Interview de Léo Tamaki, Première partie

Publié le 06 janvier 2011 par Minamoto

L' interview qui suit a été publiée dans le magazine "Arts et Combat" (mars-avril 2009).

Interview de Léo Tamaki, "L'apôtre de la transformation martiale"

Léo Tamaki est l'un des collaborateurs réguliers de Dragon et beaucoup le connaissent au travers de ses colonnes et des interviews exceptionnelles qu'il a réalisées auprès des plus grands maîtres. Pourtant il est probable que peu d'entre vous sachent qu'il est aussi un des pratiquants les plus talentueux de sa génération. Léo sera le premier expert de la série de vidéos que j'ai décidé de produire à travers Art et Combat. A l'occasion de la sortie prochaine de ce DVD il a accepté de passer de l'autre côté du micro. Par Pierre-Yves Bénoliel.
Bonjour Léo peux-tu nous parler de ton parcours martial?
J'ai commencé à pratiquer le Judo vers l'âge de six ans. A l'adolescence je me suis ensuite tourné vers le Kung-fu, ça impressionnait plus les filles. (rires) Je suis ensuite passé par une forme de self-défense puis le Full-contact et le Karaté. J'ai finalement débuté l'Aïkido à vingt-et-un ans et le Shinbukan il y a quatre ans.
Cela fait presque trente ans de pratique!
(Rires) Oui dis comme cela ça peut paraître impressionnant. En réalité il y a eu une ou deux années sans, mais surtout, jusqu'à à peu près 18 ans c'était simplement une pratique de loisir. Au final cela fait un peu plus de vingt-cinq ans que je pratique avec disons une quinzaine d'années intensives.


On voit beaucoup de jeunes passer d'une pratique souple à une discipline dure. Des adolescents qui ont pratiqué l'Aïkido par exemple qui passent au Karaté, au Taekwondo ou au Jujitsu. Toi tu as fait la démarche inverse. Est-ce parce que le combat ne t'intéressait plus?
C'est vrai que le passage d'une pratique "externe", dure, à un travail plus souple se fait généralement lorsque les pratiquants prennent de l'âge et ne sont plus intéressés par l'aspect combat. Ca n'a pas été mon cas.
J'ai toujours apprécié le combat et j'aime toujours ça. Mais j'ai trouvé dans l'Aïkido puis le Shinbukan des pratiques souples qui m'ont parues plus efficaces. Au Japon on dit "Ju yoku go o sei suru", le souple vainc le dur. Cela dit il ne faut pas croire que la transition s'est faite aussi nettement, simplement en changeant de discipline. Lorsque j'ai débuté l'Aïkido je le pratiquais de façon très dure et ça a duré pendant presque dix ans. J'ai d'ailleurs pratiqué pendant un temps le Kyokushinkaï en parallèle au Japon au Hombu dojo. Il est difficile de lutter contre la testostérone lorsqu'on est jeune!

