La fresque du « mur des expulsés », oeuvre d’art militante commandée par le maire de Billère pour orner
une salle communale, dans les Pyrénées-Atlantiques, a été détruite. Poursuivie par l’acharnement d’un préfet, elle fut condamnée à être effacée par le tribunal administratif et, sans attendre le
verdict en appel, des nazillons identitaires ont fini le travail. Récit.
Philippe Rey : en voilà un qui fait l’unanimité contre lui, hormis bien sûr dans les rangs des fiers
défenseurs du National-sarkozysme. « L’innovant : il est moderne. Il est pragmatique. Il sait ne pas compter à la dépense quand il est nécessaire de frapper un grand
coup. En un mot : Philippe Rey, nouveau préfet des Pyrénées-Atlantique*, est l’expulseur de demain », écrivait ainsi en 2008 le camarade JBB, chez nos confrères d’Article XI, qui le plaçait en tête de son palmarès des « talents
en devenir, ceux qui seraient à même de doubler Brice Hortefeux sur sa droite » (bigre !). « A ceux qui douteraient de son talent et de ses capacités, je
rappellerai juste le dernier fait d’arme du préfet : pour mieux garantir l’expulsion d’une famille de Kosovars [avec ses trois enfants, NdA], Philippe Rey a loué un avion de
tourisme, à qui il a ordonné de mettre le cap sur Pristina, illustrait JBB. Une solution expéditive qui a l’immense mérite de la rapidité : arrêtée à 6 h 15, la famille Sylejmani
foulait le sol de l’aéroport de son pays d’origine à 14 h 30. » A propos de la même affaire, l’ouvrage Cette France-là (Editions La découverte, 2010), relayé par la LDH Toulon, précise : « Afrim, le père, disposait pourtant d’une promesse
d’embauche. Et la famille, parrainée par des élus locaux, devait se rendre, le 25 septembre, à la Cour nationale du droit d’asile pour un réexamen de sa situation. Si l’on en croit les partis de
gauche et les associations de soutien aux sans-papiers, l’empressement manifesté ce jour-là par le préfet, qui semblait confirmer sa réputation de « sarkozyste de
choc », s’expliquait par l’échec d’une tentative précédente d’expulsion d’une famille albanaise : il fallait laver cet affront. » Libération,
également repris par la LDH Toulon, corrobore : « On ne s’attendait pas à ce qu’ils soient directement
renvoyés à Pristina ! C’est une famille bien intégrée. Le père a une promesse d’embauche dans le bâtiment et les trois gamins sont scolarisés. Albin, dont je suis le parrain, a vu son père
menotté pendant tout le vol », s’indigne Olivier Dartigolles, élu palois et porte-parole du PCF. Et il dénonce « une opération commando et une débauche de
moyens. Deux parents, trois enfants et cinq policiers dans un avion c’est la France, ça ? »« C’est un minicharter, spécialement affrété pour eux, une honte », dénonce Fred
Espagnac, conseillère municipale socialiste à Pau et collaboratrice de François Hollande. Ce « coup d’éclat » fait suite à un bras de fer entre les élus de gauche, le Réseau
éducation sans frontières (RESF) et le nouveau préfet Philippe Rey [En vacances depuis début août, le préfet a refusé de répondre à nos questions.]. Réputé « sarkozyste de
choc », selon un élu, il « vient d’être nommé dans les Pyrénées-Atlantiques après avoir suscité une levée de boucliers des élus de tout bord en Bretagne. C’est sa deuxième
expulsion en un mois. Il a été vexé parce que la première a échoué. On a fait libérer les Kuka pour non-respect des procédures », explique un élu. Cette fois, le préfet a décidé de les
prendre de vitesse en zappant l’escale dans le centre de rétention. »
Notre efficace et zélé expulseur a récidivé quelques mois plus tard, comme le raconte Cette France-là : « De fait, le préfet des Pyrénées-Atlantiques s’est
plusieurs fois distingué dans la pratique du renvoi familial express. Les Rrusta, originaires du Kosovo, en savent quelque chose : avec leurs quatre enfants, dont les âges s’échelonnent
entre dix ans et seize mois, ils ont été « éloignés » du territoire français – où ils vivaient depuis quatre ans – en moins de quarante-huit heures et par avion spécial, le 22 novembre
