A en juger par les récents sondages publiés par les instituts en ce début d’année, 2011 n’inspire par vraiment confiance aux Français. Alors que l’économie mondiale et celle de la France éprouvent toutes les difficultés du monde à s’extirper de ce marasme de plus en plus déprimant, la compétition politique qui s’annonce pour 2011 dans l’hexagone va faire resurgir les promesses, les programmes mais également quelques espoirs. Afin d’y voir plus clair sur l’état d’esprit des Français, Délits d’Opinion a sollicité Jean-Daniel Levy, nouveau Directeur du pôle Opinion et Corporate de l’Institut Harris Interactive.
Délits d’Opinion : Dans quel état d’esprit les Français abordent-ils cette nouvelle année ?
Jean-Daniel Levy : Lorsque l’on interroge les Français sur les douze mois écoulés, ils confessent que cela n’a pas été une trop mauvaise année sur le plan personnel. A l’inverse, le regard qu’ils portent sur l’avenir et 2011 fait apparaître plus de doutes. Ces incertitudes s’expriment en particulier au niveau du pouvoir d’achat et de l’emploi, deux sujets qui comptent parmi leurs priorités surtout depuis le début de cette crise. Le constat dressé par les Français est particulièrement intéressant car dans le même temps, de nombreux experts, économistes et responsables politiques évoquent une sortie de crise possible et des lendemains plus encourageants. Cette divergence dans le diagnostic est un élément crucial à l’aube de cette nouvelle année.
Dans le détail, nos enquêtes soulignent que les catégories populaires font état d’un niveau de confiance inférieur à la moyenne nationale. Plus surprenant, les catégories socioprofessionnelles supérieures sont également sceptiques lorsqu’elles pensent à l’année à venir, confirmant ainsi un malaise traversant l’ensemble de la société. Pour expliquer ce manque d’optimisme de la part des cadres supérieurs et des professions libérales, on peut émettre l’hypothèse d’une défiance accrue à l’encontre de la solidité des institutions financières nationales et internationales, doublé d’une incertitude sur la stabilité des économies des pays européens. Si l’on les compare les réponses des Français au regard de leur positionnement les années antérieures, on remarque que la confiance dans l’avenir s’avère moindre que par le passé.
Délits d’Opinion : Quels sont les vœux que les Français expriment pour cette nouvelle année ?
Jean-Daniel Levy : Les vœux que les Français formulent en cette rentrée sont de deux sortes : les souhaits pour le collectif et les vœux pour leur situation personnelle. Sur le plan personnel c’est la question du pouvoir d’achat qui apparait comme prioritaire pour les Français. D’un point de vue plus global, les Français attendent un investissement fort du gouvernement sur le dossier du chômage. Ces attentes restent toutefois à un niveau encore inférieur à celui de certains de nos voisins européens. Plus largement on note un réel besoin de cohésion sociale exprimé par la population. Il est frappant de remarquer que les Français ne se positionnent pas au seul regard de leur situation personnelle. Et qu’ils ne peuvent s’extraire de considérants relatifs à l’intérêt général.
Délits d’Opinion : La compétition politique de 2011 peut-elle susciter un enthousiasme susceptible de redonner espoir aux Français ?
Jean-Daniel Levy : La situation politique de 2011 diffère profondément de celle de 2006 et ceci à plusieurs niveaux. Tout d’abord, lors de la campagne de 2007 on avait pu observer l’émergence d’une nouvelle génération de dirigeants. Plus jeunes, ils se différenciaient des candidats qui s’étaient affrontés lors du scrutin précédent. En 2007, dans les sondages pré-électoraux, les Français ont d’ailleurs très vite confirmé leur volonté de voir s’affronter Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy, tous deux porteurs d’un espoir, ou en tout cas d’une certain forme de rupture dans la manière de faire de la politique. L’autre élément marquant de la campagne de 2007 fut la volonté de ces deux candidats de s’affranchir de leur famille politique, confirmant ainsi l’originalité de cette bataille électorale.
Aujourd’hui nous sommes dans une situation clairement différente. Tout d’abord parce qu’à droite, aucun leader n’a, pour le moment, exprimé la volonté de s’opposer au Président, candidat incontesté par l’opinion au sein de son camp politique à l’élection présidentielle. On n’observera donc vraisemblablement pas de rupture par rapport à la politique et au style de Nicolas Sarkozy. Rue de Solferino, si on excepte quelques « sorties médiatiques » on n’a pas encore pu identifier de potentiels candidats capables de prôner une vraie rupture par rapport à la ligne du parti.
Un autre élément différant entre ces deux campagnes concerne le calendrier politique. En 2011, les échéances cantonales et les élections sénatoriales pourraient modifier le rythme de la compétition. En effet, si on peut s’attendre à une mobilisation relativement faible des électeurs pour le scrutin cantonal, celui-ci devrait néanmoins occuper une partie des états-majors, influant donc sur le calendrier de campagne des partis.
Enfin, d’un côté comme de l’autre, les programmes n’ont pas été clairement présentés et défendus par les probables candidats et leurs représentants. Cela est particulièrement vrai pour les « poids lourds » qui ne se sont pas encore déclarés candidats.
Délits d’Opinion : L’incapacité des opposants à capitaliser sur les déboires de la majorité peut-elle se stopper en 2011 ?
Jean-Daniel Levy : Jusqu’à présent, tous les responsables politiques qui ont tenté de capitaliser uniquement sur le rejet du Président et de la politique de son gouvernement ont connu des échecs. En 2007, la candidature de Nicolas Sarkozy avait suscité une certaine inquiétude sans pour autant permettre à Ségolène Royal d’agréger un soutien massif au seul regard qu’elle pourrait « faire barrage » au candidat de l’UMP. La situation de 2011 semble toute autre car, comme on avait pu le noter lors des scrutins municipaux ou des élections européennes, certains électeurs préfèrent s’abstenir plutôt que de reporter leur vote depuis N. Sarkozy vers un autre candidat.
Ce constat indique que les électeurs sont à la recherche d’un contre-modèle tant sur le fond que sur la forme. L’alternance ou le contrepoids à Nicolas Sarkozy n’est aujourd’hui pas clairement identifié ce qui explique que le principe des vases communicants ne se produit pas. Une personnalité qui pourrait fédérer l’antisarkozysme n’émerge pas et aucun responsable ne semble en mesure de récupérer ces seuls arguments pour en faire un programme.
Cette remarque est d’ailleurs confirmée par la récente séquence sur les retraites qui s’est déroulée à la fin de l’année 2010. Comme nos enquêtes l’indiquaient, les Français ont témoigné leur opposition à ce projet, soutenu par une forte mobilisation des syndicats et de leurs sympathisants. Pour autant, malgré cette mobilisation, le président Sarkozy n’a pas vu sa cote de popularité plonger et celles de ses adversaires n’ont pas connu de rebond. La désaffection de l’un ne provoque donc pas de gain notable dans le camp d’en face.
Propos recueillis par Raphaël Leclerc