©helenerasse.com


Il t'a donc fallu une dizaine d'années pour abandonner le combat.
Oh non, il m'arrive encore de combattre, même si ce n'est plus aussi fréquent que par le passé. Je suis encore en pleine formation dans ma pratique. J'ai donc besoin d'évaluer régulièrement l'intérêt de tel ou tel type de travail au travers de ses résultats. Je crois qu'arrive un moment où il n'est plus nécessaire de combattre. Mais je n'en suis pas encore là. Le problème est de ne pas combattre pour combattre, s'affronter pour le plaisir, pour satisfaire son égo. Le combat est un test, il ne doit pas être la base de la pratique. Ca a été mon cas pendant très longtemps.
L'essentiel de la pratique martiale telle que je la conçois est la modification de l'utilisation du corps. Et cela ne peut se faire qu'à travers un travail technique précis. Dès lors que l'on multiplie les combats on devient obnubilé par l'idée de la défaite ou de la victoire. Afin de vaincre on modifie la technique et le long travail sur le corps disparaît immédiatement.
Dans les disciplines obéissant à des règles telles que le Judo ou le Karaté sportifs, les compétiteurs modifient les techniques à l'extrême en veillant juste à ne pas sortir du cadre des règles. Finalement ces modifications se répandent dans la discipline d'origine qui perd peu à peu la richesse de son enseignement. Les changements sont opérés par des compétiteurs qui ne maîtrisent qu'une partie superficielle de la discipline et leur vision à court terme supprime tout ce qui ne produit des résultats qu'à long terme. Même si ces résultats sont beaucoup plus importants et efficaces.
Le combat est trop souvent un moyen de se rassurer, de flatter son égo et son désir de puissance, de domination. Dans les sports de combat c'est un rituel qui est très éloigné du combat de survie réel où les habitudes que l'on a travaillé à rendre spontanées dans un cadre sécurisé sont très dangereuses.
Peux-tu préciser ce que tu entends par là?
Imagine un champion de sport de combat qui s'est entrainé pendant dix ou quinze ans de façon intensive. Considère qu'il pratique une discipline pieds poings. Ses centaines ou milliers d'heures d'entraînement ne l'ont pas préparé à réagir à un coup de pied dans les parties car cela est interdit dans son sport. Lors d'une frappe au ventre il contracte ses abdominaux. Mais que se passe-t-il si au lieu d'un poing c'est un couteau qu'il reçoit? De même un pratiquant d'une discipline de lutte a l'habitude de prendre une garde où son visage est très proche de celui de son adversaire, où il a le bassin en arrière. Que se passe-t-il si son adversaire lui met un coup de tête?
Les réflexes que les athlètes de sport de combat développent sont liés à des préconceptions qui sont logiques au regard des règles de leur discipline et qui leur permettent d'être plus efficaces à l'intérieur de ce cadre. Mais les règles des sports de combat sont quelque chose d'effrayant dans le contexte du combat réel où les cibles et les techniques les plus importantes sont celles qui sont interdites en compétition. Je ne tiens pas à critiquer les champions qui ont un investissement énorme et sont quasiment imbattables dans leur domaine. Simplement cela ne représente qu'une partie, très limitée, de la pratique martiale.
On entend ou lit parfois des commentaires du type: "Oui mais maître X face à champion Y ne tiendrait pas deux secondes.". Mais c'est complètement stupide, cela revient à comparer des choses qui n'ont rien à voir. Est-ce que Rostropovitch pouvait faire plus de bruit que Metallica avec son violon? Probablement pas. Mais ce n'était pas non plus son but.
Un champion de sports de combat s'en tirera généralement bien dans un combat rituel, une petite "bagarre", car il pourra utiliser ses qualités physiques. Dans un ring et protégé par des règles il battra probablement même des membres des forces spéciales tels que les SAS ou les Spetsnaz. Mais il n'aura quasiment aucune chance de faire face à ces hommes rodé au combat à mort dans une lutte sans aucune règles. N'envisageons même pas le cas d'un combat au couteau…
C'est un peu la différence que tu mentionnes souvent dans tes chroniques entre le bujutsu, le budo et le kakutogi. Peux-tu nous en parler?
Les bujutsu sont les techniques martiales traditionnelles. Ce sont les disciplines qui étaient pratiquées par les bushi, les guerriers japonais. Leur but est de détruire l'ennemi de la façon la plus rapide et la plus efficace. Il n'existe aucune limitation morale ou technique quand à la façon de le faire, la survie du pratiquant reposant sur la mise en application de son savoir.
Les budo sont les voies issues des bujutsu. Ils ont été créés entre la fin du 19ème siècle et le milieu du 20ème. Les plus célèbres et les plus pratiqués sont le Judo, le Kendo, le Karatédo et l'Aïkido. Leur but est l'éducation de l'homme aux niveaux physiques et spirituels. La pratique est un support dont la finalité destructrice est secondaire. Ce sont des disciplines avec une éthique forte qui délimite généralement leur panel technique.
Les kakutogi enfin, sont les sports de combat issus des budo. Ils comprennent les versions sportives des budo ainsi que des disciplines nouvelles telles que le Kick-boxing. Ce sont des loisirs sportifs nés du milieu du 20ème siècle à nos jours. Ils visent à permettre la confrontation de deux adversaires dans le cadre le plus égalitaire et sécurisé possible. En conséquence ils sont très normés et leur éventail technique est très limité.
Cette catégorisation correspond aux arts martiaux japonais mais les pratiques martiales dans leur globalité rentrent généralement plus ou moins dans une de ces catégories.


