Ecrit par le scénariste de Ken Loach, ce film espagnol établit un parallèle habile entre la lutte d’un dominicain contre l’oppression des Indiens par les colons assoiffés d’or et celle de leurs descendants contre une multinationale.
Sélectionné pour représenter l’Espagne dans la course à l’Oscar du meilleur film étranger, écrit par Paul Laverty – scénariste de Ken Loach – et mis en scène par la comédienne et réalisatrice Iciar Bollain, Même la pluie est une œuvre forte et captivante, un film audacieux qui entremêle trois histoires entre passé et présent, posant la question de l’exploitation de l’homme par l’homme à travers les époques – en l’occurrence celle des Indiens d’Amérique latine au XVe siècle, et celle des populations d'aujourd'hui.
Même la pluie s’attache aux pas d’une équipe de tournage espagnole au budget serré, désireuse de mettre en scène l’histoire de Bartolomé de Las Casas (1474-1566), propriétaire terrien devenu dominicain, connu pour avoir défendu les droits des indigènes face aux colons espagnols dès le début du XVIe siècle. Recherche de figurants, construction des décors…
Cette mise en abyme du cinéma par lui-même est une figure souvent galvaudée. Elle prend ici une dimension toute particulière, illustrant la manière dont une production venue d’un pays riche peut être tentée de tirer avantage d’une situation favorable, avec, en dépit de beaux discours, peu de considération pour le quotidien de ceux qu’elle sollicite.
Un symbole fort, qui fait d’emblée apparaître le décalage entre le sujet historique du long métrage tourné par l’équipe et la manière dont ses membres perçoivent la réalité qui les environne. Une réalité dure, qui s’incarne dans le combat de Daniel, un habitant recruté comme comédien, très engagé dans la révolte des quartiers pauvres de la ville contre un projet de privatisation de l’eau porté par la municipalité.
« Il y a plus important que votre film »
de leurs descendants contre une multinationale imposant de délirants profits sur un bien commun confisqué… On voit bien le propos politique qui sous-tend le scénario de Paul Laverty. L’entreprise aurait pu se révéler hasardeuse.
L’écriture de l’auteur et la mise en scène d’Iciar Bollain, fondées sur une approche humaine et l’évolution des regards, la rendent au contraire très intéressante. En créant un lien entre scènes de la vie de Bartolomé de Las Casas, affres de l’équipe de tournage et affrontements entre manifestants et autorités locales, le film permet au propos de s’épanouir sans manichéisme, et fait place aux questions morales qui l’accompagnent.
De ce point de vue, le déplacement intérieur de deux des protagonistes – le réalisateur (Gael Garcia Bernal), habité par son sujet, mais trop possédé par son film pour faire place à d’autres urgences, et le producteur (Luis Tosar), capable de cynisme mais finalement mis face à son humanité – offre de belles prises à la réflexion.
« Il y a plus important que votre film », dira Daniel le figurant à ses employeurs. Une phrase peu entendue au cinéma et qui, chez le scénariste de Ken Loach, résonne comme une lointaine réponse à François Truffaut se demandant ce qui, de la vie ou du 7e art, était le plus essentiel.
Arnaud SCHWARTZ
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Luis Tosar et Iciar Bollain