« Elémentaire, mon cher Watson ! » : les Smith dans « Matrix »

Publié le 07 janvier 2011 par Sheumas

Comme le fait judicieusement remarquer Jenny en commentaire de l’un de ces deux articles, des personnages inquiétants issus de la Matrice et nommés les « Smith » font écho à une œuvre que tout cinéaste cultivé connaît et a sans doute « fréquentée » au théâtre de la Huchette à Paris : « la Cantatrice chauve », jouée tous les soirs à la même heure devant un public souvent étranger et toujours conquis.

   Ionesco y met en scène le fameux concept de l’absurde que j’avais eu l’occasion il y a quelques années de revisiter à travers la pièce parodique du creux Loft Story : « Loft Historry 2084 ». Dans la pièce de Ionesco, deux couples (dont les Smith !) sont arrivés « au bout du rouleau » de la communication et dévident des propos tellement creux qu’ils n’ont aucun sens.

   Ce que Ionesco décrypte à travers les dialogues et les situations c’est l’effet pervers de l’usure du temps sur les relations de couple : à force de banalité, d’habitude, de lieux communs, la communication a perdu tout son contenu si bien qu’aucun des personnages n’écoute ce que lui dit l’autre, ce qui crée une suite décousue de propos cocasses. Le famuex « absurde » de théâtre. Le monde n’a plus de sens, les humains comme chez Beckett, sont devenus des ombres qui causent pour ne rien dire... Et quant on écoute les Smith qui se démultiplient et se clonent dans « Matrix » et qui « échangent » des remarques, on a l’impression que le dialogue frise le ridicule. C’est un dialogue cloné, un assemblage de paroles gelées qu’administrent ces machines à tuer, agents policiers de la dictature matricienne ! Il ne leur manque que le chapeau melon de l’inspecteur Watson ou la baguette du bobby !

  

-M.SMITH : Il y a une chose que je ne comprends pas. Pourquoi à la rubrique de l'état civil, dans le journal, donne-t-on toujours l'âge des personnes décédées et jamais celui des nouveau-nés? C'est un non-sens.
-MME SMITH : Je ne me le suis jamais demandé !
-
M.SMITH : Tiens, c'est écrit que Bobby Watson est mort.
-MME SMITH : Mon Dieu, le pauvre, quand est-ce qu'il est mort?
-M.SMITH : Pourquoi prends-tu cet air étonné? Tu le savais bien. Il est mort il y a deux ans. Tu te rappelles, on a été à son enterrement, il y a un an et demi.
-MME SMITH : Bien sûr que je me rappelle. Je me suis rappelé tout de suite, mais je ne comprensd pas pourquoi toi-même tu as été si étonné de voir ça sur le journal.
-M.SMITH : Ca n'y était pas sur le journal. Il y a déjà trois ans qu'on a parlé de son décès. Je m'en suis souvenu par associations d'idées !
-MME SMITH : Dommage ! Il était si bien conservé.
-M.SMITH : C'était le plus joli cadavre de Grande-Bretagne ! Il ne paraissait pas son âge. Pauvre Bobby, il y avait quatre ans qu'il était mort et il était encore chaud. Un véritable cadavre vivant. Et comme il était gai !
-MME SMITH : La pauvre Bobby.
-M.SMITH : Tu veux dire "le" pauvre Bobby.
-MME SMITH : Non, c'est à sa femme que je pense. Elle s'appelait comme lui, Bobby, Bobby Watson. Comme ils avaient le même nom, on ne pouvait pas les distinguer l'un de l'autre quand on les voyait ensemble. Ce n'est qu'après sa mort à lui, qu'on a pu vraiment savoir qui était l'un et qui était l'autre. Pourtant, aujourd'hui encore, il y a des gens qui la confondent avec le mort et lui présentent des condoléances. Tu la connais?
-M.SMITH : Je ne l'ai vue qu'une fois, par hasard, à l'enterrement de Bobby...