Léo Tamaki dans le dojo personnel de Maître Kono


Les budo et les bujutsu ne sont-ils pas, au fond, d'essence similaire?

Cela dépend de ce que tu appelles leur essence. Il peut y avoir selon les disciplines et les écoles une grande similarité. Mais il faut bien comprendre qu'à la base les bujutsu ne comprenaient pas un enseignement moral même si, bien évidemment, le comportement du maître et des anciens était un enseignement en  lui-même. Les samouraïs étudiaient le confucianisme et les matières morales de façon séparées. Les techniques, bien que transmettant un enseignement théorique, se basaient sur des situations pragmatiques. L'élève apprenait par exemple à trucider un messager ou un invité par surprise. On lui apprenait à tromper, lancer du sable au visage de l'ennemi, etc… Il faut bien se souvenir que la probabilité qu'un pratiquant ait à se servir de son art pour défendre sa vie était extrêmement élevée. Parmi les maîtres du bujutsu certains, tels que Miyamoto, ont atteint un état d'éveil. Mais c'était une conséquence, non pas un but. A une époque où les défis et duels étaient fréquent un adepte n'était pas mesuré en terme de réalisation spirituelle mais au nombre d'ennemis défaits.
Les budo au contraire sont des méthodes d'éducation. Si certains de leurs maîtres se révélèrent des combattants redoutables, parfois même dans des situations de vie ou de mort, leur enseignement technique est souvent très éloigné de la réalité. Il suffit d'imaginer un pratiquant de Kyudo sur un champ de bataille pour comprendre l'écart qui peut exister entre une discipline à visée pratique tel que le bujutsu et le rituel des budo. Le bujutsu et le budo sont des pratiques cousines mais différentes. Toute comparaison entre elles est un peu biaisée parce que même si elles peuvent avoir des résultats similaires, c'est plus une exception que la règle et leurs buts sont très différents.
Qu'en est-il du Systema ou des méthodes de self-défense modernes et des arts martiaux artistiques?
Les arts martiaux artistiques peuvent être classés dans les kakutogi. La confrontation ne se fait pas par le combat mais par une évaluation de formes, comme en patinage artistique. Mais les compétitions de formes existent aussi en Karaté sportif par exemple.
Pour le Systema ou les méthodes de self-défense il est vrai qu'elles ne se classent pas facilement dans une des trois catégories. En fait ce type de travail est très minoritaire au Japon qui est un pays très sûr et où les gens ne vivent pas dans la crainte d'une agression. Les méthodes de self-défense dont l'un des principaux attraits est de pouvoir développer une capacité à se défendre rapidement ne présentent donc pas l'attrait qu'elles peuvent avoir en France ou aux Etats-Unis. Ceux qui cherchent à savoir se battre choisissent simplement une discipline issue d'un des trois groupes majeurs.
La classification bujutsu/budo/kakutogi est une simplification qui recèle quelques exceptions et des chercheurs comme Donn Draeger en ont d'ailleurs élaboré des beaucoup plus pointues. On pourrait classer le Systema et quelques méthodes de combat modernes comme des shin-bujutsu, techniques martiales modernes, et les méthodes de self-défense comme des goshinjutsu, techniques de self-défense.
Le problème des disciplines modernes est qu'il faut du temps pour séparer le bon grain de l'ivraie. Si le Systema fait indéniablement partie de la première catégorie et a largement fait ses preuves, ce n'est pas le cas de beaucoup de nouvelles disciplines qui malheureusement ne sont pas toujours éphémères.

Quelle est la différence entre un goshinjutsu et un shin-bujutsu?

