Oui à la corrida, non au foie gras !
D’un côté, mort d'un taureau de combat, au nom d'un rite venu du fond des âges. De l’autre, gavages de volatiles à des fins de réveillon. Dans les deux cas, des victimes. Nos sociétés
dysneylandisées choisissent les leurs. Mais si le taureau élevé en prince dans sa prairie natale connaît des jours de rêve avant l’arène, les oies, maintenues en batterie et bourrées à mort, ne
verront jamais la lumière du jour.
Et puis, le premier tue. Les secondes pas.
J’ai vu une corrida pour la première fois cet été. Jusque-là, je ne me prononçais pas, même si je comptais parmi mes proches des aficionados
convaincants. Sur place, révélation. Passé la première demi-heure à me demander ce que je faisais là, navrée du spectacle de cette malheureuse bête
harcelée par une bande de sadiques, j’ai compris. J’ai compris la noblesse de cet art que les zoophiles bien-pensant qualifient de boucherie, juste bonne à assouvir un fantasme de
sang.
Noblesse. D'abord, celle du torero. Son costume nous consolerait des aisselles de Gaël Monfils. Son port de danseur étoile, ses cris de cinéma muet, sa
gestuelle de héros. Confrontation héroïque, le terme n’est pas trop fort, entre un fauve qui a grandi dans
l'obsession de combattre – sans corrida, il serait en cage dans un zoo – et d’un homme qui n'a pas froid aux yeux, et en fait profession. Ce dont le spectateur ne se doute pas : le sol de
l'arène tremble sous vos pieds, quand le taureau vous charge.
La corrida ritualise l'affrontement immémorial de l’homme et de la nature, qui est celui du courage et du danger. Elle ne perpétue pas un sacrifice. Elle nous joue
le drame de l’honneur et de l’héroïsme – deux valeurs il est vrai assez mal en point sur le théâtre de M. Bernard Arnault.
Voyons le contexte : ce n'est pas la Vache qui rit ni un aimable saint-bernard qu'on propulse dans
l'arène. Ce n'est pas un bon gros toutou qu’on immole pour le plaisir d’une foule en liesse. C'est un monstre qu'on lâche, et dont toutes les
fibres sont dédiées au combat – encore a-t-il le choix de s'abstenir. Au lieu de finir en légende dans la mémoire des toreros, libre à lui de sortir en tartare d'un hachoir.
L'alternative est simple, et
la controverse enflammée entre les "pour" et les "contre" n'est qu'un acte de plus au procès qui oppose les âmes poétiques aux adorateurs de la Carte vitale.
En Espagne, la loi du 28 juillet qui interdit la corrida sur le territoire de la Catalogne a fait rentrer celle-ci dans le rang des régions bedonnantes, normales et civilisées. Plus qu’une mesure en faveur des animaux, c’est bien le rejet d'un caractère
national – d'un caractère tout court. C’est surtout, plus gravement, la fin d’une Europe fière d'elle-même et de ses spécificités, succombant à la normalisation promue par Bruxelles.
En voilà une, de mise à mort!
Faut dire : le foot, c'est vachement mieux, et tellement plus sympa ! Tellement plus dans l'air du temps, tellement plus adapté à nos publics de voyous, de buveurs
de cannettes et de petits vieux…
Olé !