Poezibao publie ici une belle étude de Michel Dugué traversant toute l’œuvre de Jean-Paul Hameury.
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Ultérieurement Poezibao donnera quelques textes de Jean-Paul Hameury dans le cadre de l’anthologie permanente ainsi que la notice bio-bibliographie de l’écrivain
Jean Paul Hameury
1933 – 2009
Il se tint à l’écart, en marge de tous les engouements et des modes du jour. Il se consacra prioritairement à la parole poétique. Ce mot « parole » revient souvent sous sa plume. Non comme signe d’une inspiration venue d’on ne sait où mais d’une nécessité intérieure : unique embrayeur possible à l’écriture du poème lequel se doit d’atteindre cette « Réalité (qui) n’est pas autre chose que le réel regardé autrement » (Fragments : recueil d’aphorismes, Atelier La Feugraie, 1994).
Aucun artifice, aucun calcul ne le détourneront de cette voie. « Qui pré-voit ne saurait voir » lit-on dans ce même recueil. Aussi se défait-il de toute poésie « pré-pensée », agencée en vue de la production d’effets se superposant, sinon se substituant aux conditions de notre séjour au monde. Le poème est, pour lui, expérience de ce séjour. Il en traverse les épreuves et les réussites. Les unes et les autres étant, par ailleurs, étroitement mêlées, « Autant de lumière dans les ténèbres que de ténèbres dans la lumière, écrit-il dans Fragments. Son lyrisme grave, retenue participe à la fois de la création et du travail, du « moment Mozart » et du « moment Salieri » : pour reprendre la distinction de Mandelstam qu’Hameury aimait citer.
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Être en chemin, se mettre en chemin mais vers quoi ? Pas de réponse à ce stade plutôt une rencontre. Risquons le mot obscur : titre de la première section de Cette autre rive, Ipomée, 1978, repris chez Folle Avoine en 1988. Cela est peu d’autant que nous ne savons rien de ce chemin guère plus localisable que visible.
« Puis l’obscur annexa
tout domaine.
Nous ne sûmes jamais quels chemins
nous avaient jetés là,
face aux parois sans prises
de la nuit. »
Voici que le chemin s’apparente à un passage à l’aplomb duquel se tiennent « les veilleurs ». Ceux qui bornent le temps devenu un lieu au-delà duquel nul, semble-t-il, ne peut aller. Chacun néanmoins peut s’en approcher. Pour ce faire il lui faudra ignorer « la main parente », « la lampe limpide qu’offrent / les sœurs aimantes ». L’obscur se décline, peut-être, ainsi. Là il nous « faut avancer seul dans / l’ailleurs sans chroniques ». Pas de bavardages, aucune emphase ! Même s’il nous arrive de rêver à « quelque terrasse sereine / où l’on aurait droit de bâtir /une maison privilégiée », il convient de se garder des illusions.
« Mais le chemin toujours
ramène aux horizons premiers,
et les enfants, seuls,
croient voir briller, (…)
les soleils d’autres Thulés. »
Lorsque nous croyons toucher la rive, « elle nous est ravie ». Si nous pouvons en un éclair saisir les choses du réel, nous ne pouvons les retenir. Elles nous échappent. Nous n’avons d’autre choix que d’avancer toujours « tout entiers livrés à la vindicte de l’éclair ».
« Passages » : titre de la seconde section, nous indique « ce à quoi nous aspirons » mais c’est aussitôt pour affirmer qu’il s’agit d’un indicible. Et le poète martèle sa revendication : il « doit cependant être dit ». Il ajoute « il faut bâtir. / Or nous n’avons que sables, / mais c’est de sable / qu’il faut bâtir ! ». Peut-être est-ce la condition pour que ces maigres chantiers se parent de « l’humaine douceur / qui leur manquait ».
Aucune demeure n’est possible. Il faut en convenir et ne pas se détourner de l’effroi et du cri. Consentir à « ce souci », c’est aller plus loin, laisser derrière soi tout héritage et parler « plus grand ».