(Rires) La définition des choses est nécessaire pour en parler précisément mais elle nous amène parfois à trop rentrer dans le détail. Une des différences essentielles est que les self-défenses sont normalement créées et enseignées de façon à rester dans le cadre légal. Elles visent à se protéger d'agressions et non de tentatives de meurtres. Pour respecter la notion de proportionnalité, toutes les techniques létales sont donc logiquement bannies.
En revanche un shin-bujutsu est un système de combat moderne qui, comme les bujutsu traditionnels, vise à détruire son ennemi de la façon la plus radicale dans le minimum de temps. Bien sûr les versions enseignées au grand public sont édulcorées mais c'est l'essence de la discipline pour ceux qui la pratique dans le cadre d'un besoin réel.
Il y a aussi une différence notable au niveau de la pratique. Alors que la plupart des méthodes de self-défense modernes sont basées sur une utilisation du corps en tension, proche de ce que l'on trouve dans les kakutogi, sports de combat, le Systema de Vassiliev repose sur la souplesse et le relâchement comme dans les bujutsu authentiques. Si la première forme de travail peut être efficace, cela reste très limité par rapport à la seconde.
Les disciplines naissent en accord avec les besoins et l'esprit de l'époque dans laquelle elles sont créées. Aujourd'hui les adversaires que l'on pourra rencontrer dans une vie n'auront probablement qu'un savoir martial très limité. Les méthodes modernes de self-défense sont donc suffisantes et donnent des résultats satisfaisants dans un temps limité. Un bushi du 16ème siècle n'avait quasiment aucune chance de terminer sa vie sans affronter un autre guerrier et participer à plusieurs batailles. La présence de la mort comme éventualité était donc présente en permanence dans son esprit. Même si l'on suppose qu'il avait dépassé la peur de la mort, il lui restait le désir de servir son seigneur et d'amener la gloire sur le nom de ses ancêtres. Son investissement dans un art extrêmement sophistiqué était donc une évidence.
Les sports de combat et leur médiatisation correspondent aussi, malheureusement, à notre époque…


L'efficacité en combat repose donc à ton avis sur la modification de l'utilisation du corps?

Pas obligatoirement. Hino senseï est comme tu le sais un maître qui a beaucoup combattu, notamment dans la rue. Il a fait face à de nombreux adversaires armés de chaînes, couteaux, mais aussi armes à feu. Un soir nous regardions des vidéos d'arts martiaux chez moi et je lui en ai montré une d'un célèbre instructeur français de self-défense. Il a trouvé son travail très intéressant et m'a donné des explications passionnantes qui m'avaient échappées sur ce qu'il démontrait. Je lui ai alors demandé s'il pensait que cet homme avait modifié l'utilisation de son corps. Il m'a dit: "Pas du tout. Cette personne a beaucoup combattu et ça se voit. Ce qu'il enseigne est intéressant et efficace en combat mais il n'y a pas de modification de l'utilisation du corps.".
Les méthodes de modification de l'utilisation du corps nécessitent un investissement en temps et en intensité très important avant de donner des résultats. Prenons l'exemple de bushi qui s'entraînaient chaque jour pendant six heures. Au bout d'un an ils avaient cumulé plus de deux mille heures. Six mille en trois ans. Aujourd'hui un pratiquant assidu pratiquera environ trois heures par semaine. En enlevant les vacances et les jours fériés cela fera en gros cent-trente heures dans l'année. Il lui faudra près de cinquante ans pour pratiquer autant que le bushi en trois ans! Sans compter que le pratiquant actuel le fera généralement dans un esprit de détente alors qu'il s'agissait d'une question de vie ou de mort pour le bushi.
La modification de l'utilisation du corps est pour moi la clé de la plus grande efficacité. Mais elle nécessite un investissement important avant que le pratiquant puisse développer une efficacité en combat dessus. Les méthodes de self-défense travaillent en se basant sur l'utilisation du corps classique quotidienne des pratiquants et donnent de meilleurs résultats à court-terme.

(Fin de la partie 1)

Léo Tamaki donnera un stage d'aikido à Arlon (Belgique) le 26 et 27 Février 2011


Le samedi de 14h30 à 18h30

Préinscription: 20 euro
Prix sur place: 25 euro

Le dimanche de 10h00 à 13h00
Préinscription: 15 euro
Prix sur place: 20 euro

Lieu:
Complexe Sportif de la Spetz
2, Carrefour de la Spetz
6700 ARLON

Préinscription:
Par virement au nom du Budo Club Arlon
Communication: nom + prénom + stage
Num. compte: 779-5940257-11
Info:
chikung11@hotmail.com
0032/498.85.42.15
www.budo-club-arlon.be/stages