Personnellement, je reçois favorablement, l’invitation à questionner notre mode de fonctionnement, et le type de pédagogie que nous continuons d’utiliser, alors que tous les indicateurs nous alertent sur notre inefficacité à corriger un échec scolaire, bien installé.
Cependant, j’entends aussi, certains experts ( 1) qui nous interrogent plus avant, sur des mots d’ordre actuellement valorisés :« la pédagogie par compétences », et le critère « d’efficacité » .
L’un et l’autre appartiennent, aujourd’hui, au vocabulaire européen :
La liste des « compétences-clé pour l’éducation tout au long de la vie » a été établie par le Parlement Européen… et « l’efficacité et l’équité des systèmes éducatifs en Europe ».est à l’ordre du jour de plusieurs colloques européens …
-1- Compétences …
Pour ce qui est de la « pédagogie par compétences » Il me semble légitime, et naturel que l’annonce de nouvelles manières de travailler, interrogent les enseignants :
- Ne s’agissant pas seulement d’une nouvelle formulation, de quoi s’agit-il réellement, actuellement?
- Les contenus que le professeur doit transmettre ont-ils changé ?
- Quelle pédagogie précisément, pour faire acquérir des compétences… ?
- En quoi, les difficultés des élèves vont-elles être réduites ?
- Ne s’agit-il pas d’abord de cerner ce que nous entendons par Compétences : Il y a des compétences générales, des compétences spécifiques… Certaines sont liés à des savoirs, d’autres à des automatismes … Certaines seront nécessairement « ouvertes » , c’est-à-dire confrontées à des situations nouvelles … ?
- Est-il possible absolument de différencier les ‘connaissances’ des ‘compétences’ … ?
Que prévoient les rectorats, les inspections ; pour ne pas rater la généralisation de ces nouvelles pratiques ? A mon avis, ce qui est fait me semble insuffisant ; puisque les questions précédentes sont toujours d’actualité ! Je suis inquiet, car il me semble que la formation professionnelle des enseignants est insuffisante… Je continue ..
Il me semble que l’un des intérêt majeur de la notion de compétence, permet de cerner, pointer, focaliser l’attention de l’élève sur une compétence non acquise, c’est-à-dire ( ce que nous disions..) « une difficulté scolaire » ; mais sans s’arrêter à cet « échec », …
Bien sûr, le référentiel souligne cette difficulté, mais ne la fait pas disparaître… Ensuite, l’enseignant en revient à ce qui faisait déjà problème :la remédiation …
Actuellement, l’enseignement secondaire fonctionne sur le couple « cours – étude ». Le cours est le temps de diffusion du savoir, et l’étude, le temps d’assimilation … Cependant, cette organisation ( minimaliste ) laisse beaucoup d’enfants de côté… (« ils ne travaillent plus, ils n’apprennent plus leurs leçons »), la question est assurément mal traitée ! )
P. Rayou (sociologue Paris VIII ) est particulièrement dubitatif sur les nombreux dispositifs « d’aide » récemment mis en place sous des vocables divers : Etude dirigée, accompagnement personnalisé … . « Ils n’atteignent pas leur cible », notamment parce que les personnels chargés de les mener n’ont que peu d’éléments sur les difficultés cognitives des élèves, voire maîtrisent ( parfois ..) peu le contenu de ce qui est enseigné. C’est la « dévolution du sale boulot », et quand les enseignants encadrent l’aide aux devoirs, « ce n’est pas considérée comme un travail noble » et ils en font parfois de l’approfondissement disciplinaire », Nombre de tâches demandées nécessitent de l’autonomie chez l’élève, alors même que l’école est là pour contribuer à la construire. Résultat : le risque de reporter sur le jeune lui-même la responsabilité de ses difficultés : « avec de gens pour m’aider et aucune amélioration, c’est vraiment que je ne vaux rien ! »
(1) Sur le thème des compétences, Conf Bernard_Rey_Compétences: Bernard Rey, ancien professeur du secondaire en France, docteur en sciences de l’éducation, est professeur à l’Université Libre de Bruxelles. Il dirige un groupe de recherches sur “les compétences et l’évaluation” depuis 1999…
Sur le thème de l’efficacité du système éducatif : Nico Hirtt membre fondateur de l’Aped – Belgique (L’Appel pour une école démocratique )
– Pour les gens très sérieux, je vous incite à écouter cette conférence:
Les compétences dans l’éducation : quelle vision de l’homme à éduquer ?
Séminaire: 10/2010 1h49: ICI le lien …
La pédagogie par compétences s’impose depuis les années 80 dans le paysage international de l’éducation. Le séminaire se focalisera sur la genèse de ce « succès », analysant la révolution copernicienne qu’il implique : l’éducation passe du service des hommes à celui de la macroéconomie, de l’humanisme à l’utilitarisme. À l’aube du XXIe siècle, la réduction de l’éducation à l’employabilité a tendance à nier son ancrage dans des tropismes, affinités électives, désirs et territorialités et présuppose un certain type d’humanité, flexible (cf. L’« homme sans qualités », de Musil) qu’elle participe à construire. On appréhende et gère désormais l’école comme un investissement sur de la ressource humaine. L’utilitarisme des compétences semble en outre avoir gagné l’école en s’appuyant sur la pédagogie progressiste (démocratisation scolaire, « méthodes actives »), posant la question de la place de la figure humaine dans l’éducation contemporaine : cette vision de plus en plus déterritorialisée de l’humain à éduquer ne rend-elle pas l’humanisme compatible avec la fabrication abstraite de ressources humaines pour la macroéconomie ? Si cela est vrai, il faudrait remettre au travail la question de l’éducation émancipatrice pour notre époque : que serait une éducation émancipatrice non centrée sur l’humain, quel serait le « nouveau » sujet d’une telle éducation ? Peut-on concevoir l’acte d’éduquer comme une modalité de la co-production homme-monde, considérant la société comme présente en totalité dans la situation d’éducation (locale) ? Peut-on soutenir que le global s’exprime dans le local, que l’universel est concret (Hegel), et qu’éduquer n’est pas armer un Homme pour la maîtrise de la (et sa) Nature, mais réinscrire l’homme dans son environnement (vision organique) ? Comment penser la territorialité de l’humain et de son éducation, les conditions d’une transmission réelle et effective, non au sens d’une efficacité linéaire et mesurable par des chiffres, mais d’une certaine « X-tolérance » au réel de la situation ?
Avec Angélique Del Rey, philosophe.