A la caisse du Flunch, juste devant moi, un homme d'une trentaine d'années demande à voir le papier portant la certification halal officielle de la viande qu'il a commandé. La jeune femme de l'accueil se met en quatre pour retrouver le document délivré par la mosquée d'Evry; cinq minutes plus tard elle revient avec. Il se met alors à le lire très attentivement et s'émeut de voir la date limite de validité du présent exemplaire : "31 décembre 2010".
"On est en 2011, je veux une certification pour 2011"
- Monsieur, nous sommes en 2011 depuis trois jours, nous n'avons pas encore récupéré le document.
- Je mange pas de viande, vous avez quoi comme poisson ?
Un mélange de colère contenue et d'amusement amer s'est emparé de moi. C'est à mon tour de passer en caisse. Après un échange de sourires complices je lui commande un "steack non halal". Se tournant vers son clavier, elle soupire et me lance : "sans commentaire".
Toute l'après-midi j'ai laissé réchauffé cette petite fioretti au bain-marie de ma réflexion personnelle. Ne pouvant pas m'empêcher de brocarder en moi-même l'esprit communautariste qui s'empare de plus en plus d'une frange de la communauté nationale qui souhaite affirmer sa différence. Mais ce qui me choquait le plus, en réalité, était que cet homme n'avait pas dit "merci" à la dame à qui il avait demandé un service personnalisé.
Merci, le plus beau mot de la langue française qui reprend habilement les lettres du mot "crime" pour changer les ténèbres en lumières. Ce mot est à lui seul une incarnation linguistique de la miséricorde chrétienne qui a pétri notre civilisation.
C'est le soir que j'aurais la grâce de conclure en moi cet épisode de début d'année. Allant dîner au restaurant de mon école, Alain, un étudiant camerounais que j'apprends à connaître au fil de nos discussions tardives, vient s'asseoir en face de moi. Je lui fais part de ma petite histoire et lui précise mes inquiétudes de voir autour de moi de plus en plus d'exemples concrets de la radicalisation communautariste de certains de nos frères musulmans. Je parle d'obscurantisme voire de "bêtise gratuite". Je fustige notre laisser-faire et notre manque de courage. Alain ne va pas me répondre frontalement.
"Victor, les hommes sont porteurs d'une lumière en eux dont ils n'ont pas conscience. Un seul homme peut changer la face du monde. Nous sommes contagieux. C'est en multipliant les gestes et les attitudes de charité que ces pratiques diminueront."
C'est beau. Cela m'a profondément touché. L'indignation est essentielle. Rayonner de la lumière qui luit en nous l'est peut être encore davantage! En osant faire rimer l'amour avec l'humour, n'avons-nous pas de belles chances de faire sourire la trace divine déposé en chacun?
Si je devais commander un sondage en ce début d'année ce serait pour connaître le nombre de "Merci" que les français expriment chaque jour. Je commanderais le même une année plus tard. Ce serait à mon sens une manière originale et pertinente de calculer l'accroissement de bien-être de la société française.
Un "Merci" illumine un visage. Mais un "merci" résonne également avec le beau prénom de "Marie". Cette femme bénie entre toute les femmes... pour les chrétiens et pour les musulmans. Un beau pont de dialogue entre nos deux cultures.
Marie, ce nom si mystérieux qui porte en lui-même le verbe chéri des hommes : aimer.
Péguy ne faisait-il pas dire à Dieu : "C'est dommage, lorsqu'il n'y aura plus de français, il y a des choses que je fais, il n'y aura plus personne pour les comprendre" ?
Belle année à tous.