2008. Ni la récente hospitalisation de la mère pour des problèmes psychiatriques ni l’opération des amygdales qu’avait subie, quelques jours auparavant, le plus jeune des enfants, n’ont eu raison
du dynamisme préfectoral. Avec la même célérité, le préfet a ordonné en janvier 2009 l’expulsion d’une famille arménienne – les Abrahamian – sans que celle-ci fût en mesure d’être entendue par le
juge des libertés et de la détention. Le bâtonnier du barreau de Pau a eu beau s’inquiéter par courrier des conditions «expéditives et contraires aux droits fondamentaux» de cette
expulsion ». Ajoutons pour la bonne bouche une information de décembre 2009 livrée par Pays Basque Info (toujours chez les camarades toulonnais) : « C’est une
première dans l’hexagone : le président de la Cimade, Patrick Peugeot, s’est vu refuser samedi matin l’accès au Centre de rétention d’Hendaye. Motif invoqué, une
interdiction préfectorale de laisser pénétrer le président de cette association pourtant dûment habilitée à visiter les lieux. Une interdiction qui pointe une nouvelle fois le zèle d’un préfet
qui s’est déjà distingué pour avoir outrepassé ses droits, notamment dans sa gestion du dossier des reconduites aux frontières. (…) On peut une nouvelle fois s’étonner de cette consigne
préfectorale, alors même que Patrick Peugeot, président de la Cimade, recevait la veille un courrier du ministre de l’Immigration Eric Besson, confirmant l’attribution des visites des
centres de rétention dans le département à la Cimade, selon la nouvelle carte établie au 1er janvier 2010. » Voilà pour vous situer le bonhomme, mais venons-en à notre fresque.
« Inaugurée le 5 septembre 2009 à la suite des arrestations et expulsions express des familles Rusta et Syejmani
vers le Kosovo, cette fresque réalisée par le studio Tricolore sur un mur d’une salle communale en plein centre de Billère, rappelait à qui voulait le savoir que chaque jour des familles, des
enfants étaient expulsés au mépris des valeurs de la République, résume La République des
Pyrénées. Le maire de Billère, Jean-Yves Lalanne (PS, NdA), rappelait samedi que « ce mur symbolisait les actes solidaires et généreux de citoyens
contre un gouvernement autoritaire. » Voilà qui ne plaisait évidemment pas du tout à notre sarkozyste préfet, qui a d’abord tenté de la faire effacer en invoquant devant le juge des
référés que le maire n’aurait pas consulté le conseil municipal avant de prendre sa décision. Débouté par le juge, il a alors changé son fusil d’épaule, présentant un argument digne d’une
dictature en bonne et due forme : le maire de Billère est « sorti de son « devoir de neutralité » vis-à-vis de la politique gouvernementale », rapporte
l’AFP. Dans quel triste pays vivons-nous : le tribunal lui a donné raison ! « A l’audience de lundi, l’argumentation du préfet a été reprise par le rapporteur public qui
avait notamment estimé qu’il fallait « respecter la neutralité des édifices publics », a constaté un correspondant de l’AFP. » Le quotidien
Sud-Ouest explique pour sa part : « Pour le rapporteur, la fresque remet en cause « la politique du gouvernement » en matière de retour à la
frontière. » Digne d’une dictature, écrivions-nous : depuis quand un maire appartenant à un parti d’opposition n’aurait-il pas le droit de critiquer la politique gouvernementale ?
Même décision pourtant en appel : « la
fresque litigieuse constituait en réalité une revendication politique qui contrevenait au principe de neutralité ». Et le quotidien local de citer : « L’avocat de la commune Me
Blanco dénonce pour sa part : «Une décision très grave et très inquiétante qui porte atteinte à la liberté d’expression et à la liberté créatrice. Il faut remonter au XIXe siècle quand
on interdisait des romans, pour voir une décision demandant la disparition d’une oeuvre d’art ».
L’affaire devait remonter jusqu’au conseil d’Etat, mais le Bloc identitaire a pris les devants et vandalisé la fresque, signant son
forfait d’un éloquent « C’est fait, M. le préfet ! » Liberté, égalité, fraternité, solidarité… Tous ces mots qui l’ornaient étaient par trop insupportables à ces nazillons.
