Tous les dimanches midi, nous y avions droit !
Dans l'assiette, au milieu des petits pois,
Une tranche de rosbif nageait lamentablement.
Je me souviens encore dire « je n'en veux plus maman ».
J'ai toujours eu du mal à manger ce morceau.
Et je sais pourquoi, je ne suis pas idiot.
Dans ma tête d'enfant, je le savais :
« Ce morceau est fait de la cuisse d'un anglais !»
Etre cannibale, en soit, ne me dérangeait pas.
Non, ce qui me répugnait le plus, moi,
C'est d'avoir à croquer dans nos ennemis de toujours.
Je haïssais les anglais, de plus en plus, de jours en jours.
Il n'y avait aucune raison en particulier.
Il était de tradition familiale de ne pas les aimer.
Une sorte de rumeur chuchotée en héritage
Du lit de mort, jusqu'au lit premier âge.
Un matin, bien installé devant la télé,
Avec ma traitresse de soeur et son thé anglais,
Nous assistons, abasourdi,
Au décès d'une certaine Lady Di.
Coup de foudre miraculeux,
Ca y est je suis amoureux !
Des Anglais par milliers qui pleurent.
Les bras des uns dans les autres au milieu des fleurs.
Je me sens fasciné, aspiré.
C'est décidé : là, j'aime les Anglais.
J'aime voir cette foule qui idolâtre
Leur Princesse qu'ils viennent, par procuration, d'abattre.
Moi aussi je veux lire la une des Tabloïds
Et pousser, qui sait, une star au suicide.
Je veux me plonger dans des quartiers cosmopolites
Et manger des sandwich au poisson et aux frites.
Je veux désormais respirer leur air Londonien
Je veux que leur pain soit aussi le mien.
Je veux manger du mouton à la menthe.
Et boire dans des pubs de la bière qui fermente.
Bref aujourd'hui, je compte bien leur avouer
Et tant pis si, à mon tour, je dois être répudié.
Ma chère soeur a fait ce choix depuis longtemps
Et tout porte à croire qu'elle le vit sereinement.
« Maman, Papa, ne me retenez pas,
Ce n'est pas votre faute et ça reste mon choix.
Et tant pis si votre petit monde s'effondre
Mais je mangerais mon Rosbif à une terrasse de Londres. »