Hameury est un homme de « tangence », un homme de « gués », termes que nous retrouvons dans la dernière section : « L’autre rive ». Quelle est-elle ? Une sorte d’offrande, nous dit-il, un don qui nous est fait mais qui continûment se dérobe. Mais pas avant que sous la lumière d’un instant, guère plus, les choses familières « une main/le regard d’un chien/ la feuille humide d’un tremble » nous apparaissent comme « gorgées d’offrandes, déchirent / l’obscur soudainement ».
L’autre rive n’est pas un arrière-monde, elle est de notre monde. On y éprouve la vie périssable, la fêlure qui nous constitue. Et le reconnaître, c’est acquiescer à cela qui se dérobe, saluer ce chant et « la ténébre qui le boit. ». Condition pour s’illimiter c’est-à-dire devenir, nous dit le poète, l’espace même où résonne le chant de l’oiseau et finalement s’y fondre.
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S’il s’est approché au travers du poème d’une ligne de fuite mais qui néanmoins ne cesse de balayer l’ici-bas et qui lui est consubstantielle, Hameury dans Brûlant Seul , La Dogana, 1982, est directement confronté à l’agonie du père. S’en suit alors une longue méditation à deux voix. Celle de celui qui veille, interroge, et celle du déjà mort. L’une fragile, tremblante en caractères droits, l’autre en italiques empreinte d’une assurance que seule l’évidence peut conférer.
« Là-bas
arraché au cercle du temps
un mort
un mort quelconque
–tant d’autres aujourd’hui
ont fini par lui ressembler. »
Un dialogue s’installe tandis que le passé revient. « j’ai vu l’arrosoir (…) / les outils rangés (…) Toutes ces choses dont tu t’entourais. » Et la réponse ne tarde pas « –herse de paille contre les feux / de l’obscur et du temps ! ». Ainsi se construit le livre poème après poème. Les mots du poète rêvent d’accompagner celui qui s’en va « parmi les ombres lointaines ». N’est-ce pas encore une illusion ? On peut le supposer à la lecture des vers suivants : « Voudrais-tu que ces mots te permettent / d’entrer sans trembler / dans la forêt obscure / (…) Ils ne seront jamais / (…) que pierres jetées / dans une eau absente. ». Les souvenirs continuent d’affluer y compris ceux teintés d’une tendre récrimination « Une main manquait / qui m’eût conduit (…) face à l’ouvert / où les oiseaux ne cessent de passer. ». Oui ! mais c’est que l’un et l’autre ne savaient « rien de vrai » et tous deux ont toujours « visage d’absence ». Le vrai n’est rien d’autre que d’acquiescer au déliement. Et c’est le mort qui le proclame « Mais tant que vous n’aurez dit oui / au déliement, il vous faudra vous retourner / longtemps dans le souci ».
Nous ne sommes pas si éloignés de Cette Autre Rive. Les thèmes se font échos. Il faut savoir penser le rien, s’alléger de nos illusions, accompagner l’autre vers la frontière, s’accompagner soi-même, s’oublier sur « le chemin / du plus rien. / Une fois pour toutes ce chemin. » Et ainsi se dépouiller « de toute crainte / et de tout désir » que ce corps, nous dit encore le mort, « soit maintenant tout entier / roseau pour le chant ». Hameury formule ici la condition de possibilité de son poème. Elle était déjà sans conteste présente dans le recueil précédent.
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Le chemin du fleuve, Folle Avoine, 1985, s’ouvre sur la chambre vide, titre de la première section, celle de l’enfance à partir de laquelle va s’écouler le temps mais le poète nous prévient « Le chemin n’est pas si long / qui conduit à la lisière où veillent / – étoiles des enfers – / immortelles et narcisses. ».
Aussi cette chambre est-elle déjà marquée par l’absence. Quelqu’un, on ne saura qui – la mère, le père – s’en allait laissant l’enfant à une « absence sans mesure ». Lui qui aurait tant voulu entendre murmurer son nom est habité par la vision d’un départ. Il regarde désormais « les ciels les grèves / où nul pas ne reste » et se demande si un jour lui seront donnés « feu et place » ainsi qu’une main secourable.
Plus tard se forgera le sentiment de l’exil, titre de la seconde partie. Le voici de nouveau à la lisière « Ils étaient là les exclus ». Il accompagne, lui l’étranger, quelqu’un, on ne sait qui – ce ne peut être le père de Brûlant seul car l’exilée qui désigne ce quelqu’un est au féminin. Et plus loin, il est question d’une chaise d’enfant, elle glisse sur le fleuve, suit sa pente sans se retourner et scelle la séparation.
