musicale, le grand thème de la passion en tant qu'elle cherche à la fois à comprendre, à convaincre et à résoudre, c'est la synthèse. Soit l'art de dégager à partir de points de vue, d'expériences et de savoirs distincts, une vision juste et percutante. Autrement dit, de rassembler ce qui est épars et parfois antagonique en une construction à la fois cohérente (elle tient la route), partageable (elle englobe les différences) et dynamique (elle met en tension vers un objectif).
C'est, au-delà des plaisanteries scolaires habituelles, l'utilité profonde de la culture générale. Cette discipline ne relève en effet pas plus du concours de beauté universitaire que de l'art de briller dans les cocktails. Elle recouvre, bien davantage que la juxtaposition des savoirs, un mode de raisonnement, une gymnastique intellectuelle cherchant à mettre en relation des informations et des connaissances de façon créative et dynamique, dans laquelle le savoir se met au service de la compréhension et de la transformation du réel.
Ainsi donc, le sujet fondamental d'une passion se donnant à partager comme vision de l'entreprise et de ses parties prenantes, c'est la dynamique. C'est d'ailleurs le principal point faible, à mon sens, de la définition que donne Antoine Spire du métier de dircom comme "organisation de la convergence des signes" parce qu'il lui manque précisément la mise en mouvement de l'ensemble, sinon même l'énergie d'une transformation. La cohérence sans la dynamique, c'est un véhicule techniquement en règle, mais qui ne dépasse pas la troisième en régime de croisière.
Bref, si la passion est le moteur individuel, c'est le projet qui en est la mécanique ou plutôt la gymnastique collective, tant s'il existe sur le sujet des méthodologies éprouvées, il n'est guère en revanche de recettes générales. Si l'on veut susciter un minimum d'adhésion là-dessus au sein d'une organisation, il faut donc faire du sur-mesure, faute de quoi on ne recueillera au mieux qu'un assentiment poli, au pire une volée de bois vert. En quoi la passion est aussi affaire d'invention.
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(1) Tout en se montrant capable de comprendre les logiques passionnelles très forte souvent à l'oeuvre derrière les crises. La passion est en réalité ici davantage un manière de comprendre qu'une façon d'agir.
(2) Souvent, pas toujours : il existe aussi des excès de motivation qui posent d'autres problèmes, de nature plus psychologique (des gens qui n'arrivent jamais à décrocher par exemple et qui vivent à l'excès l'entreprise comme leur cause) et qui, en tout cas, ne font pas nécessairement rimer engagement et efficacité. Ces comportements relèvent parfois de logiques d'identification et font apparaître, en creux, une vie déséquilibrée. Ils peuvent aussi ne relever que d'une posture cherchant à s'approprier des comportements perçus comme valorisés par l'entreprise.