Leur renfort à la cause du préfet Rey symbolise l’ampleur de la dérive à l’extrême droite du pouvoir sarkozyste. « Nous étions nombreux hier dans le froid à Billère dans la banlieue de
Pau, avec RESF et tout le ban et l’arrière ban des militants, pour dire au-revoir à cette fresque que le maire avait commandée à des artistes bordelais pour commémorer le mauvais sort
fait aux enfants expulsés par le pouvoir actuel, témoigne Frédéric Pic
sur le site de la Fédération pour une alternative sociale et écologique (Fase) du département. Lui dire au-revoir parce que sur plainte du préfet Rey, le tribunal
administratif a condamné la mairie à effacer cette fresque murale, au prétexte que cette commande officielle ne respectait pas son obligation de « neutralité ». Mais comment rester
neutre devant l’inanité de ces expulsions perpétrées pour la seule satisfaction d’expulser et de le faire savoir à ceux qui veulent l’entendre ? Depuis la destruction des bouddahs par les
talibans, c’est la première destruction officielle d’une oeuvre d’art à la demande d’une autorité. On a les modèles que l’on peut. Mais cet autodafé imbécile ne tuera pas la fresque, car
si l’on peut effacer le mot honte, on n’efface pas la honte elle-même. Reproduite avec l’autorisation des artistes, la fresque refleurit déjà sur des t-shirts. Reproduisons-là donc, tous,
partout, sur cartes postales, sur nos tracts, t-shirts. Et remercions le préfet Rey, apprenti sorcier pris à son propre piège qui, en croyant l’effacer, n’aura fait que la faire fleurir et
essaimer. Et nous aura conforté dans notre lutte pour ces deux valeurs qui semblent lui faire si peur, celles de partage et de solidarité. » Frédéric Pic nous a inspiré notre titre, qui
devrait fortement déplaire au préfet : « Après Eric Soarés, médecin poursuivi pour outrage [lire article de Sud-Ouest] pour avoir écrit : «Je tombe des nues, j’apprends que l’on
autorise l’enfermement d’enfants, cela me rappelle une triste époque où l’on mettait les enfants dans des wagons», ce courageux fonctionnaire vient de poursuivre Valérie, 45
ans, pour délit d’outrage, pour avoir écrit en juillet 2008, suite à la mise en rétention de la famille
Kuka à Hendaye : « Je soutiens l’action de RESF, cessez les rafles à la sortie des écoles, halte à l’ignominie de l’enfermement des
enfants», rappelle le Codedo (Collectif pour une dépénalisation du
délit d’outrage). Mais finalement, c’est pire : ce sont cinq personnes qui sont poursuivies, protestent les Big
Brother Awards, qui en ont fait l’un de leurs nominés pour 2010 : « Ces cinq citoyens « ordinaires », Valérie M., Yves R., Pierre F., Gérard C. et Eric S., sont poursuivis pour ne
pas être restés indifférents, pour avoir manifesté leur solidarité en rappelant les valeurs de la République à ceux qui en sont les garants. Le recours au délit d’outrage dissimule mal ce qui
leur est véritablement reproché : un « délit de la solidarité ». Cette action en justice vise également à protéger l’administration des critiques dont ses
pratiques font l’objet : il s’agit, par l’intimidation des citoyens, d’obtenir que soient proscrits l’utilisation du mot « rafle » et les parallèles avec d’autres périodes de
l’histoire de France. » Dans les deux cas cités plus haut, nulle trace d’injure effectivement ! Le mot « rafle », suivant sa définition du dictionnaire, est
approprié à certaines procédures policières actuelles, et établir un parallèle avec l’Occupation – sans affirmer qu’il s’agit de la même chose ! – nous paraît appartenir à la liberté
d’expression. Comme notre usage ironique du mot « taliban » pour stigmatiser la destruction d’une oeuvre d’art. Mais si la justice devait en juger autrement, nous comptons sur
les plumonautes pour nous apporter des oranges !
*Son départ de la préfecture des Pyrénées-Atlantiques a été annoncé en novembre dernier. « Nommé préfet hors
cadre, Philippe Rey n’a pas d’affectation territoriale mais est mis à la disposition du ministère de l’Intérieur » : on gage qu’Hortefeux saura à merveille utiliser semblable
recrue.
Plume de
presse