La troisième partie, « Nos voix », martèle cette évidence « Nous ne sommes venus /que pour dire cela: /nous allons partir. ». Le chemin est bien court qui nous conduit inexorablement « dans la danse éperdue des atomes ». Le poète se convainc dans « l’herbe haute », quatrième partie, que « La poussière sur les visages (…) / On ne saurait l’ôter. ». Ici encore nulle illusion. Nous n’avons d’autre solution que d’en faire notre bien. Voici qu’à nouveau le chemin se dérobe. A dire vrai, il n’y en a pas. Pas d’abri non plus. Une errance où la chance est de voir en « toute chose sans éclat » une « splendeur nue ».
« Le chemin du fleuve », avant dernière partie, ne dit pas autre chose. On ne peut que le chanter afin de demeurer, en dépit de tout, présent face à notre « pauvreté » comme à notre « ignorance ». Mais chanter signifie « Ne pas parler / plus haut que jour / plus bas que nuit / – tenir parole. ». C’est une expérience intérieure, une froide nécessité que ces poèmes dévoilent. Expérience où l’on se quitte « fibre à fibre » où l’on « ne tient presque plus à rien », sans pour autant sombrer car l’écriture alors s’interromprait.
Et le livre se referme sur Lavis, référence à la peinture, peut-être à la peinture chinoise qu’Hameury affectionnait. Toujours est-il que ces paysages/poèmes décrivent une disposition à la contemplation, presque sereine, du monde. Dedans et dehors se rejoignent, l’ouvert est gagné, les frontières s’abolissent, les limites s’effacent. « Que le pêcheur lançant son filet / sache néanmoins cela : / le monde ne finit pas à ces rives ».
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Hameury ne fut pas un dévot de la mythologie grecque. Ses années de formation ne furent pas marquées du sceau des lettres classiques. Néanmoins il s’approprie le personnage d’Ulysse et nous donne Ithaque et après, Folle Avoine, 1993. L’exilé, le voyageur s’avance vers « l’autre rive », traversant toutes les épreuves.
« Je suis allé sans le vouloir
aux bords extrêmes du monde
sans le savoir au fond de moi-même.
Là-bas m’ont quitté une à une
les ombres qui me protégeaient
quand devant moi se dressait
l’insoutenable. »
Ici, le lien est clair avec Le Chemin du fleuve. Revenu chez lui le héros vieillissant se prête à un long monologue d’une soixantaine de poèmes qui en vérité n’en font qu’un. On se doute dès la citation de Cavafy placé en exergue au recueil « Ithaque t’a donné le beau voyage (….) elle n’a plus rien d'autre à te donner » de ce dont il va être question. Si le passé revient entre amertume et nostalgie, c’est le présent désormais, le dernier, qu’il faut affronter. « Entre silence et oubli, je longe / les méandres des souvenirs ».Vainqueur et vaincu sont dans la même barque, ils sont équivalents. Demeure uniquement la conviction d’être seul. « Vingt ans d’errance et d’erreurs / m’auront appris que j’étais seul, / seul avec les autres, seuls eux aussi ». Il est loin l’enfant « courant au bord des falaises » et ne songeant « qu’aux rives lointaines ». On imagine, ici, le jeune Hameury, gamin libre et plein d’illusions, s’ébattant sur un rivage de la Bretagne Nord. Mais le temps l’a rattrapé comme il a rattrapé Ulysse. Il s’agit d’y faire face. « Une sagesse grise m’est venue. / Ainsi désormais ma vie : vague bruit / du vent dans les feuillages. ». Là encore, l’unique façon de se sauver devant tout ce qui se dérobe, c’est le chant, le poème autorisant, au-delà de l’espérance, la contemplation du « peu qui me reste à perdre ».
