Le moins que l’on puise dire est que l’écrivain grec Vassilis Alexakis n’apprécie pas le Président français. Cela se sentait dans les interviews données ici et là, mais « Le premier mot », que j’ai lu pratiquement à la suite « d’Ap. J-C », m’a permis d’approcher plus près une des vérités de l’auteur : la recherche des origines dans l’orbe de la complexité. On sent bien que le populisme de la simplicité permanente l’énerve !
Nous sommes en partie à Athènes. Très peu. Mais bien plus souvent à Paris. Les deux patries de l’écrivain. Les deux patries d’une sœur et d’un frère liés par les mots et l’imaginaire. Entre deux cultures : le sage quartier des bourgeois d’Haussmann, derrière Saint Augustin, près du Parc Monceau etle tourbillon peuplé de motos du centre de la capitale grecque.
Le moment est crucial : celui de la séparation et de la mort. Et donc du souvenir, voire du vœu de la sœur pour le frère : celui d’aller jusqu’au bout d’une recherche qui reste au fond théorique et un peu vaine ; celle du premier mot. Vaine pour la plupart d’entre nous, mais pas pour un sémiologue qui contemple un pays à la recherche malsaine de son identité pure, alors que les mots d’origine grecque nous encerclent.
Tous ces mots qui se sont forgés dans la philosophie d’une langue qui apprend le sens de ce qu’elle dit, par la filiation qu’elle prétend !Et le premier mot est, pour la femme, celui du père. Et pourtant, « Il ne m’embrassai pas souvent, moi non plus » se dit-elle en pensant à sa mère. « Mon père était ému par toutes les femmes, à l’exception de son épouse et de sa fille. »
Se reconnaisse qui pourra !
Elle fabrique des bateaux, des bateaux imaginaires et lui, des mots, et leur père, des femmes. Et ils ont tous trois voyagés toute leur vie avec leurs créations ! Comme tous les Grecs ? Comme Ulysse ?
Mais comme à Paris elle n’a pas de plage pour ramasser les bouts de bois dont elle a besoin, elle cherche dans les rues, en hiver. Elle parcourt des kilomètres jusqu‘à un petit square de hasard.
« Là, juste à droite du portillon, dans une poubelle deux fois plus grande que celles des immeubles, j’ai enfin trouvé ce que je cherchais : au sommet d’une pyramide de sacs en plastique reposait un morceau de bois de vingt centimètres environ, légèrement recourbé, qui avait dû servir de manche à un outil. J’ai dû plonger à moitié dans la cuve pour l’attraper. En relevant la tête, je me suis trouvée nez à nez avec le gardien.
- Que faites-vous là, madame ? m’a-t-il demandé d’un ton sec.
- J’ai pris cela, lui ai-je dit, et je lui ai montré le manche.
Il s’est rapproché pour mieux voir ma trouvaille.
- Très bien, a-t-il dit. Etes vous française, madame ?
Il aimait répéter le mot « madame », qui conférait à son hostilité un vernis de civilité. « Il m’a déjà catalogué parmi les gens qui font les poubelles…Il m’a peut-être vue en train de me frotter les pieds. »
- Je suis grecque.
- Cette poubelle est la propriété de la mairie de Paris.
- Vous voulez dire que son contenu aussi appartient à la ville ?
Il a haussé les épaules.
- Ce qui est sûr, madame, c’est que je ne me serais jamais permis d’ouvrir une poubelle grecque.
- Mais elle était ouverte ! ai-je protesté.Il me fallait trouver sur-le-champ un argument capable de le déstabiliser.
- La Grèce est membre de l’Union Européenne, tout comme la France. Il n’existe plus de frontière entre nos deux pays. J’estime donc que nous pouvons au moins partager désormais les choses dont nous n’avons plus besoin !
- C’est bon, a-t-il maugréé. Depuis quand la Grèce fait-elle partie de l’Europe ?
J’ai été sur le point de lui dire que le nom même de l’Europe était grec, mais je me suis retenue car je n’en n’étais pas absolument certaine.
- Depuis toujours, lui ai-je dit et, dissimulant de mon mieux mon envie de courir, je me suis éloignée à pas lent. »
Tout est dit.
J’avais bien prévenu : Alexakis n’apprécie pas le Président français qui on peut l’espérer, ne trouvera jamais plus le dernier mot
Plongez-vous dans ce livre. Vous y trouverez, là aussi, tout ce que vous ne cherchez pas ; c’est à dire une forme d’essentiel.
« Le premier mot ». Vassilis Alexakis. Editions Stock. Janvier 2010..
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