Commandée par la famille Lemoine, la « Maison à Bordeaux » est une résidence de 500 m2 située à Floirac sur des coteaux bordelais. Cette maison est née sous le signe de l’exception à bien des égards. Dans sa conception d’abord. Après un coup de théâtre, le projet initial est profondément remanié et l’architecte néerlandais décide de concevoir trois maisons superposées au style très différent, reliées entre elles par un vaste ascenseur central. C’est Cecil Balmond qui se chargera de la touche finale, en dessinant la « boîte » qui constitue la forme visible de la maison. Dans sa consécration aussi, dont la rapidité en dit long sur l’envergure du projet. Construite en 1998 par Rem Koolhaas, la Maison à Bordeaux est déjà en passe d’être classée par les monuments historiques et inscrite dans le patrimoine du XXème siècle. Coup de projecteur sur ce nid d’aigle qui aura bientôt le même statut que les premières maisons fonctionnalistes des années 20.
C’est en 1992 que tout commence. La famille Lemoine, qui vit jusque là dans une belle et vieille maison du Bordeaux médiéval, décide d’emménager dans une maison plus simple et plus moderne. Le couple pense alors à plusieurs architectes de renom avant de confier le projet à Rem Koolhaas. Coup de théâtre quelques mois plus tard : le père de famille est victime d’un grave accident de voiture qui le rend tétraplégique. Cette donnée infléchit de façon décisive la proposition architecturale. Contraint de concevoir une maison pour handicapé, Rem Koolhaas dessine trois plans superposés, reliés entre eux par une véritable plateforme élévatrice permettant au propriétaire de monter et descendre les étages comme si la maison n’en comptait qu’un seul.
L’ensemble peut paraître en équilibre instable mais ce n’est qu’une illusion. L’accès à la maison relève d’une véritable scénographie, où la découverte de la maison, liée à celle du site naturel, est riche en suspense. La faculté de la maison à épouser la topologie du site naturel fait penser aux principes d’architecture de Frank Lloyd Wright. La maison est construite sur un terrain de 11ha dont l’accès s’effectue par un chemin coudé pour déboucher sur un promontoire boisé. La maison est positionnée en surplomb de la Garonne et de la ville de Bordeaux.
L’emplacement est soigneusement choisi en retrait de la pente, sur un petit promontoire. Ce choix permet à Koolhaas et à Cecil Balmond de dichotomiser la structure de la maison : la partie inférieure de la maison est enfouie dans la roche grâce à des travaux de terrassement, tandis que la partie supérieure est au contraire « décollée » du sol, faisant apparaître une imposante boîte de béton percée de hublots. Le tour de force est la relation entre les deux structures via deux axes verticaux qui sont également des points porteurs : l’ascenseur dans la partie adulte et la cage d’escalier dans la partie enfant, revêtue d’ions pour se faire oublier. La maison comporte un ultime point porteur sous la forme d’un puissant portique qui traverse le séjour dans sa largeur.
L’ascenseur est le « clou » de la maison, la touche finale qui donne la cohérence à la maison, c’est-à-dire sa capacité à résoudre les problèmes posés par le handicap du propriétaire. Il s’agit d’une plateforme sur vérin hydraulique qui se déplace sur les trois niveaux. Idée lumineuse, l’ascenseur est adossé à un mur-bibliothèque spectaculaire qui permet au propriétaire d’accéder facilement à toutes les choses qui composent sa vie quotidienne : ses vêtements et effets personnels dans la partie chambre, les livres et les oeuvres d’art dans la partie séjour, les bouteilles de vin dans la partie inférieure. La plateforme constitue de ce fait une interface entre l’espace à vivre et l’expérience de vie.
Sur le plan esthétique, les architectes ont tenu à singulariser les atmosphères propres à chaque niveau. Le niveau supérieur se distingue par son opacité extérieur combinée à une clarté intérieure, puisque la lumière est apporter par le toit. L’éclairage zénithal donne au niveau supérieur une atmosphère particulière, bien différente de l’éclairage facial traditionnel. Le niveau intermédiaire, où siège le séjour, se distingue a contrario par sa discrétion. De fait il est presque invisible de l’extérieur. C’est une salle de verre pris en sandwich entre la partie basse souterraine et la partie haute aérienne, comme un acquarium qui servirait de piédestal à une boîte opaque. Quant à la partie basse, elle est marquée par une atmosphère diamétralement opposée : il y règne une ambiance de grotte, dans la mesure où l’espace a été largement gagné en creusant dans le flanc de la colline. Ce contraste entre l’atmosphère céleste de la « boîte » et l’ambiance souterraine de la maison basse fait de la Maison à Bordeaux un modèle d’architecture. Une reconnaissance suprême bientôt actée dans les instances du Patrimoine mondial.
La Maison à Bordeaux en bref
Localisation: Floirac, Bordeaux, France
Date de conception / réalisation : 1994 / 1998
Maison principale : 500 m2, 5 chambres, 3 salles de bain
Maison des invités : 100m2, 2 chambres, 2 salles de bain
Architecte : Rem Koolhaas
Equipe : Jeanne Gang, Julien Monfort, Bill Price, Jeroen Thomas, Vincent Costes, Chris Dondorp, Erik Schotte, Yo Yamagata, Oliver Schütte
Structure : Arup London, Cecil Balmond
Mobilier fixe et plateforme mobile : Maarten van Severen, Raf de Preter
Bookcase: Vincent de Rijk, Chris van Duijn
Coordination et assistance technique : Michel Régaud, Bordeaux
Façades : Robert-Jan van Santen
Système hydraulique : Gerard Couillandeau
Architecture intérieure : Inside-Outside, Petra Blaisse
Piscine : Oliver Schütte
Prix : TIME Magazine Best Design of 1998, prix L’Equerre d’Argent 1999