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La section « L’exil » du Chemin du fleuve se redouble mais cette fois au pluriel : Exils, Thierry Bouchard – Folle Avoine, 1994, et le premier poème a pour titre, précisément, « Le chemin ». Nous est dit que les hommes s’y arrêtent, l’abandonne à lui-même faute de croire qu’au-delà il leur serait possible de bâtir et de demeurer. Le poète cependant continue vers « le tout autre / où rien n’attend ni ne promet » conservant malgré tout son attachement « au proche » et gardant « une main de l’autre côté ». Ne serait-ce pas une erreur car « c’est d’être sans patrie / qu’on peut enfin habiter la terre ». L’exil est aussi bien une terre encore et toujours perdue que cette absence où « Nous sommes mourant sans cesse » d’où probablement ce pluriel. Dans le poème Orphée nous retrouvons un thème déjà évoqué « Où que tu ailles désormais / tu peux te retourner sans crainte / il n’y a rien à espérer / et donc rien à perdre ». Nous n’avons pas à nous en plaindre, nous pouvons trouver « refuge dans la langue / maternelle, espérant y être à l’abri / de tout, nous nommons / la perte et l’absence ». Alors « il arrive parfois / que l’échine des loups / sur les parois de la caverne / paraisse moins terrible. ». Ici encore l’écriture construit la mince passerelle pour ne pas sombrer dans les eaux du fleuve. Aussi en dépit de tout, et pour un court instant, le cerisier du jardin s’offre soudainement à notre regard. « fleurissant / pour rien, pour personne / – mais fleurissant ! ». Entre la gratuité du don et la citation de Dante qui clôt l’ensemble « Nous sommes perdus et notre seule peine est de vivre encore dans le désir, sans espérance », la quête sans objet du marcheur impénitent qui voit le désert croître et ne dispose que d’une carte, la dernière, à l’usage plus que jamais aléatoire.
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Cette même année 1994 paraît Requiem, Thierry Bouchard –Folle Avoine, livre de deuil comme Brûlant seul. On y entend la voix du père confronté à l’insoutenable : le décès brutal du fils, on entend également la voix de ce dernier. La douleur est sans commune mesure avec celle de Brûlant seul. Le poète pénètre dans l’abîme creusé par celui qui fut découvert « bras ballants, jambes rompues, / poignet droit et fémurs brisés ». Et c’est le face à face « Sur ton visage de vaincu / je cherchais à retrouver les traits / de l’enfant que tu fus ( …) J’ouvris la housse rassemblant ton absence ». Le terrible repose, là, tranquille. Celui qui fus « passeur cherchant l’autre rive / et ne la trouvant pas (…) cherchant / une demeure, un foyer, / une provisoire patrie – et ne les trouvant pas », celui là d’une voix ferme nous dit « Pour n’avoir jamais été / mien, ce monde n’est plus / je ne suis ni ici ni ailleurs ».
Hameury avance les questions « En quel bois inconnu t’enfonças-tu / et à la suite de quel gibier ? », « pourquoi ne t’es-tu pas ressouvenu / de l’enfance ? Elle te serait revenue / avec un goût de fruit sur la lèvre » ; mais il lui faut reconnaître que si « les fêtes avaient toujours lieu / (..) tu avais perdu le goût / de te laisser prendre aux liens / que tissent entre eux / les hommes pour avancer. ». Ces poèmes d’une infinie tendresse sont tout autant d’un effroi infini. Jamais le temps ne l’effacera car alors « faudrait-il réussir / à brûler jusqu’aux pierres ».
D’autres auraient sombré, Hameury, lui, fidèle en cela à sa conception de la poésie, se porte au bord extrême du dicible. Une fois de plus le non soutenable est rapatrié ici-bas.
« Quelle que soit la forme impalpable
que ton absence ait prise,
cette forme est chose d’ici »
L’éprouver et l’endurer, c’est la tâche que l’auteur s’assigne.
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Ces deux mots se retrouvent dans la citation de Martin Heidegger qui ouvre le recueil Voix dans la nuit, Folle Avoine, 2000 : « Dans l’âge de la nuit du monde, l’abîme du monde doit-être éprouvé et enduré. Or pour cela, il faut qu’il y ait certains qui atteignent à l’abîme ». Hameury, sans doute, se pensait comme étant de ceux-là, non pour une quelconque rédemption : « c’est une histoire / que l’on conte aux sourds ! » , pour une tâche sans éclat particulier, certainement pas héroïque, « à hauteur des herbes » – songeons à l’herbe haute du Chemin du fleuve –, afin de contempler après que « tant d’errances et tant de guerres / ont dispersé mes chimères » – on devine ici un rappel d’Ithaque et après – ,« ce qui se donne à voir / pour dire ensuite ce qui est. / Seulement cela – ce qui est – / pas davantage. ».
