Magazine Culture
Prétendant à l’Oscar du Meilleur Film Etranger pour l’Espagne, También la lluvia a été façonné par des mains de maître : le talent d’écriture de Paul Laverty d’un côté (scénariste de Ken Loach) et la mise en scène pleine de sobriété de la cinéaste Icíar Bollaín de l’autre (Mataharis). L’intrigue, d’une profonde finesse évolue au cœur d’une mise en abyme cinématographique réjouissante : il y a d’abord ce film- tourné sous nos yeux par une équipe espagnole- en territoire bolivien- sur Bartolomé de Las Casas, dominicain qui s’est opposé, au 16ème siècle, à l’oppression du peuple indien par des colons mercantiles ; il y a ensuite cette réalité contemporaine, authentique, effrayante : la lutte de toute une population (leurs descendants) pour garder leurs droits, et leur eau. Au centre : une récursivité ironique, et un parallèle (jamais lourd, jamais manichéen) entre les agresseurs d’hier, et ceux d’aujourd’hui. En exploitant des figurants au sein d’une logique de profit et d’économie et en choisissant coûte que coûte de fermer les yeux sur la réalité politique du pays dans lequel elle tourne, l’équipe de cinéma perpétue- à l’échelle moderne- l’oppression de jadis, et se retrouve face à des choix cruciaux, subtilement amenés à l’écran : poursuivre jusqu’à la sottise le tournage du film, en ignorant la souffrance de toute une population ; ou s’impliquer vraiment, réellement, par les actes et non plus par les mots. "Il y a plus important que votre film" dit Daniel, chef de file d’une ville bolivienne en résistance, plus important que les beaux discours et la mascarade que peut constituer l’art sans conviction, l’art perpétré par obsession égocentrique ou démarche lucrative. Gael Garcia Bernal (Babel, The science of sleep) en réalisateur paumé et pris au piège par une sournoise répétition de ce qu’il tente de dénoncer, et Luis Tosar (Cellule 211) en producteur cynique et froid entament alors un processus d’éveil, une prise de conscience violente et bouleversante, chemin de croix conduisant tout droit à une lucidité sur soi, sur autrui, et sur la manière d’envisager l’art et le cinéma d’un point de vue plus humain et plus véritable. Il fallait bien le culot de Laverty (It’s a free world, Just a kiss, Le vent se lève) pour oser la comparaison (et l’insidieuse question qui s’y trouve !) entre les larmes d’un cinéaste qui ne peut poursuivre son œuvre, et celles d’un père dont la fille a été grièvement blessée dans une manif’. L’un offre de l’argent, le second de l’eau. Le profit versus la vie, l’image d’un patronat (ici, le studio de cinéma et les multinationales) versus la pauvreté des petites gens. Un motif, un combat, une cause, qui hante depuis longtemps la plume de l’auteur et qui déverse ici, avec raffinement et intelligence, son venin.