Nous avons là une revendication déjà rencontrée. Et l’exil du Chemin du fleuve comme le recueil Exils se prolongent dans ce livre, y trouvent confirmation. « Ainsi ‘c’est notre sort (…) de ne jamais posséder la patrie qu’un instant (…) et dire : Ici nous sommes chez nous. / C’est notre sort de nous égarer / en gravant nos empreintes sur l’eau. ». Nulle trace donc et le poème lui-même est suspecté dès lors qu’il se satisfait de gratter de « vieux prurits (…) comme on lèche des plaies / qui ne veulent pas cicatriser. », ses « signes n’offrent aucune clarté ».
Le poème doit « sans cesse aller puiser au blanc: / de quoi redoubler les énigmes. ». Ces dernières fondent notre expérience de la nuit, de la mort pressentie, de ces évidences que nous ne voulons voir. Avançons plutôt en elles. La mémoire douloureuse nous rappelle l’enfant jadis « courant dans la peupleraie (…) et tout le temps en équilibre /. sur la frontière indécise / entre lumière et ténèbres. », cet enfant c’est le poète en sa jeunesse mais aussi bien l’autre, celui de Requiem, qui ne grandira plus, emporté par la foudre, empêché de devenir « ce qu’il aurait pu être ».
Vers la fin du recueil, si l’auteur se pose la question « Suis-je toujours vivant ou déjà mort ? » c’est qu’il lui est « dès à présent possible de montrer l’invisible et de dire l’indicible ». Affirmation inouïe ! Il y faut, je crois, entendre ce que nos peurs, nos habitudes, nos préjugés nous empêchent de voir et ce que nous n’osons dire pour les mêmes raisons.
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Derniers rivages, Folle Avoine, 2004 , ce titre laisse penser qu’Hameury se savait habité par la maladie. Vivre aux humains est incertain : citation de François Villon placée en exergue au recueil. Les sections du livre : Visions, Absence, Exode, Ici-bas, Episode témoignent de l’incessant retour du poète sur ce qui tisse son univers mental. « N’est plus que pièce / parmi d’autres jetée / sur l’enclume du temps / et martelée / et martelée. » (Voix dans la nuit).
Parvenu dans les parages de sa fin, il ne dira plus que le désert « heureux d’être soudain / sans mémoire et sans nom. », s’il y a quelques visions, elles ne sont pas évidemment de l’ordre de la révélation mais plutôt de la dispersion d’un homme – vivant ou mort ? – qui ne prend rien, ne retient rien et avance, en dépit de tout, sans, bien sûr, laisser d’empreintes. Il lui arrive d’évoquer des images de bonheur « Ce serait un jardin / dont il ne serait plus chassé / et qu’il pourrait de loin en loin / quitter – sans le perdre. » mais au cœur de celles-ci « les débris de tous les naufrages / éparpillés méconnaissables / seraient là eux aussi / tout à coup réunis devant lui / choses évidentes du vrai monde. ». Ainsi une fois de plus surgit le thème du « rien à gagner / et rien à perdre » et celui « de ne plus jamais espérer ».
L’exode, l’absence sont aussi ne plus avoir de chemin ou alors après s’être désencombré de tout « étranger à tout / étranger à nous-mêmes » se mettre néanmoins en chemin. Peut-être est-ce se préparer à éprouver ici-bas le goût de cendre des mots et s’appliquer à « se taire / pour ne pas périr » Contradiction pour l’écrivain mais contradiction lucidement assumée. Si cela est aussi le réel, il faut l’accueillir et « endurer / les infernales foudres. ».
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Guère étonnant que dans l’ultime recueil, Errances, Folle Avoine, 2008, – dont le titre, faut-il insister, fait écho à tout ce qui précède – s’arrêtent et se brisent « âme et souffle ». A peine une image plutôt le quotidien d’Hameury dans les derniers mois. Cependant de la lisière s’élève une voix lointaine et pourtant proche. Quelle est-elle cette voix ? Celle de la fin ? Je ne le crois pas. Je me demande si dans l’esprit du poète, ce n’est pas tout bonnement la sienne tendue, même et surtout en ces heures là, à faire en sorte que le monde gagne en présence « la vie en évidence / toutes choses en simplicité ». C’est bien ce à quoi l’auteur s’est appliqué tout au long de son œuvre et au travers de cheminements multiples apparaissant parfois comme contradictoires car si « Plein et vide » sont « cousus / bord à bord », il est inévitable de connaître des impasses avant de saisir, sans doute sur le mode de l’instant, cet embrassement des contraires.
Pour Hameury le poème est toujours adressé à un autre. On devine chez lui non pas la volonté d’enseigner, ce qui serait naïf, mais de faire partager son expérience du monde avec en contrepoint cette volonté pathétique de laisser derrière soi les chimères.
« Il faut consentir à faire un pas de plus
acquiescer à la faille qui s’ouvre. :
Non pas se plaire aux mirages si proches
mais aller – et voir s’appauvrir
puis s’effacer
les vertes espérances
empoisonnant notre présent. »
Ce faisant la peur est-elle vaincue ? Non, sans doute. Néanmoins on peut imaginer qu’elle n’habite pas le poète mais qu’à l’inverse c’est lui qui l’habite de telle sorte qu’il se pose une question dont nous devinons la réponse.
« Et la peur – peut-il vous en parler ?
Peut-il vous dire – vous qui lirez ses mots
sans effroi sous la lumière dorée des lampes –
que la poésie – comme la vérité –
comme toute beauté extrême –
est toujours redoutable ? »
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L’œuvre en prose est constituée de deux récits : Macchab, 2007, l’Empire, 2008, et d’un recueil de nouvelles Des temps difficiles, 2008, ces trois titres toujours chez Folle Avoine. Ils furent écrits une dizaine d’années avant leur publication voire davantage pour le premier. Il s’agit dans tous les cas de monter des situations sous formes de paraboles mêlant donc l’intemporel et le présent de nos sociétés. Le regard d’Hameury est tout entier dans ces anti-héros : Macchab, le voyageur qui parcoure les territoires de l’Empire d’une part et les personnages des nouvelles d’autre part. Ils sont chacun à leur manière des témoins. Le long monologue de Macchab qui entend nous conter « toutes ses vies » se débat, et l’humour est parfois patent, dans le cercle de ses contemporains. On l’imagine volontiers entre le rire et les larmes. Il est seul, on ne sait d’où il vient, lui-même ne sait où il va. Il est moqué. Il est vrai qu’il creuse des trous sans rien découvrir, construit des cabanes qu’il brûle, fait la guerre en position inconfortable entre les deux armées, refuse de rejoindre l’une et sans doute fatigué de tenir en solitaire son arme se propose de s’enrôler dans l’autre mais celle-ci plus technicienne, sûre d’elle-même, spécialiste de la guerre propre ne veut pas de cet hurluberlu. C’est une sorte de Bustor Keaton rebondissant d’échec en ratage sans jamais se fondre dans la foule. Le voyageur de l’Empire adopte une position plus extérieure. Il visite villes et pays, observe même si parfois il ne peut échapper à quelques aventures. Ainsi dans une ville où chaque habitant est un maniaque de l’asepsie, le moindre bouton sur le corps entraîne la mise en place d’un cordon sanitaire, il doit car la police veille se soumettre à une batterie d’examens médicaux. Dans chaque lieu où il se rend il est en butte à l’indécision, à la faiblesse et au désespoir qu’ont les gens de n’être que ce qu’ils sont. Partout il ne rencontre qu’insatisfaction et espoirs chimériques. Versatiles les sujets de l’Empire peuvent passer de la convivialité, de l’amitié à la haine froide et certains reconnaissent qu’il est agréable finalement d’avoir près de soi des gens que l’on peut détester, voire frapper. L’important c’est d’être raisonnable, d’éviter la démesure. L’important dit un homme rencontré dans un bar « c’est de durer, quelles que soient les infamies quotidiennes ; et l’absence de tout amour vrai, de toute vérité…Il s’agit seulement de porter le corps, cette guenille, jusqu’au plus loin du temps ».
Aussi impitoyables sont la plupart des nouvelles. Je n’en retiendrai qu’une : « Troubles ». Holner, un universitaire, est prisonnier d’une junte militaire. Ils sont deux dans la cellule. On lui explique que celui qui aura tué l’autre sera libéré sur-le-champ. Holner tente de persuader le droit commun qu’il s’agit de balivernes mais la brute n’est pas de cet avis. Notre universitaire surmonte sa peur, décide de livrer le combat. Il en sort vainqueur non sans avoir vomi et pleuré devant le corps de l’autre. Le jour suivant un jeune homme est poussé dans la cellule. Il veut parler, s’expliquer mais Holner ne l’entend pas, il le tue. Cette fois il ne pleure ni ne vomit. Il comprend qu’une force opiniâtre et obscure l’habite désormais. Il cherchera à vaincre ses adversaires jusqu’au moment où un plus fort que lui le tuera. Les valeurs invoquées par la junte : virilité, noblesse etc… ne lui paraissent pas aussi idiotes qu’il l’avait pensées auparavant lorsqu’il dissimulait ses « faiblesses et ses peurs sous des mots et des idées ». Il fut presque heureux quand la porte de la cellule s’ouvrit sur un nouveau prisonnier. C’était son fils qu’il n’avait pas vu depuis longtemps. Ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre, évoquèrent le passé. Holner lui assura que s’ils s’en sortaient, ils se reverraient, apprendraient à mieux se connaître. Ils s’endormirent l’un contre l’autre. Au petit matin la porte s’ouvrit et le fils montra le cadavre du père, couteau fiché dans la poitrine. Les gardes ne manquèrent pas de lui dire que ce serait plus difficile la prochaines fois car il serait sans arme.
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Hameury comme nombre de poètes s’intéressa à la peinture. Il va lui consacrer deux essais parus chez Folle Avoine, Peinture et réalité, 1990, et Edward Hopper, 1997. Le choix de cet artiste a été certainement déterminé par cette volonté de transcrire sans aucun pittoresque la réalité la plus nue, la plus quotidienne, la plus vide aussi.. Les trois peintres retenus dans le premier essai – auquel je me tiendrai ici – : Cézanne, De Staël et Vermeer sont certes différents mais ont partagé, lui semble-t-il, une même expérience: Celle qui fait advenir dans l’acte de peindre la réalité sensible du monde. Il y a une saisie du réel tardive chez les deux premiers après bien des échecs et pour le troisième offerte comme une évidence sans avoir connu les renoncements des précédents. Chacun d’entre eux à sa manière se défait de son Ego de sorte que le dedans : cette conscience subjective, si lourde parfois, parvient à s’alléger, à entrer dans une relation d’équilibre avec le dehors objectif. La toile devient ce lieu « neutre » où s’opère cette conjonction. Ce n’est pas une simple reproduction, non plus ce qu’on nomme la figuration. Il s’agirait plutôt d’une contemplation, d’un accueil sans emphase ni artifice, sans idée préconçue, du monde vu comme une première fois. Ils sont en conséquence ouverts à l’espace, à la lumière, aux choses les plus familières sans qu’aucun écran ne vienne tordre ou dissimuler ce qui est. Nous sommes de plain-pied avec lui dans un présent qui ne finit pas. Dés lors un partage est possible, nul besoin de recourir aux idées, aux commentaires. La présence du réel suffit, elle ne supporte aucune surcharge. Pour Hameury c’est la grande leçon à retenir même s’il décèle dans les dernières toiles de Vermeer une volonté d’en dire trop qui les lui rend décevantes.
Les Marginalias, c’est-à-dire selon l’auteur des « points de vue formulés à partir du site où j’écris mes poèmes ». Aujourd’hui ils forment trois livres sous titrés « Marginalia 1, 2, 3 ». Le premier L’échec de Mallarmé, Folle avoine, 1998, s’attache à la démarche du poète. L’appréciation de celle-ci dénote en creux les positions d’Hameury. « L’échec » est une critique de l’esthétisme, du maniérisme auquel Mallarmé n’aurait pu échapper même s’il nous laisse « quelques vers (…) parmi les plus beaux incontestablement de la poésie française ». Cependant l’œuvre prise dans sa globalité s’est égarée dans « les purs glaciers de l’esthétisme ». Pourquoi cet égarement, de quoi est-il le symptôme ? D’un déni de la réalité affirme Hameury. Certes le poète de la rue de Rome avait éprouvé sa complexité tragique, la part de ténèbres qu’elle recèle, l’inconnu qu’elle laisse entrevoir. Et c’est précisément pour ces raisons qu’il s’en est détaché, refusant le corps à corps avec cette « materia prima ». Aussi lui a-t-il préféré une langue qu’il s’inventerait, une langue pure, isolée, à la fois début et fin de tout art poétique. Dès lors le monde est hors du jeu. Seuls comptent les signifiants, leurs sonorités, leur mise en relation. Il n’est guère étonnant que Mallarmé se soit rêvé démiurge capable de produire le Livre, Le Grand Oeuvre substitut à l’univers forcément caduc. Chimère d’un faux mystique et vrai narcisse nous dit Hameury. Ne demeurent alors que la virtuosité, l’intelligence habile, l’esprit de calcul et leur envers un hermétisme « voulu, construit, façonné pour instaurer le mystère et instituer l’énigme propre à sacraliser le poème ». Etres et choses sont dépossédés par les mots. Nul ne les voit et le sens se perd dans une obscurité artificieuse. Devinette laborieuse disait Gracq. Que peut en effet la pensée sans l’intuition, l’imagination, la plongée en soi même et la périlleuse remontée dans le langage propre à exprimer cette traversée de l’obscur de manière ordonnée et intelligible, qui seule permet de transformer « la boue en or », de consentir enfin à notre condition. Le culte de la forme pensée de bout en bout, et au passage Hameury s’en prend à Valéry mais également à Blanchot, exclut la parole au bénéfice d’un objet littéraire ne renvoyant qu’à lui-même. Poésie autistique juge Steiner à propos de l’auteur du Coup de dés.
Illusions et mensonges, Regards sur le temps présent, Folle Avoine, 2002 et 2007, participent de la même critique impitoyable de nos sociétés et de l’état de nos mœurs. Les déterminismes politiques, économiques, sociaux, sont aujourd’hui d’autant plus efficaces qu’ils agissent de manière feutrée, souriante. Les individus perdent la conscience de leur situation. Rien n’échappe désormais aux techniques de manipulation des esprits. Le consumérisme recouvre tous les secteurs de l’activité humaine. Le désir est continûment relancé. Satisfaction et frustration se succèdent frénétiquement de sorte que c’est le sentiment de manque qui l’emporte tandis que le mal de vivre règne à l’instar de la Marchandise. De l’inégalité des conditions on passe à « l’égalité de la névrose ». Qu’espérer alors ? Rien ou presque ! Nous avons perdu de vue la réalité, accrochés que nous sommes aux ombres de la Caverne. Chacun, dominant ou dominé, s’abandonne à ses passions, à ses pulsions. Par crainte des gouffres qu’il côtoie, se vautre dans des bauges plus ou moins dorées. Mais le libre arbitre objectera-t-on ? Hameury répond que c’est « l’une des plus volumineuse baudruche à dégonfler ». Quant à ceux, les minoritaires, opposés aux Nombreux d’Héraclite qui ne savent « ni écouter ni parler », ils n’ont d’autre issue que de reconnaître ce que nous sommes c’est-à-dire autant soumis « à nos déterminismes innés ou acquis que les animaux à leurs instincts ». L’évidence est là.
« Peut-être essaierons-nous encore de devenir autres. À moins que, totalement dégrisés et incapable de supporter nos limites, nous nous couchions à même le sol dans l’attente de la mort. ».
Ce réquisitoire violent, pathétique dans ses conclusions, s’accompagne parfois d’un ton sarcastique. Il n’est pas en contradiction avec le reste de l’œuvre. Hameury refusant de se voiler la face se sera porté aux extrêmes, il se sera appliqué à façonner la solitude altière de qui garde, en toute circonstance, les yeux grands ouverts.
Michel Dugué